À la rentrée 2022, sept étudiants de l’Université du Manitoba ont pu choisir d’étudier le droit en français. En effet, depuis janvier le Sénat de l’université reconnaît officiellement la maîtrise du français dans le diplôme de droit. Une avancée pour l’accès à la justice en français.
Par Ophélie DOIREAU
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Depuis plusieurs années, Me Gerald Heckman et Me Lorna Turnbull, professeur.es en droit à l’Université du Manitoba, travaillaient sur des cours de droit en français afin d’obtenir une reconnaissance par l’université. C’est chose faite. Me Gerald Heckman se réjouit et voit en cette décision une vraie prise de conscience des droits des francophones.
« En janvier 2022, le Sénat de l’Université du Manitoba a accepté et a reconnu notre concentration d’accès à la justice en français. C’est donc désormais une partie intégrante du calendrier de l’université. Une bonne nouvelle pour la francophonie. »
Me Lorna Turnbull abonde dans le même sens que son collègue. « C’est formidable d’avoir cette concentration! On peut maintenant parler à haute voix de ce qu’on fait. »
Cette reconnaissance prend la forme d’une concentration comme le détaille Me Gerald Heckman. « Une concentration c’est comme une spécialisation que peut suivre un étudiant au sein d’un programme plus large. Cette concentration est reflétée sur le diplôme. Les étudiants recevront un diplôme de droit avec inscrit que l’étudiant a réussi la concentration d’accès à la justice en français.
« Ils doivent compléter un minimum de 26 crédits de cours en français. Ce sont des cours vraiment accès sur des aspects pratiques de la pratique du droit : des cours de plaidoirie, de négociation, de méthodes juridiques, des cours de terminologie ou encore des cours de droit de la famille.
« On essaye définitivement d’offrir des cours en français qui répondent aux besoins de la francophonie manitobaine. On sait qu’il y a un besoin criant dans le droit de la famille. »
Me Lorna Turnbull complète les propos de son collègue : « Cette concentration, c’est aussi une occasion pour les étudiants anglophones bilingues qui veulent développer leur français. On offre la possibilité de suivre un diplôme en français et en anglais. Pas soit l’un, soit l’autre. On facilite la capacité de nos étudiants de répondre aux besoins.
« Une petite cohorte permet de créer des liens plus forts entre les étudiants. Mais aussi de créer un réseau plus proche. Il y a un cours où on reçoit des invités de la communauté. Les étudiants commencent déjà leur réseautage avec des avocats qui sont intégrés. »
Pour cette rentrée, sept étudiants de 1ère année ont choisi cette concentration. Un bel élan pour Me Gerald Heckman. « En plus de ces sept étudiants, il y a 21 étudiants répartis entre la 2e et la 3e année, qui ne sont pas inscrits formellement à la concentration, qui prennent tous les cours nécessaires pour obtenir cette reconnaissance. Elle ne sera pas sur leur diplôme. Mais bel et bien sur leur relevé de notes.
« Pour donner un contexte, 21 étudiants représentent environ 7 % de la population de la Faculté. Évidemment, j’aimerais voir ce chiffre augmenter. »
Pour voir une augmentation, il fallait obtenir une reconnaissance officielle de la part de l’Université du Manitoba. « Nous ne pouvions pas publiciser avant cette reconnaissance. Désormais, on peut annoncer dans des journaux étudiants partout dans l’ouest canadien et dans le nord de l’Ontario.
« On espère que cette publicisation va permettre d’avoir davantage d’étudiants qui vont pouvoir s’inscrire à la concentration d’accès à la justice en français. Jusqu’ici les étudiants s’inscrivaient à la Faculté de droit et ensuite on envoyait des communications sur des cours en français. »
Outre cette bonne nouvelle pour le professeur, c’est aussi une bonne nouvelle pour les étudiants de l’Ouest canadien qui, jusqu’ici, n’avaient pas de réel programme de droit en français. Me Gerald Heckman en parle. « L’Université d’Ottawa offre un programme de certification de common law en français. L’université permet à des étudiants qui suivent des études de droit dans des facultés de l’ouest de poursuivre des études en français. Ils peuvent compléter 1/3 de leur diplôme à l’Université d’Ottawa.
« Il n’y a aucun autre programme développé par des universités à l’ouest. C’est l’Université d’Ottawa qui crée des partenariats.
« Notre force, c’est justement d’avoir développé notre propre programme au Manitoba. On tient compte des défis de nos étudiants issus de l’immersion. Ils ont parfois besoin d’appui sur leurs compétences langagières. On offre cet appui. »
C’est dans cette optique que Nadine Plourde a décidé de s’inscrire à cette première cohorte. « J’ai choisi ce programme grâce aux opportunités que je pourrais avoir à l’avenir. Pouvoir travailler dans les deux langues officielles permet de répondre aux besoins de beaucoup plus de personnes. »
Même son de cloche du côté d’Alexander Bastin. « Je pense que c’est un devoir civique d’être capable de parler les deux langues. Nous avons un pays bilingue, nous devons avoir un système juridique bilingue. Il y a davantage d’opportunités lorsqu’on travaille dans les deux langues en particulier avec le droit. »
En plus d’être professeur de droit à l’Université du Manitoba, Me Gerald Heckman est président de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba. Il ne connaît que trop bien les enjeux de l’accès à la justice en français. « C’est extrêmement important d’avoir des avocats qui soient capables de s’exprimer aussi bien en français qu’en anglais.
« Le Manitoba a une population francophone importante. Quand on a des problèmes avec la justice, qu’importe le degré de problème, on est plus à l’aise de s’exprimer dans la langue de son choix. Quand le client parle de choses personnelles, il veut pouvoir le faire dans la langue où il est le plus à l’aise.
« Un autre aspect est que le Manitoba accueille beaucoup de nouveaux arrivants franco-phones. Leur première langue n’est peut-être pas le français, mais c’est souvent une langue apprise et ils ne parlent pas anglais. Ils veulent donc être entendus en français et conseillés en français par leur avocat.
« Ce sont tous ces éléments qui nous font dire qu’il y a un vrai besoin d’avocats bilingues pour la justice en français. »