Dans l’étable en arrière où on voit le vieux Pit sortir en tirant la traîne à fumier, je présume qu’il devait y avoir en ce début des 1940 une douzaine de vaches. C’est leur présence qui donne tout son intérêt à la cabane à puits.
Récit recueilli par Bernard BOCQUEL – Collaboration spéciale
La cabane à puits, ça retourne dans le temps de mon grand-père Octave. Les Bérard étaient arrivés du Québec à la Rivière-aux-Rats en 1905 pour prendre la terre du vieux Gabriel Lafournaise. Je gage qu’à ce moment-là, pas un des fermiers du coin n’avait creusé un puits. L’habitude était de prendre de l’eau à la rivière.
De toute façon, c’est à cause de la rivière que les Mitchifs s’étaient installés dans ce coin de pays. Et puis à cause du bois en masse, bien sûr. L’hiver, quand il fait ben frette, tu veux pouvoir compter sur un bon bois franc comme le chêne pour chauffer ton chez toi.
Mais quand tu veux aussi gagner ta vie en vendant du lait, ça devient intéressant de creuser un puits et de construire une cabane autour. Comme ça tu disposes d’une glacière efficace, parce que l’eau est glacée. Été comme hiver, elle coule à la même température. L’eau vient d’un autre monde, mais d’un monde encore assez facilement accessible avec des moyens rudimentaires.
Le puits voulu par Octave Bérard est un puits de surface. Ils avaient frappé une veine à peu près à 80 pieds de profondeur. Je connais des chanceux dans le coin qui ont frappé de l’eau à 25 pieds. C’est juste une manière de se rappeler que la Petite Montagne sablonneuse à l’est de Saint- Pierre-Sud est la dernière plage du lac Agassiz. On vit dans le fin fond d’un très vieux lac immense.
Une fois que t’es rendu à l’ouest de la rivière Rouge, les puits se font rares. L’eau est amenée par aqueduc. Nous à la Rivière-aux-Rats, on a le bénéfice de l’eau en abondance, même si elle a la réputation d’être dure. C’est juste parce qu’elle contient en masse de minéraux. L’affaire prend une autre allure si tu te donnes la peine de faire creuser un puits artésien à 300 ou 400 pieds de profondeur.
C’est que qu’avaient décidé les frères Augustin et Denis Joubert, des producteurs laitiers de vaches enregistrées Holstein. Ils restaient au nord-ouest de Saint-Pierre. Le puisatier avait frappé une veine mystérieuse, qui crachait son eau avec une générosité féroce. Les Joubert laissaient volontiers leurs voisins moins chanceux s’approvisionner en bonne eau.
Pour ceux qui voudraient douter du mystère des veines d’eau dans le Sud-Est du Manitoba, j’ai juste à leur rappeler le gros tremblement de terre en Alaska en 1964. Vu d’ici ça a l’air loin l’Alaska. Mais non! Nous vivons sur une toute petite planète. Dans notre coin de pays, il y a eu des puits qui se sont mis à couler plus fort et d’autres qui coulaient encore à peine.
Dans notre jeunesse, tout ce qu’on savait c’est que la grande cabane à puits abritait une grosse auge pleine d’eau courante qui pouvait facilement refroidir quatre ou cinq canisses de lait. C’était vraiment important parce qu’on n’apportait pas notre lait à la fromagerie tous les jours. C’est notre voisin Adélard Lafrance qui assurait ce service, deux fois par semaine.
La bonne eau du puits avait un autre avantage. Elle nous offrait l’hiver un gros banc de glace juste à côté de la rivière. Il y avait moyen de faire de la vitesse! Le traîneau glissait ben plus vite que sur un banc de neige. Là, un de nous autres est
justement en train de remonter la côte. L’autre en arrière on le distingue à peine tellement il va vite en direction de la rivière. On pouvait jouer à Descends- Remonte une couple d’heures avant de se tanner.
Au temps de cette scène à la Rivière-aux-Rats des années 1940, il n’y avait toujours que très peu d’habitants qui s’étaient donné le luxe d’un puits de surface. Ça a changé dans les décennies suivantes. Pour faire cuire ses bines, Maman était capricieuse. Elle faisait un extra pour aller chercher l’eau du puits de mon frère Fernand, qui habitait à peu près à un quart de mille. Les ménagères qui travaillent dans la cuisine travaillent dans l’eau. Elles savent comment s’y prendre pour faire des choses plus raffinées.
Le monde des hommes pouvait apprécier du raffiné, mais c’était pas leur préoccupation principale. Chez eux, c’est le côté pratique qui l’emportait. Pour faire mon
point, il faut que je revienne au vieux Pit, qui sort de l’étable avec la traîne à fumier. Il avait l’habitude, parce que le train, il se faisait tous les jours. Tous les jours il remontait la grande allée centrale en ciment. De chaque côté, il y avait un canal qui recueillait le fumier.
Le vieux Pit n’avait pas loin à aller avec sa charge. Le fumier était empilé en tas sur le bord de la rivière. Le fermier ne se baudrait pas de répandre sur ses champs cette bonne matière organique, dépourvue de toute maladie. Il faut bien reconnaître qu’à l’époque, l’habitant était gâté. Il avait la chance de travailler avec des terres neuves. Le fertilisant n’était pas nécessaire.
De nos jours avec l’agriculture industrialisée, c’est devenu une toute autre affaire. La terre est gavée de produits chimiques. L’eau de la rivière est imbuvable. On va dire que quand Octave Bérard a voulu son puits, il était en avance sur un temps qu’il n’aurait pas pu imaginer. Juste en cauchemar, peut-être…
S’il reste encore un peu de place sur la page, je voudrais juste dire un mot sur la manière dont le monde du village de Saint-Pierre s’approvisionnait en eau à la même époque. Un autre Octave, Octave Lebleu, gagnait sa vie en remplissant les citernes des maisons. Il prenait l’eau du puits municipal, qui était juste à côté de la boulangerie de Georges Fréchette.
L’idée de mettre en scène la grosse citerne à Lebleu m’est venue en 2008, après le départ pour le nouveau monde d’un des fils du boulanger, André Fréchette, un prof du Collège de Saint-Boniface qui avait fait sa part pour la francophonie manitobaine. Asteure, je peux inclure dans l’hommage son frère Albert, Mgr Fréchette, qui aimait aussi dessiner, qui aurait fait un solide forgeron, et qui est décédé l’année dernière.