FRANCOPRESSE – Face à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la petite enfance, l’intégration de personnes formées à l’étranger est indispensable, voire urgente. En plus de devoir faire reconnaitre leur formation à l’étranger, certains travailleurs doivent soumettre leur dossier de reconnaissance des acquis en anglais dans leur province d’adoption.

Camille Langlade – Francopresse

L’intégration professionnelle des personnes formées à l’étranger a fait l’objet d’une discussion lors de la deuxième édition du Symposium national en petite enfance, organisée par l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) qui s’est tenu du 22 au 24 novembre.

Pour répondre aux besoins des familles, le recrutement et l’intégration de ces nouveaux professionnels restent plus que jamais d’actualité, selon les panélistes.

« Le Canada fait face à une pénurie généralisée de main-d’œuvre dans un contexte déjà difficile pour le recrutement francophone en milieu minoritaire », rappelle Ronald Ajavon, directeur général du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF).

Ronald Ajavon occupe le poste de directeur général du Conseil des écoles fransaskoises. (Photo : Gracieuseté CEF)

« On doit se presser »

Chiffres à l’appui, le directeur général de la Commission nationale des parents francophones (CNPF) a fait état d’une véritable « hécatombe » dans plusieurs services de garde partout au Canada : « En Colombie-Britannique, sur 204 postes, 56 ne sont pas comblés. À Terre-Neuve-et-Labrador, 12 postes restent à combler. » Tandis que l’Ontario n’est qu’à 37 % de sa capacité, a énuméré Jean-Luc Racine.

« Cela a des conséquences très graves sur la qualité des services », poursuit-il. Avec parfois des fermetures de postes ou de service de garde. Pour lui, il est urgent de recruter à l’international. « On doit se presser pour combler les places vides. »

Et la demande n’est pas près de faiblir. « Le gouvernement fédéral a commencé à mettre en place un système de garderie national. Cela va venir accentuer les défis de main-d’œuvre qu’on a déjà […] La demande va être plus importante et l’immigration va augmenter. Les gens vont avoir besoin de places en garderie », alerte Roukya Abdi-Aden gestionnaire en concertation nationale au Réseau de développement économique (RDÉE) Canada.

Reconnaissance des acquis

Cependant, les freins à l’intégration des personnes immigrantes sont nombreux, à commencer par la reconnaissance de leurs acquis. Par exemple, les diplômes obtenus à l’étranger ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur au Canada. Les personnes doivent parfois suivre des formations supplémentaires payantes, ou se voient dans l’incapacité d’obtenir un emploi en adéquation avec leur niveau d’études.

« C’est une chose de les faire venir, mais s’ils ne peuvent pas travailler, on ne profite pas de cette main-d’œuvre qualifiée », remarque Roukya Abdi-Aden.

Roukya Abdi-Aden occupe le poste de gestionnaire, concertation nationale au Réseau de développement économique (RDÉE) Canada. (Photo : Gracieuseté RDÉE Canada)

Il est important d’accompagner les nouveaux immigrants à leur arrivée, aussi bien au niveau administratif que financier, a précisé Ronald Ajavon. Par exemple, en nommant une personne responsable de ce processus au niveau des ressources humaines.

Pour le directeur du CÉF, il faut non seulement tenir compte des formations initiales, mais également des expériences de stage, de l’apprentissage « informel » de ces travailleurs, souvent non reconnus au Canada.

Les francophones désavantagés

« On a malheureusement encore trop d’obstacles », déplore Jean-Luc Racine. Des obstacles inhérents à la francophonie. Il cite la Colombie-Britannique, où les éducatrices qui arrivent doivent préparer un dossier conséquent… en anglais.

« Le gouvernement de la province refuse d’étudier le document en français », rapporte-t-il. L’éducatrice doit le traduire, à ses frais. Sans l’assurance que son dossier soit accepté. À ses yeux, on peut parler d’une certaine « discrimination ».

En Saskatchewan, on peut présenter un dossier en français, « mais on n’a pas assez de personnes bilingues pour traduire », remarque de son côté Ronald Ajavon.

Jean-Luc Racine ajoute que les instances gouvernementales sont davantage habituées aux formations et aux systèmes à l’œuvre dans les pays anglo-saxons. « La reconnaissance des acquis est plus facile du côté anglophone. Quand on arrive du côté francophone, c’est plus nébuleux. »

Jean-Luc Racine est directeur général de la Commission nationale des parents francophones. (Photo : Gracieuseté)

De belles réussites

Néanmoins, le tableau n’est pas tout noir. Certaines initiatives ont vu ou voient le jour pour améliorer le recrutement et la prise en charge des personnes immigrantes dans le secteur de la petite enfance, avec succès.

Jean-Luc Racine prend l’exemple du Yukon, « qui réussit à faire venir les deux tiers de son personnel en petite enfance de l’étranger, principalement de France et de Belgique, mais de plus en plus des pays africains ».

L’Île-du-Prince-Édouard n’est pas en reste. « On a perdu seulement 3 personnes en quelques années. Les personnes restent et la grande majorité réussit à obtenir leur résidente permanente », se réjouit le directeur général de la CNPF.

Le succès de ces provinces, selon lui, repose sur le fait qu’elles sont très impliquées au niveau de Destination Canada et qu’elles vont recruter sur place. Puis « on s’occupe des gens pour s’assurer qu’ils puissent s’intégrer dans la communauté », ajoute-t-il. Quitte à les transférer d’une ville à l’autre pour s’assurer de leur bienêtre.

Un rôle à jouer pour les communautés

Pour créer des conditions favorables à l’intégration des personnes formées à l’étranger, il faut faire davantage pression sur les gouvernements provinciaux et territoriaux pour uniformiser et centraliser le processus de reconnaissance des acquis, estime Jean-Luc Racine.

Sans oublier d’accompagner les employeurs et soulager leur « fardeau » : « Il faut enlever le travail des garderies qui font tout de A à Z. Elles sont là pour donner des services aux enfants, là, elles sont devenues recruteuses », commente Roukya Abdi-Aden.

Le logement peut en outre compliquer, voire empêcher, l’intégration de ces nouveaux arrivants « car ils n’ont pas de gros salaires », expose Jean-Luc Racine. « On a besoin d’être plus novateurs. » Avec, pourquoi pas, des logements communautaires.

Et le directeur de la CNPF de conclure : « On doit se mobiliser au niveau des communautés et dire haut et fort que le système de reconnaissance des acquis en ce moment ne fonctionne pas pour les francophones. Il faut arriver avec de nouvelles façons de faire et trouver des stratégies pour s’adapter. »