FRANCOPRESSE — Alors qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) se dit favorable à augmenter l’immigration francophone hors Québec, des centaines d’Africains francophones attendent leur résidence permanente depuis des années. À la merci des délais du ministère, ils soupçonnent un traitement inéquitable de leurs demandes comparativement à d’autres régions du monde.
Inès Lombardo — Francopresse
Ils seraient « au minimum 500 », répartis entre les douze pays francophones que gère le bureau de visas de Dakar, d’après un rapide recensement des groupes de discussions WhatsApp et Télégram que Vanceslas Louis Zeuto* fréquente. Ce Camerounais a déposé sa demande de résidence permanente canadienne via le système Entrée express en novembre 2019.
Après trois ans, de lourdes dépenses et des frustrations, à court de solutions, Vanceslas décide de parler au nom des personnes dans la même situation que lui avec qui il échange régulièrement.
Selon les informations qu’il collecte, en date de juillet, les délais d’attente s’établissaient de 15 à 48 mois. « Je pleure tous les jours », témoigne Wodj*, une Camerounaise qui a déposé sa demande de résidence permanente en septembre 2018.
Le système Entrée express permet de présenter une demande de résidence permanente dans les programmes d’immigration économiques fédéraux.
Frustration, stress permanent et blocages financiers
La plupart des demandes ont été déposées avant le début de la pandémie, selon la liste de contacts que Venceslas a fournie à Francopresse. Le délai pour obtenir une réponse du ministère de l’Immigration était alors de six mois pour une résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Progressivement, avec l’avancement de la pandémie, ce délai a augmenté pour culminer à 26 mois en avril 2022. Au total, Vanceslas et son épouse attendent depuis 32 mois. Wodj et ses trois enfants, depuis presque 47 mois.
IRCC calcule les délais de traitement d’une demande sur une base « historique » : ils sont mesurés « sur la base du temps qu’il a fallu pour traiter 80 % des demandes dans le passé ».
« Votre délai de traitement commence le jour où nous recevons votre demande complète et se termine lorsque nous prenons une décision », précise le site du ministère.
Au fil des années, les obstacles se sont accumulés à cause de l’attente. Les personnes dans le même cas que Vanceslas et Wodj immigrent en grande partie en famille et ne peuvent pas entreprendre de projets dans leur pays d’origine au risque de devoir les abandonner s’ils reçoivent une réponse favorable d’IRCC.
Avec son épouse, Vanceslas affirme avoir dû modifier « beaucoup de choses ». « Nous voulions déménager, mais au Cameroun, nous devons avancer six mois de loyer pour un nouveau logement. Nous avons repoussé trois fois ce déménagement, car nous voulions garder la somme si nous devions venir au Canada rapidement! »
Entre les tests linguistiques, les visites médicales pour toute la famille et les fonds de réserve nécessaires pour immigrer au Canada, Wodj a investi 16,5 millions de francs CFA [soit environ 32 700 $] depuis bientôt quatre ans.
Des frais reliés à l’attente d’une réponse sur leur dossier se sont ajoutés, année après année. Par exemple, le bilan médical, qui expire après 12 mois, coute plus de 330 $ pour un adulte et plus de 235 $ pour un enfant au Cameroun.
« J’en suis à ma troisième visite! » s’emporte Wodj, qui a dû payer pour elle et ses trois enfants. De même pour Vanceslas qui a effectué les examens médicaux pour la deuxième fois en mars : il a dû payer 1 800 $ pour les trois membres de sa famille.
Une personne seule qui souhaite immigrer au Canada doit prouver avoir 13 310 $ en banque pour s’établir au Canada. Pour une famille de quatre, le montant s’élève à 24 733 $.
Autre obstacle : pour en savoir plus sur l’avancement de leur demande, les candidats à l’immigration ne reçoivent pas de mise à jour de leur dossier. Ils doivent en faire la demande via une commande de notes via le Système de gestion des cas (SMGC) pour connaitre l’état d’avancement du traitement de leur demande.
Pour ce faire, les candidats doivent remplir une demande d’accès à l’information. Cependant, seules les personnes présentes sur le territoire canadien peuvent déposer une demande.
Les non-résidents peuvent passer par différents entreprises indépendantes du ministère et qui offrent ce service en dehors du Canada, pour 15 à 20 $. Les sommes sont modiques, pour des réponses « génériques » et non personnalisées qui mettent « 45, 50 jours à arriver », précise Vanceslas.
« Interruption temporaire » en raison de la pandémie, répond le ministère
Au ministère de l’Immigration, Aidan Strickland, attachée de presse du ministre Sean Fraser attribue l’allongement des délais à la pandémie.
Elle assure par écrit à Francopresse : « Les restrictions sur les voyages pendant la majeure partie de 2020 et 2021 ont retardé le traitement des demandes à l’étranger, ce qui a entrainé une croissance de l’inventaire de traitement. En septembre 2021, nous avons temporairement interrompu les invitations à présenter des demandes dans le cadre du volet fédéral des travailleurs hautement qualifiés, tout en continuant à organiser des rondes d’invitation dans le cadre du Programme des candidats des provinces. »
Insistant sur le fait que « cette pause était temporaire », elle précise que « les invitations à présenter des demandes ont repris le 6 juillet, car l’inventaire de traitement a été suffisamment réduit pour que les nouvelles demandes puissent être traitées dans le cadre de la norme de service de six mois. »
De son côté, Wodj assure : « La pandémie est pratiquement derrière nous et je vois aboutir les dossiers d’autres régions du monde de 2020 ou 2021. Moi, ça fait depuis septembre 2018 que j’attends! Je ne comprends pas. »
*Les noms ont été modifiés, par souci de protection des sources.