Tous les coins de pays ont une âme. Dans le Sud-Est du Manitoba, ça sent pas mal fort le Canayen et le Galicien, comme on avait coutume d’appeler les Ukrainiens.
Par Bernard BOCQUEL – Collaboration spéciale
Le premier calendrier que j’ai patenté pour mon frère Raymond, c’était pour mettre en valeur la cabane à sucre que notre frère Henri avait décidé de se construire. Ça donnait à notre petit racoin de la Rivière-aux- Rats un parfum supplémentaire de canayennerie. Et pour les clients à qui Raymond donnait un calendrier un aperçu de l’âme qui flottait tout autour de la Criblerie.
Tout le monde a pas mal le bec sucré. Bouillir la sève des érables pour en faire ressortir le fond, c’était déjà un rendez-vous avec les érablières au temps des Autochtones.
Nos ancêtres se sont garrochés à leur tour. Encore asteure pour réveiller la vieille fibre rêveuse des Canayens, on a juste besoin de leur parler du temps des sucres, quand il fait encore froid la nuit et que la température prend de belles allures printanières pendant le jour. C’est là que les érables se montrent le plus généreux avec leur sève.
La force des images, c’est quelque chose. À la maison on recevait toutes sortes de publications du Québec. Même au temps où je ne lisais pas encore trop trop, je regardais les dessins. Je peux bien imaginer que c’est en feuilletant le Bulletin des agriculteurs, où des fois notre bonne Gabrielle Roy signait des articles, que j’ai découvert le monde du sirop d’érable.
Mémère est partie pour le nouveau monde une couple de semaines avant que CKSB entre en ondes en 1946. J’avais dix ans. Alors c’est probablement vers l’âge de 7 ou 8 ans que je me suis mis en tête de faire couler les érables qui voisinaient les chênes. J’ai pu compter sur la complicité de Mémère. Elles sont comme ça, les grands- mères. Elles aiment faire plaisir aux petits.
Je me souviens que notre travail d’équipe avait donné des résultats. Notre sirop goûtait bon. Peut-être qu’un de mes frères nous avait joué un tour en rajoutant du sucre, mais je pense pas.
Par contre là, à bien y penser, c’est peut-être le subconscient qui a joué un tour à Henri quand il s’est lancé dans les sucres à la fin des années 1970.
Il avait construit son campe à l’endroit où Jean Lafrance, qui vivait au village, avait longtemps eu son rucher. Il vivait de l’apiculture et avait installé ses ruches sur les terres de son frère Adélard Lafrance, notre voisin. Plus tard, mon père avait acheté sa terre.
Sans se prétendre apiculteur, c’était assez courant pour les habitants de garder quelques ruches. Mon père en a eu aussi un temps. Les abeilles donnent du miel. Mais avant tout elles pollinisent. C’est pour ça que le rucher de Jean Lafrance était apprécié de tous.
D’ailleurs, c’est peut-être le fantôme du rucher qui a poussé Henri à se construire sa cabane à sucre à côté de son campe. C’est mystérieux comment des odeurs de sucré peuvent flotter dans l’air du temps. Mais tout probable qu’il voulait surtout donner de la compagnie à son campe, renforcer le côté canayen de la place.
Ce qui est sûr, c’est que son initiative a fait pas mal jaser. Qui aurait pensé construire une cabane à sucre? Tout le monde a été content que Henri renoue avec une vieille tradition canayenne au coton. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’il a prouvé que les érables à Giguère de la Rivière-aux-Rats pouvaient être aussi généreux que leurs cousins du Québec.
Son passe-temps était aussi un hommage à notre père, qui peut-être par nostalgie du Québec avait une fois ou deux fait les sucres. Mais comme il avait bouilli la sève dans la maison, notre mère n’avait pas aimé sa tentative parce que ça rendait le plafond graisseux. Henri, pour donner du sérieux à sa cabane à sucre, s’était gréyé de l’équipement nécessaire, spécialement d’un évaporateur.
Ça se pourrait que sa joie de voir la sève couler a été une inspiration pour le groupe de personnes qui voulait préserver le vieux couvent de Saint- Pierre. Quelques temps après, vers le milieu des années 1980, des gens sensibles à l’héritage culturel comme Armand Desharnais ont organisé une Cabane à sucre au profit du vieux couvent.
La gang a connu des hauts et des bas à cause des caprices du temps, mais leur affaire a finalement bien fonctionné. La motivation était là. À un moment, un des fils d’Armand, René, a pris le relais de son père.
Au fil des centaines d’érables entaillés printemps après printemps, Saint-Pierre s’est fait toute une réputation avec sa Cabane à sucre. À partir des années 1990, le monde de Saint- Pierre a même pu profiter de l’expertise de deux Beaucerons qui s’étaient installés au village : Doris Mathieu et son frère René.
René Mathieu, un grand ami à mon frère Raymond, a été impliqué dans l’aventure des sucres jusqu’à il y pas trop longtemps. Un autre qui peut témoigner que le monde a le bec sucré. Il en a entendu des Sirop que c’est bon!
En parlant de goût du sucré, il faut bien reconnaître que quand des chenapans se mettaient en groupe vers le mois de septembre pour tester le miel des abeilles de monsieur Lafrance, c’était surtout à cause d’une faim de réussir un mauvais coup. D’abord il fallait un brave pour enlever le couvert. Et ensuite commençait la danse avec les abeilles, quitte à se faire piquer à en hurler. La tentation du piratage était juste trop forte.
Mais on n’étaient pas les seuls. Ce jeu-là était assez commun chez les enfants de ce cher Sud-Est. La seule différence que je peux voir avec les jeunes dans le coin de Vita, c’est que les fermiers galiciens, pour une raison qui me reste encore à découvrir, semaient surtout du sarrasin, qui est pourtant ben fragile à la gelée.
Tandis que les Canayens semaient beaucoup de trèfle. Peut-être à cause d’une question de terre. À moins que ce soit juste pour une histoire d’odeur, de parfum dans l’air. À chacun sa manière de savourer la vie dans son racoin de pays!