Avec l’annonce du départ à la retraite à l’automne prochain du juge en chef du Manitoba Richard Chartier, l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM) milite pour renforcer la présence du français à plusieurs niveaux dans les tribunaux manitobains.
Par Ophélie DOIREAU
INITIATIVE DE JOURNALISME LOCAL – La Liberté
Sur fond de modernisation de la Loi sur les langues officielles, l’Association des juristes d’expression française du Manitoba représentée par Me Gerald Heckman, son président, souhaite un amendement au projet de loi C-13. « Pour éviter les situations où il n’y a pas suffisamment de juges bilingues dans les tribunaux, nous allons faire une soumission au Comité permanent des langues officielles. En effet, on souhaiterait une modification qui obligerait le ministère de la Justice à tenir compte dans ses décisions de nominations à la magistrature de l’importance de l’accès égal à la justice en français et en anglais. »
En effet, dans une lettre adressée au ministre de la Justice, David Lametti, l’AJEFM demande à ce que le gouvernement fédéral nomme quatre juges bilingues dans les tribunaux du Manitoba : deux juges bilingues à la Cour d’appel et deux juges bilingues à la Cour du Banc de la Reine avec en priorité un juge à la Division de la famille.
Depuis la nomination de la juge Marianne Rivoalen à la Cour d’appel fédérale en septembre 2018, aucun des juges à la Division de la famille n’est capable d’entendre et de présider des audiences en français.
Me Gerald Heckman précise la démarche de l’organisme. « Avec la retraite imminente du juge en chef, Richard Chartier, il faudra lui trouver un remplaçant. Outre lui, il y a deux juges à la Cour d’appel qui peuvent entendre des causes dans les deux langues, les juges Marc Monnin et Holly Beard, cependant ils sont surnuméraires et vont également prendre leur retraite à l’automne.
« À la Cour du Banc de la Reine, ce sont les juges Gérald Chartier et Anne Turner qui entendent la majorité des causes qui se déroulent en français. Les autres juges bilingues en entendent moins de par leur fonction. Le juge en chef de le Cour du Banc de la Reine, Glenn Joyal et le juge en chef adjoint, Shane Perlmutter sont donc occupés. Et la juge Brenda Keyser et le juge John Menzies sont surnuméraires. Il y a donc un nombre limité de juges bilingues réguliers. On encourage nos membres à se faire connaître. (1)
« Avoir des juges bilingues c’est crucial pour tenir des audiences en français. Quand on parle de droits linguistiques, on parle du concept d’égalité réelle pour avoir accès à des services d’une qualité égale. De par l’absence de juge bilingue à la Division de la famille, les causes sont entendues par un juge de la Division générale. Cette situation crée des inégalités. »
| Sensibilité au bilinguisme
En moyenne, la Cour d’appel rend 125 décisions par année. Le juge en chef du Manitoba, Richard Chartier précise le nombre d’affaires entendues en français à la Cour d’appel. « Depuis 2006 que je suis juge à la Cour d’appel, je n’ai entendu qu’un seul appel en français mais on a eu plusieurs requêtes en français. On doit en entendre peut-être deux à trois par année.
« On peut avoir des débats à savoir si le Manitoba est une province bilingue. Mais dans les tribunaux, il n’y a aucun débat, ils doivent être bilingues. Il faut s’assurer d’avoir un certain niveau de juges bilingues. »
Cette démarche auprès du ministre de la Justice s’inscrit dans le même cadre qu’une demande précédente de l’AJEFM demandant à ce que les procédures des tribunaux soient modifiées pour que les textes législatifs dans les mémoires des juristes soient cités en anglais et en français.
Pour le juge Richard Chartier, le bilinguisme des tribunaux doit être préservé. « L’AJEFM a contacté les trois juges en chef, Glenn Joyal, juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, Margaret Wiebe, juge en chef de la Cour provinciale et moi-même, pour modifier nos règles de procédures afin de rendre obligatoire que les juristes qui se présentent devant nos tribunaux respectifs déposent les mémoires dans les deux langues.
« Même si ce n’est pas dans nos procédures, dans une grande majorité des cas, les juristes le faisaient déjà.
« Évidemment, nous, on voit d’un bon œil de faire cette modification. On espère être capable de modifier les procédures à l’été voire à l’automne. Il incombe au pouvoir judiciaire de s’assurer que l’accès à la justice en français soit respecté en termes d’obligation. »
Pour Me Tarik Daoudi, directeur général de l’AJEFM, cette question de bilinguisme est avant tout une question d’équité. « Au Manitoba, il y a des francophones. Les clients qui souhaitent s’exprimer dans leur langue devant les tribunaux en ont le droit. C’est une question d’équité devant l’accessibilité à la justice. »
Le juge Richard Chartier rejoint Me Tarik Daoudi sur ce point. « L’interprétation a trois avantages, c’est pour ces raisons qu’il faut être capable de comprendre un minimum le texte dans les deux langues.
« La première raison c’est qu’une version peut être plus claire que l’autre. La deuxième raison, ça peut confirmer l’interprétation que vous voulez que le tribunal donne à cet article de loi. Et la troisième raison c’est que ça peut vous aider à renforcer votre argument. »
Le bassin d’avocats bilingues reste faible, le juge en chef du Manitoba Richard Chartier espère voir un changement. « Dès la rentrée de septembre, je suis invité à visiter les étudiants en droit et j’aime leur rappeler que le Manitoba est bilingue au niveau des tribunaux. On doit les sensibiliser dès le départ. »
(1) L’AJEFM compte 125 membres.