Après neuf années comme juge en chef du Manitoba, le juge Richard
Chartier a décidé de prendre sa retraite définitive du monde juridique le
30 octobre 2022. Il sera le troisième juge de la Cour d’appel à quitter le plus
haut tribunal de la province cette année.
Le féru d’histoire a accepté pour La Liberté de revenir sur quelques temps
forts de sa carrière. Le quatrième juge en chef du Manitoba francophone
après Joseph Dubuc, James-Émile Prendergast et Alfred Monnin, nous
esquisse aussi sa vie d’après.

(suite de la partie 1)

Par Ophélie DOIREAU

À titre personnel, vous avez sans doute entrepris des actions qui vous rendent toujours fier…

Au début de ma carrière de juge, entre 1994 et 1998, j’avais le droit de m’impliquer dans des organismes communautaires qui n’étaient pas liés au droit criminel, puisque comme juge à la Cour provinciale, nos dossiers ne touchaient que du droit criminel. J’ai donc pu être
président du Centre Taché.

Par un concours de circonstances, mon père s’est retrouvé dans cette institution.
À ce temps-là, l’établissement ne fonctionnait qu’en anglais. Sauf que mon père, handicapé par son AVC, avait du mal avec l’anglais. J’ai piloté le dossier du bilinguisme dans cette institution et plus généralement pour le Manitoba.

En 1998, j’ai remis au Premier ministre de l’époque, Gary Filmon, le rapport connu sous le nom du « Rapport Chartier ». On m’avait demandé de faire
des recommandations pour améliorer la prestation de services gouvernementaux
en français. J’estime qu’après la période de crise sur les services en français au début des années 1980, mon rapport a apporté une paix linguistique, surtout avec l’innovation de la création des zones désignées bilingues qui assuraient des services en français aux francophones et des services en anglais aux anglophones. J’ai souligné qu’avant tout, il s’agissait d’une question de bon
sens.

En 1998, j’ai aussi eu l’honneur de devenir le président fondateur du Centre
de santé de Saint-Boniface.

En qualité de juge en chef du Manitoba, d’un point de vue local, en 2013, j’ai initié des échanges avec les autres juges en chef pour réfléchir à la façon dont nous pourrions améliorer notre système de justice. En 2014, nous avons fait valoir qu’il fallait une réforme du code criminel concernant les enquêtes
préliminaires. Le Fédéral a, par la suite, modifié la loi pour éliminer les enquêtes
préliminaires pour les peines de moins de 14 ans.

En 2014 encore, on a innové en autorisant les caméras dans les tribunaux, sauf pour les causes de divorce et les causes qui ont un impact sur les enfants. Justement, je voudrais faire remarquer l’amélioration du système de protection des enfants.

Ça prenait de 15 à 18 mois avant qu’un tribunal décide si oui ou non un enfant avait besoin de protection. Et durant cette période, un parent ne pouvait voir ses enfants que sous surveillance. Une situation qui était particulièrement au détriment des Autochtones. La Cour d’appel a tranché qu’il fallait prendre la décision en trois mois maximum.

Comme juge en chef vous avez aussi voulu jouer un rôle sur le plan fédéral…

De fait. Au niveau national, il y a eu la visite de la Cour suprême du Canada à
Winnipeg en 2019. C’est la première fois que le plus haut tribunal du pays se déplaçait en dehors d’Ottawa.

De 2018 à 2020, j’ai assuré la présidence nationale du Comité sur la formation des juges du Conseil canadien de la magistrature. Il était temps de revoir les politiques de formation pour qu’elles correspondent plus au besoin de la population. On revient toujours à la question fondamentale de la confiance du public envers le système de justice. Dans ces politiques actualisées, on a surtout
développé la dimension du contexte social, trop absent dans les causes.

Dans la même veine réformatrice, j’ai été l’un des neuf juges chargés de
moderniser les principes de déontologie judiciaire.

Votre départ entraînera-t-il la nomination d’un nouveau juge? Ou bien les effectifs sont déjà suffisants?

Il y a en ce moment huit juges à temps plein à la Cour d’appel, dont moi. Il y a aussi cinq juges surnuméraires. Mon départ va certainement amener la nomination d’un nouveau juge à la Cour d’appel, parce que mon poste va être vacant. Le prochain juge pourrait venir de le Cour du Banc du Roi ou de la Cour provinciale. En théorie, il pourrait aussi être avocat, même si pareille nomination ne s’est jamais vue. Dans la quasi-totalité des cas, il viendra de la Cour du Banc du Roi. Pour me succéder, l’un de mes collègues à la Cour d’appel devra être
nommé juge en chef.

Je précise que parmi les sept autres juges à temps plein, aucun ne peut entendre une cause en français.

Peut-on savoir quel est votre prochain projet?

Il y a beaucoup de juges qui vont visiter les cabinets d’avocats lorsqu’ils pensent
à la retraite. Moi, j’ai donné ma parole que je ferai entre huit et dix ans comme juge en chef. Après le 30 octobre, je me retirerai complètement du droit. Je ne veux pas aller dans un cabinet, je ne veux plus lire de décisions juridiques, je ne
donnerai plus d’avis juridique. Je veux passer beaucoup plus de temps avec mon épouse, Liza Maheu.

Après avoir pris beaucoup de repos, je serai prêt à offrir ponctuellement et gratuitement mes services pour mener des enquêtes sur des questions non
légales. Et si personne ne me sollicite, eh bien je me porterai volontaire à quelque place pour aider ma communauté.

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