FRANCOPRESSE – La tempête post-tropicale Fiona dans les provinces atlantiques a laissé des traces sur les écosystèmes locaux. S’il est encore tôt pour dresser un bilan complet, la répétition et l’accentuation des catastrophes naturelles extrêmes perturbent les habitats et testent la capacité des espèces à s’adapter, même dans des territoires qui ont longtemps été épargnés.
Camille Langlade – Francopresse
Les images sont percutantes. Des arbres couchés, des dunes balayées, des routes inondées. Lors de son passage dans l’Est du Canada le 24 septembre dernier, la tempête post-tropicale Fiona a causé d’importants dégâts.
Derrière ces paysages défigurés, des écosystèmes déjà fragilisés se trouvent menacés.
À l’Île-du-Prince-Édouard, le temps est à l’évaluation. « Aujourd’hui, nous n’avons pas encore une image complète. Il y a encore beaucoup à découvrir et à comprendre sur les effets de la tempête Fiona », s’inquiète Louis Charron, spécialiste des changements climatiques à Parcs Canada pour l’Île-du-Prince-Édouard.
Néanmoins, une chose est certaine : beaucoup d’arbres sont tombés dans toutes les zones du Parc national de l’Île-du-Prince-Édouard et le visage de l’ile a profondément changé.
« L’autre aspect majeur est l’érosion au niveau des côtes, notamment à cause de l’onde de tempête, [qui a provoqué] une soudaine montée des eaux », poursuit Louis Charron. Le niveau de l’eau a atteint 2,69 m au-dessus du point de référence, contre 1,80 m lors des tempêtes de janvier 2022.
« Au niveau des dunes, nous avons perdu entre 3 et 10 mètres », ajoute le spécialiste. Ces milieux côtiers servent d’habitats à beaucoup d’oiseaux migrateurs et espèces en voie de disparition, comme l’hirondelle des falaises ou le pluvier siffleur, qui ne se trouvaient pas dans le parc au moment du passage de Fiona, mais qui y vivent et s’y reproduisent pendant l’été.
« Si on se base sur notre expérience de la tempête Dorian de 2019, on peut s’attendre à ce qu’il y ait des zones inaccessibles pour eux. Mais de nouveaux habitats ont été créés. Nous verrons l’année prochaine à quel point il y aura eu des pertes et des gains d’habitat pour ces espèces », précise Louis Charron.
Des migrations perturbées
L’érosion pousse aussi les écosystèmes côtiers à migrer vers l’intérieur des terres. Or, ils se trouvent alors confrontés à différents types de construction, telles des routes, mais aussi à des barrières naturelles, comme des falaises.
On parle alors de coincement côtier, comme l’explique Angelica Alberti-Dufort, spécialiste en recherche et mobilisation des connaissances chez Ouranos, consortium québécois en climatologie : « Les écosystèmes se trouvent coincés entre la montée des eaux et des obstacles naturels ou anthropiques. Leur intégrité est menacée. »
Ces migrations forcées exposent aussi les écosystèmes à des températures supérieures dans les terres, ce qui favorise la survie de certaines espèces et la naissance de certaines autres.
« Certaines se déplacent vers le nord pour avoir des conditions plus fraiches, mais quand il y a des perturbations comme une inondation, des feux répétés ou une tempête, cela empêche la biodiversité de faire sa migration lente, alerte Angelica Alberti-Dufort. Certaines espèces vont alors réduire leur aire habitable, se contracter, faute de pouvoir se déplacer. »
Et tout porte à croire que ces phénomènes ne sont pas près de s’arrêter.
Une montée crescendo
L’adjectif « historique » revient souvent pour qualifier les évènements extrêmes de ces dernières années : des inondations de plus en plus couteuses, des feux dévastateurs, des ouragans toujours plus violents.
« On s’attend à ce qu’avec le changement climatique, les tempêtes maritimes s’intensifient davantage. Qu’elles soient plus graves et plus fréquentes », confirme Angelica Alberti-Dufort. Été comme hiver.
Elle fait observer que « normalement, pendant la période d’englacement dans le golfe du Saint-Laurent par exemple, la glace agit comme un bouclier qui protège les côtes. Mais là, avec le réchauffement climatique, l’englacement diminue. Donc quand il y a des tempêtes, les côtes sont plus vulnérables à l’assaut des vagues ».
Pourtant, des perturbations naturelles comme le feu ou le vent participent au maintien de la biodiversité, rappelle Peter Arcese, professeur titulaire au Département des forêts et des sciences de la conservation de l’Université de la Colombie-Britannique. « Le problème survient quand ces troubles deviennent de plus en plus fréquents, intenses et étendus. »
Selon lui, ce dérèglement climatique résulte aussi des activités humaines et de la mauvaise gestion de ces habitats. « Cela nous a pris 150 ans avant de le reconnaitre. »
La fin de l’exception canadienne?
Le professeur ajoute que : « L’histoire du développement industriel au Canada est récente. Bien sûr, les Autochtones étaient déjà là depuis des centaines d’années pour aménager le territoire, mais les Européens et les autres colons ont répandu une approche différente. Le Canada était considéré comme une terre intacte, vierge, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. »
Au contraire, il est devenu très vulnérable.
« Le Canada a un aspect nordique, avec une forêt boréale et des écosystèmes qui ne sont pas habitués à des températures chaudes et qui sont extrêmement sensibles aux variations du climat », décrit Angelica Alberti-Dufort.
« Jusqu’à présent, certaines espèces ne pouvaient pas survivre au Canada, mais avec le réchauffement climatique il y a de plus en plus d’espèces exotiques envahissantes qui arrivent, qui résistent et qui font compétition à nos espèces indigènes », déplore-t-elle.
Il faut se demander si ces dernières pourront s’adapter assez vite à notre climat pour subsister.
Des espèces résilientes
Des solutions existent, affirme Angelica Alberti-Dufort : « Si les espèces se déplacent, il faut leur assurer une connectivité écologique. »
La spécialiste prend l’exemple du Parc national Forillon en Gaspésie, au Québec, où un tronçon de la route 132, qui passait près du littoral, a été démantelé afin d’assurer un corridor vert. Le lieu a ensuite été revitalisé pour mieux résister aux tempêtes.
En tant que biologiste de l’évolution, Peter Acerse veut croire que derrière l’inquiétude, « nous sommes en train d’apprendre des choses très intéressantes sur la résilience de notre écosystème ».
Il cite au passage une étude menée par une équipe de l’Université nationale australienne de Canberra, qui a évalué la capacité d’adaptation de 19 espèces d’oiseaux et d’animaux par rapport au dérèglement climatique. Elle a montré que l’évolution des espèces étudiées a été deux à quatre fois plus rapide ces dernières décennies que ce qu’on croyait.
Même si cela ne suffira probablement pas à assurer la survie de toutes les espèces, le professeur y voit une note d’optimisme.