FRANCOPRESSE – La Journée nationale pour la vérité et la réconciliation rappelle les allochtones à une tâche. Malmenée par les gouvernements, les services policiers et les services hospitaliers, la réconciliation semble encore lointaine, si ce n’est inatteignable. Mais rien n’empêche de se mettre à la tâche, sans attendre la classe politique ou les institutions visées par les recommandations. La réconciliation échouera si elle ne repose pas sur une initiative citoyenne.

Jérôme Melançon – Chroniqueur, Francopresse

Deux documents résument la tâche de la réconciliation au Canada.

Pour la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), la réconciliation est l’établissement de relations de respect mutuel. Ces relations prendront beaucoup de temps à développer, mais elles commencent avec la démonstration d’une volonté et d’un engagement à réformer les manières d’agir et les institutions qui les portent. C’est le sens des appels à l’action.

Pour la commission qui a mené l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (Enquête nationale), la réconciliation passe par des mesures pour arrêter le génocide.

Ces mesures doivent viser à arrêter les atteintes aux droits et à la vie que l’État canadien commet ou tolère, ainsi que la violence dont les femmes, filles et personnes 2ELGBTQQIA autochtones sont victimes au quotidien.

Elles doivent mener à la sécurité et au respect des droits de la personne et des droits autochtones, ainsi qu’à une véritable égalité. Ces principes sont essentiels à toute relation de respect.

D’abord la vérité

Dans le discours et l’imaginaire publics, l’idée de la réconciliation est intimement liée à l’histoire des pensionnats pour enfants autochtones et à leurs séquelles. L’importance de bien connaitre le passé, même récent, afin de ne pas le répéter est l’un des enseignements de la CVR. Toutefois, il ne suffit pas de connaitre cette histoire.

Le rapport de la CVR montre patiemment comment les objectifs des pensionnats continuent d’être poursuivis par de nouvelles politiques. Le sous-financement des écoles, la surincarcération des personnes autochtones (et notamment des adolescents et adolescentes), le système dit de protection de la jeunesse, ainsi que l’absence d’une politique robuste sur les langues autochtones contribuent à séparer les enfants autochtones de leur famille, de leur communauté, de leurs culture et langues, et de la société allochtone.

Il y a donc la vérité dont témoignent les survivants et survivantes des pensionnats, mais également celle de chaque personne autochtone qui doit vivre au sein de ces institutions.

Le rapport de l’Enquête nationale porte surtout sur les conditions qui créent ou encouragent la violence, soit la présence d’un traumatisme lié aux pensionnats et aux politiques coloniales plus vastes, la marginalisation tant sociale qu’économique, l’absence d’une volonté de changer les choses, et le refus de reconnaitre l’expertise et la capacité des femmes, filles et personnes 2ELGBTQQIA autochtones à agir pour transformer leur propre situation.

L’absence d’autodétermination est ainsi une composante de la situation des peuples autochtones. Elle empêche que de véritables efforts soient mis en branle pour répondre aux besoins distincts et à l’insécurité culturelle des communautés autochtones.

Passer à l’action

Tant la CVR que l’Enquête nationale ont formulé des appels plutôt que des recommandations. On le sait bien, les recommandations ont tendance à demeurer sur les tablettes ou dans les oubliettes numériques du site du gouvernement du Canada.

Ce fut le cas de la Commission royale sur les peuples autochtones qui, dès 1996, a mis de l’avant bon nombre de recommandations que ces commissions ont reprises.

Contrairement à une recommandation, qui est simplement proposée, un appel a une portée plus large. Appeler à l’action, c’est aussi appeler à ne plus faire preuve d’inaction. Appeler à la justice, c’est aussi appeler à ne plus tolérer l’injustice.

Et tandis que la plupart des appels des deux commissions s’adressent aux gouvernements, plusieurs visent aussi les entreprises qui emploient des gens et les institutions qui les aident à mener une bonne vie, comme les écoles et les Églises.

Il n’est pas difficile d’imaginer les manières dont chaque personne peut reprendre certains appels à son compte pour faire avancer la transformation sociale qu’exige la réconciliation – et encore moins les manières dont elle pourra relayer les appels au sein des institutions auxquelles elle participe.

Une initiative citoyenne

En ajoutant notre voix à celles des commissions et des peuples autochtones, nous pourrons exercer le genre de pression qui motivera les gouvernements et autres institutions à transformer leurs pratiques.

Avant tout, relayer les appels à l’action et à la justice servira à montrer qu’il y a un avantage à la réconciliation, qu’il soit électoral ou économique. Rappeler ces appels à la mémoire des personnes en position d’autorité pourra contribuer à les responsabiliser.

Mais la manière la plus claire et efficace de s’engager pour la réconciliation est de le faire soi-même, avec d’autres, de créer les moyens de la réconciliation.

La sensibilisation demeure nécessaire, mais les formations professionnelles ne suffiront pas à transformer les attitudes ni surtout les gestes et les pratiques qu’encouragent les institutions qui existent déjà.

Un tel travail pourrait passer par des groupes de pression locaux, au sein d’entreprises, d’une église ou des municipalités, par la mise en place de mécanismes de contrôle interne pour que ces institutions prennent leurs responsabilités, ou par des comités d’action pour organiser des campagnes et des manifestations afin de demander des mesures concrètes, comme ce fut le cas à la suite de la découverte de centaines de tombes sans sépulture à l’été 2021. Huit des appels à la justice de l’Enquête nationale vont d’ailleurs dans le sens de telles actions.

Avant tout, il sera important de soutenir, avec son temps et ses ressources, les activistes, chercheurs, chercheuses et organismes autochtones qui mènent déjà ce travail et d’apprendre auprès de ces personnes et groupes.

Un appui fort des francophones en faveur d’une politique robuste sur les langues autochtones, qui protègerait celles-ci plus que le français ne l’est, pourrait avoir un impact considérable.

Se laisser inclure ainsi dans les projets et actions des autres tout en veillant au respect de leurs droits et surtout de leur autodétermination, c’est déjà transformer le sens de la citoyenneté, établir de nouvelles relations individuelles qui pourront être respectueuses, et mettre en place les conditions d’autres relations entre personnes allochtones et autochtones.