Mes premières semaines d’école se sont passées dans la maison d’Ovide Nault. La vieille école avait brûlé et la nouvelle école n’était pas encore tout à fait prête.
Récit recueilli par Bernard BOCQUEL – Collaboration spéciale
Quelques années plus tard, je crois bien que j’étais au grade 4, la nouvelle école a failli connaître le sort de l’ancienne. On avait bien senti la boucane. Le feu avait pris dans la cheminée. On a garroché de l’eau. Ça a suffi, mais tout aurait pu brûler. Après on s’est gratté la tête. On a fini par découvrir qu’une des briques de la cheminée était en bois!
Chez nous, sauf circonstances exceptionnelles, l’école était jamais vraiment un sujet de conversation. Ça fait qu’en rentrant au grade 1, je ne savais pas trop à quoi m’attendre.
Aujourd’hui on est dans une toute autre réalité. Il y a des maternelles, même des prématernelles, et il n’est absolument pas question de donner la strappe. Ma première maîtresse, c’était une mademoiselle Desautels. Une mauvaise. La mode du temps permettait un comportement pareil. Elle pouvait être violente, même avec les tout petits. Elle était reconnue pour ça. Elle était forte, même si elle était maigrichine.
L’année suivante, on a eu la chance d’avoir mademoiselle Annette Ruest. C’était une douce. Ensuite on a eu madame Léa Nault, la femme à Delphin Nault, une Pelletier qui venait du coin de Richer. Vers la fin de l’année, les grands ont bien remarqué qu’elle était enceinte. Un scandale, dans notre petit monde. Nous les petits on n’avait rien vu. Les plus âgés en ont profité pour prendre des libertés avec la discipline. Pour le dire en canayen, des fois le yable était aux vaches.
Ça fait que pour l’année suivante, les commissaires de l’école ont embauché une mademoiselle Lucille Manaigre de Lorette, qui a rétabli la discipline. Elle n’était pas aussi tough que mademoiselle Desaultels, mais une fois que la cloche avait sonné et que la vingtaine d’élèves était en rang, c’était fini le parlage. Nick Stadnyk a été le premier à prendre une claque sur la yeule. Paf!
Le matin l’école commençait à huit heures trente. Nous les Bérard on vivait à la limite nord de l’école de Saint-Pierre-Sud, à environ trois-quarts de mille. Dans notre coin, on était les plus loin. Chemin faisant on ramassait les Gratton, et puis les Nault, puis on passait chez les Larivière – là c’était juste des filles. En fin de compte, on arrivait à l’école en groupe, toujours à l’heure, très rarement en retard.
Septembre, c’était un bon temps de l’année pour reprendre la marche vers l’école. Dans les bois, les fruits sauvages ne manquent pas à la fin de l’été et au début de l’automne : les cerises sauvages, les prunes, les poirettes (connues aussi comme les saskatoon) et les alises, des baies plutôt plates qui viennent en grappes et virent au violet.
Chacun portait sa boîte à lunch, qui était souvent une chaudière de sirop Bee Hive qui contenait généralement une couple de beurrées, autrement dit de quoi entre deux tranches de pain fait maison.
Au temps de la rentrée scolaire, c’était des beurrées aux tomates, ou aux sardines ou à la baloney, parce que c’était aussi le temps des battages et les batteux avaient droit à de la viande. Plus la saison avançait et plus on retournait à des beurrées plus ordinaires, mettons des beurrées à la mélasse.
On entrait à l’école par le tambour, où on laissait nos boîtes à lunch et nos gros habits l’hiver, qu’on suspendait à des crochets. Un escalier descendait au sous-sol, où il y avait la fournaise et où on passait nos récréations vers dix heures, midi et deux heures de l’après-midi quand il faisait trop froid ou qu’il pleuvait.
Quand il faisait beau, on pouvait jouer à tag ou à la balle molle, les filles comme les garçons.
Un escalier de quelques marches montait jusqu’à la salle de classe. Les deux plus petites fenêtres de l’édifice sont celles du coqueron, comme on appelait le coin où il y avait une fontaine d’eau. Il faut imaginer un petit chaudron avec une champelure. On buvait l’eau dans des petites tasses en papier. Les commissaires avaient fait des dépenses d’extra, même si dans le temps il n’y avait pas d’argent à jeter dehors. Au moins on réutilisait nos tasses. Dans nos familles, on avait tous appris à ménager.
Ceux qui s’ennuyaient en classe pouvaient toujours essayer de se consoler en pensant au sort des deux, trois ou quatre chevaux qui amenaient les écoliers qui habitaient vraiment loin. Eux étaient pris dans la petite écurie en arrière de l’école du matin jusqu’à vers quatre heures et demie de l’après-midi dans un endroit sans fenêtre, sans paille, sans auge, les quatre fers sur un plancher en ciment. Effrayant! Avoir été joual, j’aurais refusé de prendre le chemin de l’écurie maudite. Certains se sont d’ailleurs rebellés.
À l’école on était presque tous canayens. On venait du côté nord, sud et est de la Rivière-aux-Rats. De l’autre côté de la rivière, c’était le monde des Galiciens, c’est-à-dire des Ukrainiens. Les seuls d’eux autres qui venaient à notre école, c’étaient les Stadnyk, qui sont devenus trilingues.
Comme pour toutes les petites écoles de campagne, les plus grandes aidaient la maîtresse pour apprendre des affaires aux petits. C’étaient toujours des grandes, jamais des grands. L’école finissait au grade 8, mais beaucoup de garçons arrêtaient au grade 6. Ils calculaient que puisqu’ils savaient à peu près lire, compter et écrire, ils pouvaient aller travailler.
Le globe sur le bureau de la maîtresse leur avait appris qu’ils vivaient sur une petite planète ronde.
Et la grande carte au mur offerte par une compagnie de chocolat leur avait montré qu’il n’y avait pas de fond à la géographie et à l’histoire. Ça leur suffisait.
Dans un monde de petites fermes, c’était par le travail dur qu’un garçon devenait un homme et se sentait valorisé. Et puis il ne faudrait pas oublier que sur la ferme, on apprend aussi beaucoup de choses. De nos jours, il faut organiser des camps dans des champs pour apprendre comment marche la nature.
Les filles allaient au bout des huit années, parce que dans les familles, c’était souvent l’épouse qui s’occupait de la paperasse. La maîtresse demandait donc au plus vieilles de lire à haute voix des petites histoires qu’on trouvait dans notre syllabaire, en plus des belles images en couleur.
C’était peut-être aussi pour préparer le rêve chez certaines de devenir institutrices. Dans un monde terre à terre dominé par les hommes, il faut bien se rendre compte que maîtresse d’école, c’était un beau commencement dans la vie. De toute façon, on ne parlera jamais assez de l’importance du rôle des femmes. C’était encore Maman ou Mémère qui nous aidaient pour les devoirs qu’il fallait faire à la maison, souvent à la lampe à kérosène.
Une qui a dû étudier bien des fois à la lampe à kérosène, c’est Jeanne d’Arc Nault. Elle était déjà une des grandes quand j’ai commencé l’école. Elle rayonnait, Jeanne d’Arc. Non seulement elle a complété son grade 8 à la petite école de Saint-Pierre-Sud, mais elle a continué ses études dans des plus grosses écoles pour entrer en religion. Elle est devenue Fille de la Croix. Dans sa vie de religieuse, elle a longtemps enseigné aux petits.
Jeanne d’Arc était la petite dernière d’Albert-Charles Nault et de Louise Goulet. Son sens du dévouement, ça venait des parents. Albert-Charles était un bonhomme toujours content. Vraiment un homme de grande joie. Il aimait chanter It’s a long way to Tipperary, une chanson très populaire chez les soldats de la Première Guerre mondiale qui avait fait son chemin jusqu’à la Rivière-aux-Rats.
Puisque le sujet de la petite école nous a forcé à déborder sur la page quatre, je me permets d’ajouter un détail à la canayenne, juste pour dire la beauté des petits mondes. Une des filles d’Albert-Charles et de Louise, Yvonne Nault, a marié Arthur Clément. Et leur fils aîné Raymond Clément est bien connu des lectrices et des lecteurs de La Liberté à cause de ses chroniques qu’il patente depuis des années avec ses lunettes d’économiste. Sa tante Jeanne d’Arc serait très fière de lui.
En règle générale, j’ose soupçonner que même pour les écolières les plus studieuses, une bonne tempête de neige était toujours bien accueillie. Après la pause bienvenue, on reprenait notre même vieux sentier, peu importait le montant de neige. Comme disaient les Mitchifs, « le vieux chemin des marches à pied ».
Notre petite école se transformait en centre culturel de Saint-Pierre-Sud pour le concert de Nouël. Tous les élèves participaient, mais pas tous chantaient ou jouaient dans la pièce de théâtre. Des enfants apportaient des draps de lit. Accrochés à de la broche à foin, ils nous permettaient un lever de rideau qui avait de l’allure. Un rideau! Pareil comme le grand théâtre!
Le monde venait endimanché. La chemise blanche et la cravate étaient quasiment de rigueur pour les messieurs et les dames portaient leur plus belle robe. L’illustration annonce que les préparatifs sont en cours. L’épinette noire est accueillie de joyeuse manière. Elle n’a aucune valeur d’un point de vue commercial, mais elle a le don de mettre le monde dans l’ambiance des fêtes.
J’ose croire que le concert de Nouël était un temps fort pour bien des centaines de petites écoles de campagne qui parsemaient le Manitoba. Rien que dans notre coin de pays, à part la grosse école au village de Saint-Pierre, il y avait les écoles de Carey, Saint-Pierre-Nord et dans le large à au moins cinq milles au nord-est du village, il y avait l’arrondissement scolaire Sainte-Geneviève. On était à l’époque des saints.
Ça fait que ce Sainte- Geneviève, il ne faudrait pas le confondre avec le village de Sainte-Geneviève près de Sainte-Anne-des-Chênes, connu par son surnom de la Poche aux lièvres. Surnom donné à un temps il y avait tellement de gibier qu’on pouvait facilement remplir des poches à grain. Tandis que l’arrondissement scolaire de Sainte-Geneviève était connu comme la Talle d’épinettes. On y trouvait un gros magasin général et une fromagerie. C’était aussi le coin des Calvinces, comme on surnommait les Canadiens français venus du Québec dans les années 1930 à cause de leur tendance au sacrage.
Il y aurait tant à raconter encore sur mon temps à l’école de Saint-Pierre-Sud. Comme rendre hommage aux institutrices Marguerite Goebel et sa soeur Irène Goebel, qui ont bien des fois dû répéter : Non, c’est pas Gobeil, c’est Goebel. On ne peut rien contre l’instinct mitchif et canayen de chercher à tricoter des liens de parenté.
Irène Goebel avait bien senti que je n’avais qu’une idée dans la tête : aller aux beaux-arts. Il faut dire que depuis que j’étais petit, ma mère me parlait de son oncle Olindo Gratton de Sainte-Thérèse de Blainville, un statuaire reconnu en son temps. Mademoiselle Goebel me laissait faire tous les matins un petit dessin au tableau noir. Après le départ soudain pour le nouveau monde de ma chère Mémère en mai 1946, j’avais juste tracé une petite croix blanche…
Je ne reviendrai pas sur mon départ forcé de l’école le 7 mars 1950. À quoi bon se répéter ? (*) Par contre, je reste bien content d’avoir pu obtenir à l’encan après la fermeture de l’école numéro 1305 sa vieille cloche. Elle est restée à Saint- Pierre-Sud. Elle a toute sa place dans la cabane du vieux Gabriel Lafournaise. (**)
Je cré ben que je vais la faire sonner pour saluer la nouvelle rentrée scolaire!
(*) Voir La Liberté du 8 au 14 janvier 2020.
(**) Voir La Liberté du 10 au 16 août 2022.