C’est un soutien sans faille qu’apporte Mitch Bourbonnière aux Manitobains dans le besoin. Depuis plus de 40 ans, le récipiendaire de l’Ordre du Manitoba 2020 navigue entre plusieurs associations et organismes pour venir en aide aux plus démunis. Une mission qui a changé la vie de ce père de trois enfants.

Par Jonathan SEMAH

Itinérance, vulnérabilité, jeune à risque, santé mentale, toxicomanie ou encore violence familiale voici certains des sujets avec lesquels vit au quotidien Mitch Bourbonnière. C’est au plus près des difficultés que Mitch Bourbonnière travaille et donne son temps. Mais après des années d’activisme et de travail social, il voit encore en 2022 énormément de souffrances. 

« Non, je n’ai pas l’impression que les choses s’améliorent en ce moment. Au contraire, je crois qu’il y a de plus en plus de besoins. La COVID-19, l’économie, le prix de l’essence, l’inflation, tout a un impact multiplié sur des personnes déjà en difficulté. L’isolation, la santé mentale, la drogue, les overdoses, non, malheureusement, je n’ai pas beaucoup de bonnes nouvelles ces derniers temps. »

De manière générale, Mitch Bourbonnière qui, d’une certaine manière, est un thermomètre de la société manitobaine ressent beaucoup de souffrances. Même pour des personnes qui ont un emploi et un toit pour s’abriter. La question économique notamment est une vraie préoccupation. De son côté, Mitch Bourbonnière doit s’adapter à cette réalité. Son rôle a plutôt évolué ces dernières années. 

| Survivre dans la rue

« Les gens survivent du mieux qu’ils peuvent. Pour moi, c’est finalement un peu plus simple aujourd’hui. Je suis plutôt à la fin de ma carrière et j’ai fait toutes les activités possibles. Avec le temps, je reviens à ce que j’aime le plus, et avec quoi j’ai commencé, c’est-à-dire, être présent dans la rue. Prendre soin des gens, les rencontrer, leur donner à manger et s’assurer qu’ils aient le minimum vital. »

Si c’est ce qu’il aime le plus, être tous les jours dans la rue n’est sûrement pas l’activité la plus simple ou la plus sécuritaire pour Mitch Bourbonnière. Il rencontre beaucoup de misère certes, mais aussi beaucoup de solidarité. 

« Dans les rues, on est confronté au crime, le commerce du sexe, la traite d’êtres humains, les drogues, l’alcool, les gangs et la violence. Mais malgré tout, il y a aussi de bons côtés. De l’amitié, de l’entraide et des personnes qui tiennent les unes aux autres. Et les gens sont vrais et sincères. 

« J’apprécie beaucoup les gens dans la rue et j’apprécie les discussions que j’ai avec eux. L’un de mes buts est aussi de leur donner le sourire.Pour ça, des actions simples suffisent : donner un sandwich, un café, faire attention à eux, avoir de l’humour, leur parler en utilisant leurs noms et les regarder dans les yeux. C’est grâce à ça que je crée des relations fortes et évidemment ça me fait du bien à moi aussi. »

| Des débuts très jeunes

C’est à 16 ans en 1979 que Mitch Bourbonnière s’est lancé dans le bénévolat. Il y a trouvé une forme d’apaisement pendant une adolescence assez agitée.

« Dans ma famille, je n’avais pas vraiment de modèle qui donnait du temps pour ce genre de cause. J’ai eu une enfance délicate, j’étais moi-même un jeune à risque. J’avais des problèmes d’apprentissage, je n’étais pas bon à l’école. J’ai connu des abus, j’avais toute une gamme de psychologues qui me suivaient. Je prenais des médicaments. J’étais un jeune à problèmes. »

Mitch Bourbonnière s’est alors rapproché de Rossbrook House, un centre d’accueil pour jeunes à Winnipeg. Il a aidé de temps en temps puis c’est devenu son quotidien, c’est à ce moment-là qu’il a trouvé sa voie. Avec le temps, il obtient une maîtrise en travail social et a été aussi enseignant à l’Université de Winnipeg. Le bénévolat a changé sa vie. 

« Si l’on regarde ma jeunesse, je ne veux pas imaginer ma vie sans le bénévolat. Le bénévolat a été mon vrai médicament! Aider les autres, m’aide. Je ne le fais pas pour moi, je le fais pour eux et ça me soulage beaucoup. Je dis souvent ça aux gens : Si vous êtes malheu-reux, allez aider quelqu’un, cela vous sortira de votre malheur. Il y a une expression qui dit Ils font plus pour moi que je fais pour eux. Et dans mon cas, c’est totalement vrai. »

Mitch Bourbonnière est heureux d’avoir fait ces choix à l’époque. Il sait bien qu’il a pris le bon chemin quand tout lui indiquait les mauvaises portes à prendre. Aujourd’hui, l’une de ses plus grandes réussites est de travailler avec des jeunes qui lui ressemblaient.

« Je leur apprends à être bénévoles et je leur montre les beaux aspects de la vie. Certains viennent vers moi en demandant de l’aide. J’accepte toujours, mais je leur dis : Je t’aiderai, mais en retour tu dois aider les autres. Et puis je ne suis pas seul. Je suis un porte-parole mais si j’étais seul je ne pourrais rien faire. Donc je veux souligner les efforts de tous ceux qui m’accompagnent chaque jour. »

| Une jeunesse plus impliquée

À presque 60 ans, Mitch Bourbonnière a donc une vision large de son activité. Une nouvelle génération arrive et même si la société se replie sur elle-même et qu’il y a de plus en plus d’individualisme, Mitch Bourbonnière sent une jeunesse prête à aider.

« J’ai de l’espoir. Les jeunes regardent autour d’eux et voient bien tout ce qu’il se passe. Il y a de quoi être dépressif quand on voit le monde. L’économie, l’environnement, la guerre, c’est dur, ils sont à la recherche de sens. Ils veulent changer le monde et être des acteurs du changement. Beaucoup de jeunes font de très bons bénévoles. »

Tout au long de sa grande carrière de bénévole, Mitch Bourbonnière a connu des histoires bien différentes. Sans même y réfléchir, il revient sur une anecdote qui a eu lieu en 2016. Ce jour-là, sa vie était littéralement en jeu.

« Lors d’une de mes missions avec l’équipe de Mama Bear Clan, nous étions à la recherche d’une jeune adulte de 17 ans. Elle avait fugué du centre et voulait se suicider en se jetant dans la rivière Assiniboine.

« Solitude, dépression, aucun espoir, sont autant de choses qui ont mené cette jeune à avoir cette envie-là. Puis, on l’a trouvée dans l’eau, nous étions en décembre, l’eau n’avait pas encore gelé. 

« Je ne pouvais pas la laisser mourir. Avec moi, ce jour-là, j’avais un jeune volontaire qui s’était engagé après justement le suicide de sa soeur. Il avait cette impression en sauvant cette fille qu’il sauvait aussi sa propre soeur. 

Nous avons donc pris une corde. Le jeune homme avait le bout de la corde et moi j’ai avancé jusqu’à la fille. Il faisait sombre, froid et il y avait beaucoup de courant. Elle ne coopérait pas, elle ne voulait pas être sauvée.

« Je me suis dit qu’on allait tous les deux mourir. Puis, quelque chose, que je n’explique toujours pas aujourd’hui, a changé en moi. Je lui ai demandé de l’aide. Je me suis mis à pleurer en lui disant : Aide-moi, aide-moi. Je crois que ça lui a fait un choc de me voir dans cet état. Elle s’est rapprochée de moi et le jeune homme nous a tirés tous les deux pour nous sortir de l’eau. »

À partir de là, la jeune adulte a changé d’attitude et sa vie a changé. Elle est d’ailleurs devenue bénévole. Mitch Bourbonnière a toujours de ses nouvelles et ils sont devenus de bons amis. 

Pour cette action, Mitch Bourbonnière a d’ailleurs reçu la médaille de bronze pour bravoure de la Canadian Humane Association.

| Toujours très actif

Désormais, Mitch Bourbonnière se concentre sur trois organismes pour lesquels il donne de son temps : la patrouille de Mama Bear Clan, Ogijiita Pimatiswin Kinamatwin (OPK) avec laquelle il marche sur Main Street pour agir auprès des gens qui vivent dans la rue et enfin le Downtown Community Safety Partnership Winnipeg (DCSP) qui travaille pour créer un centre-ville plus sûr et plus accueillant. « Ça me fait des semaines chargées, mais ça me va. J’ai ma routine, ça m’occupe et c’est ce que j’aime faire. Je me sens épanoui et ça me rend fier. »