C’est le 10 septembre que le Parti conservateur du Canada connaîtra son nouveau chef. Après une campagne qui a duré tout l’été, mais qui n’a pas toujours passionné les foules, les membres du parti sont appelés à choisir. Retour sur cette campagne et les potentielles issues qui peuvent en ressortir.
Par Jonathan SEMAH
S’ils sont cinq (1) sur la ligne de départ, deux candidats se détachent franchement pour la succession d’Erin O’Toole à la tête du Parti conservateur du Canada (PCC).
Pierre Poilievre, député de la circonscription de Carleton en Ontario, et Jean Charest, ancien Premier ministre du Québec, sont les deux favoris.
Pour aller plus loin, Pierre Poilievre est l’ultra favori si l’on regarde les récents sondages. À la mi-août, selon un sondage Léger, Pierre Poilievre obtient 44% des voix des électeurs conservateurs contre 17% pour Jean Charest.
Alors à quelques jours des résultats, existe-il encore un semblant de suspens?
« Il y a encore du suspens. Mathématiquement, ce n’est pas encore perdu pour Jean Charest. Mais pour qu’il puisse garder une certaine chance, il faut vraiment qu’il y ait un raz-de-marée vers sa personne des autres candidats », explique Félix Mathieu, professeur adjoint en sciences politiques à l’Université de Winnipeg.
Félix Mathieu rappelle également que lorsque Patrick Brown, maire de Brampton en Ontario, a été mis hors course le 5 juillet dernier pour violation de la Loi électorale, il avait appelé à voter Jean Charest en raison des valeurs plus modérées de ce dernier.
« Ça ne veut pas dire que ceux et celles qui auraient voté pour Patrick Brown vont automatiquement voter Jean Charest. Mais si l’écrasante majorité le font, si Jean Charest s’assure le soutien de l’essentiel des votes du Québec et de l’atlantique, s’il en prend un peu du côté de l’Ouest Canadien et de l’Ontario, alors ce n’est pas impossible.
Mais, cela fait beaucoup de conditions et ça montre bien que Pierre Poilievre est bien placé pour l’emporter. »
Membre du PCC depuis des décennies, le Manitobain Rhéal Teffaine voit aussi l’un de ces deux candidats l’emporter. Il dresse les qualités des deux prétendants.
« Jean Charest est un vieux soldat qui est passé à travers de toutes sortes de situations, qui a toujours été capable de se sortir du pétrin. C’est un politicien averti.
Pierre Poilievre, je le connais un peu moins. Mais il est clair que ce n’est pas un politicien qui va simplement s’asseoir et ne pas faire avancer les choses. Il va travailler très fort. Je pense que s’il est élu, il a de bonnes chances de battre Justin Trudeau. »
| Une campagne pas si populaire
Le spécialiste en sciences politiques fait aussi le bilan de cette campagne. Deux éléments ont retenu son attention.
« D’abord, cette campagne n’aura pas soulevé les passions populaires au Canada. Ça n’a rien de statistiques mais j’ai parlé tout l’été avec des proches, de la famille ou même des personnes avares de sujets politiques, et la plupart d’entre eux avaient oublié cette course à la chefferie. Ça avait pourtant commencé avec une série de débats puis plusieurs semaines sans aucune rencontre de ce genre. Le dernier débat a même eu lieu sans Pierre Poilievre.
« Je retiens aussi le changement d’image de Jean Charest. Il était vu pendant plusieurs semaines comme le Premier ministre libéral du Québec. Mais au cours de l’été, j’ai l’impression qu’il s’est distancé de cette image-là pour devenir un candidat à la chefferie conservatrice au fédéral. Il s’est émancipé de cette image provincialiste. »
| La francophonie peu mise en avant
Entre tous les sujets évoqués pendant les débats et importants pour les Canadiens, la question de la francophonie n’a pas toujours été mise en lumière par les candidats.
Seul un débat s’est fait en français et à part Pierre Poilievre et Jean Charest, à l’aise, les autres prétendants, Leslyn Lewis, Scott Aitchison et Roman Baber avaient des difficultés pour s’exprimer en français.
« On peut tout de même se réjouir que les deux favoris soient bilingues. Ça reste une qualité, d’un point de vue subjectif, qu’on recherche chez nos leadeurs.
Maintenant, ça reste à savoir si la question du bilinguisme sera effectivement au sommet des priorités pour le futur gagnant. Sur le fond, on n’a pas eu le droit à de grands enjeux spécifiques sur la matière », décrypte Félix Mathieu.
Rhéal Teffaine, de son côté, espère bien que la francophonie et le bilinguisme resteront des thèmes chers au futur chef.
« En tant que membre, j’appuierai également ces sujets. Je ne garderai pas mes opinions pour moi-même. J’ai bataillé fort pour ça toute ma vie et je ne vais pas lâcher maintenant. J’attends du futur chef qu’il soit ouvert sur ces questions. »
| Le PCC se prépare
Même si la campagne n’a pas joui d’une grande ferveur populaire, le PCC a tout de même profité de l’effet de cette campagne.
Selon les conservateurs, 678 708 électeurs éligibles sont inscrits pour voter afin d’élire le prochain chef du Parti. En tenant compte du nombre de membres, ce nombre établit un record absolu pour tout parti politique fédéral. Felix Mathieu tempère ce chiffre.
« Ça dit deux choses. Ça peut être dû à un effet de perspectives avec des membres qui n’avaient pas renouvelé leur carte de membership lors des mandats des précédents chefs. Certains ont dû se dire qu’il y avait là une vraie course à la chefferie et que ça serait un bon moment pour renouveler leur carte.
Deuxièmement, il faut indiquer que c’est clairement Pierre Poilievre qui a réussi à chercher le plus grand nombre de nouveaux partisans. On s’est rendu compte que c’était un politicien capable de mobiliser les réseaux sociaux et rejoindre une clientèle électorale que ses adversaires ne réussissent pas à faire avec la même habileté. »
En effet, l’équipe de campagne de Pierre Poilievre avait annoncé, durant l’été, avoir vendu plus de 300 000 adhésions pour soutenir sa candidature à la direction du PCC.
Rhéal Teffaine voit ces chiffres en hausse d’un bon oeil. Selon lui, cela démontre l’envie de changement pour les prochaines élections fédérales.
« C’est très positif. Les gens sont intéressés à rejoindre le Parti conservateur pour défaire les Libéraux aux prochaines élections. Les gens demandent aussi plus de transparence. Beaucoup de politiques de Justin Trudeau n’ont pas de réponses quand on veut savoir comment elles seront financées. Il est temps de changer ça. »
(1) Les autres candidats en lice sont : Leslyn Lewis, Scott Aitchison et Roman Baber.