FRANCOPRESSE – Face à la pénurie d’enseignants en immersion française, l’Association canadienne des professionnels de l’immersion tente de susciter des vocations chez les jeunes en lançant La Grande virée, une campagne de recrutement qui parcourt le pays. Elle est partie de l’Île-du-Prince-Édouard pour un périple de 7500 kilomètres à travers l’Est du Canada, à la rencontre de jeunes du secondaire et du postsecondaire.

Marine Ernoult Francopresse

« On est inquiet pour la survie des programmes d’immersion française. Partout au pays, des classes ferment à cause de la trop grosse pénurie d’enseignants », s’alarme Chantal Bourbonnais, directrice générale de l’Association canadienne des professionnels de l’immersion (ACPI).

Le lundi 12 septembre, la responsable a participé au lancement à l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) de l’édition de La Grande virée dans l’est du Canada. Cette campagne de recrutement, mise sur pied par l’ACPI, vise à susciter des vocations d’enseignants chez les élèves du secondaire et les étudiants du postsecondaire.

« Nous voulons donner le gout d’enseigner à nos jeunes, leur ouvrir les yeux sur des carrières auxquelles ils n’avaient pas forcément pensé », témoigne Marie-Lyne Bédard, représentante de l’ACPI à l’Î.-P.-É. et enseignante en immersion à Charlottetown.

Depuis l’an dernier, l’équipe Teacher 5étoiles de l’ACPI part à la rencontre d’élèves du secondaire, de la 10e à la 12e année, à bord d’une caravane jaune, turquoise et mauve baptisée Margo.

Au printemps 2021, elle a parcouru 12 000 kilomètres dans l’Ouest canadien et, cette année, elle s’apprête à faire 7500 kilomètres à travers la région Atlantique, le Québec et l’Ontario.

« On a déjà rencontré 3000 jeunes du secondaire et 350 inscrits à l’université », se félicite Marie-France Gaumont, gestionnaire de la stratégie de recrutement et de rétention d’enseignants en immersion au sein de l’ACPI.

Une pénurie «pire dannée en année» 

L’association tient des kiosques d’informations dans les cours d’école et organise de nombreuses activités. Les élèves peuvent entre autres répondre à un questionnaire afin de savoir s’ils ont le profil pour devenir enseignants en immersion.

Dans chaque province que la caravane visite, l’ACPI offre aussi une bourse d’études de 1 000 dollars à un élève du secondaire qui veut entreprendre des études en éducation.

La caravane se rend également dans les universités. Des rencontres virtuelles sont notamment organisées entre les diplômés en éducation et les conseils scolaires à la recherche de personnel.

L’idée de La Grande virée est née il y a quatre ans, à la suite d’une consultation pancanadienne menée par l’ACPI auprès de mille professionnels de l’immersion française. Les résultats ont fait ressortir que le manque d’enseignants constitue le défi majeur. L’organisme a alors décidé de mettre sur pied une stratégie pour valoriser la profession et faciliter le recrutement à travers tout le pays.

« La pénurie n’est pas une problématique récente, mais c’est pire d’année en année. Les retards s’accumulent, car de plus en plus de gens partent à la retraite », s’inquiète Marie-France Gaumont.

« Les conseils scolaires ont besoin d’un nombre croissant d’enseignants, car le bilinguisme est de plus en plus valorisé et l’immersion de plus en plus populaire auprès des familles », poursuit Chantal Bourbonnais. Selon la responsable, plus on s’éloigne des grands centres urbains, plus les difficultés de recrutement sont criantes.

Au moins 1400 enseignants manquent à lappel 

Marie-France Gaumont assure que les carrières sont pourtant intéressantes. Elle évoque « les offres alléchantes » des conseils et commissions scolaires, avec des aides à l’installation ainsi que des programmes d’accueil et de soutien sur place.

En 2021, l’ACPI a pour la première fois quantifié cette pénurie. Selon l’étude qu’elle a menée, 10 000 enseignants de français langue seconde manquent à l’appel, dont 1400 en immersion. « Et quand on va dans les provinces, les ministères nous disent qu’en réalité c’est trois fois plus », rapporte Marie-France Gaumont.

Le manque de main-d’œuvre n’épargne actuellement aucun secteur, mais les difficultés sont encore plus grandes en immersion, « car on doit trouver des personnes parfaitement bilingues, capables de fonctionner dans les deux langues officielles », explique Marie-France Gaumont.

À cet égard, l’insécurité linguistique vécue par certains jeunes ayant le français comme langue seconde représente un obstacle supplémentaire. « Ils n’osent pas se lancer dans une carrière en français, car ils jugent leur niveau trop mauvais », regrette Marie-France Gaumont.

« Il faut leur redonner confiance, leur dire qu’ils peuvent être de bons pédagogues même si ne c’est pas leur langue maternelle », insiste Marie-Lyne Bédard. L’enseignante à l’Î.-P.-É. rappelle que ces jeunes dont le français est la langue seconde comptent aujourd’hui pour 75 % des enseignants en immersion et représentent le vivier de recrutement le plus important.

Reconnaitre l’expérience professionnelle 

Garder les enseignants après plusieurs années constitue un autre défi de taille. « On en perd beaucoup trop en cours de route. On parle souvent du cap des cinq ans, mais déjà, au bout de deux ans, on a du mal à les retenir », regrette Marie-France Gaumont.

Pour changer la donne, l’ACPI mise sur le recrutement à l’international et réfléchit à des manières de reconnaitre l’expérience professionnelle de celles et ceux qui ont la vocation, mais pas nécessairement le diplôme requis.

« Il faut trouver des façons de faire valoir leurs connaissances acquises sur le terrain que ce soit au Canada ou à l’étranger », précise Marie-France Gaumont.

En attendant, l’ACPI assure que La Grande virée porte déjà des fruits. « Dans l’Ouest, plusieurs jeunes qui ont décroché notre bourse se sont inscrits dans un baccalauréat en éducation. Ce sont des petits pas, qui peuvent faire la différence », salue Chantal Bourbonnais.

Le mois prochain, l’ACPI va également démarrer une nouvelle étude pour évaluer l’offre des universités et le nombre de places disponibles dans les programmes d’études en éducation en français. « Ça va être un point de départ pour mener des actions concrètes auprès des établissements d’enseignement postsecondaires », affirme Chantal Bourbonnais.