Alors que la pandémie de COVID-19 est en train de devenir un souvenir dans l’esprit de certains, le milieu des soins de longue durée continue de lutter pour améliorer le système dans son ensemble.

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

À l’aube de l’année 2022, le gouvernement du Manitoba publiait le plan provincial de la mise en oeuvre des recommandations du rapport Stevenson. Le rapport Stevenson avait été commandé à la suite de l’éclosion de cas de COVID-19, survenu entre octobre 2020 et janvier 2021, dans le foyer de soins de longue durée Maples. Pour rappel, 73 employés et 157 résidents avaient obtenu un résultat positif à la COVID-19 et 54 résidents sont décédés. C’est la Dre Lynn Stevenson qui avait mené l’examen externe. Elle avait ressorti 17 recommandations. Parmi ces recommandations : la création d’un poste d’agent de liaison entre le gouverne-ment provincial, les autorités régionales de la santé et les foyers de soins de longue durée.

Depuis juillet 2022, Charles Gagné, ancien directeur général d’Actionmarguerite, occupe ce poste, il en détaille les grands traits. « Je suis chargé de veiller à la mise en place des recommandations. Mon rôle n’est pas appelé à me prononcer sur des enjeux particuliers. Je conseille la Province autour du continuum de soins pour les personnes fragiles et vieillissantes.

« Je donne un point de vue au gouvernement sur les points de pression dans les foyers de soins de longue durée. Il y a des personnes qui se posent des questions sur les besoins physiques : nouveaux lits, rem-placer des lits existants dans des édifices à la fin de leur vie durable. Avec en toile de fond, l’idée que la population est vieillissante. »

Sur cette question de la population vieillissante, Raymond Clément, économiste, commente : « Depuis 2017, la population des 65 ans et plus augmente de manière significative. En moyenne, l’augmentation est de 6 500 per-sonnes par année. Les prévisions indiquent que d’ici 2031, l’augmentation annuelle sera de 7 000 personnes.

Raymond Clément, économiste. Il analyse le vieillissement de la population manitobaine. (photo : Marta Guerrero)

« Au Manitoba, on compte 44 lits dans les foyers de soins de longue durée pour 1 000 personnes. C’est au dessus de la moyenne nationale qui est de 22 lits pour 1 000 personnes. En regardant ces chiffres, il faudrait ajouter entre 250 et 300 lits par année. Ajouter un lit coûte environ 130 000 $, comme l’a expliqué Julie Turenne-Maynard dans l’article paru dans le Winnipeg Free Press (1), c’est alors un investissement de 32 à 40 millions $ par année pour augmenter les lits disponibles. Or les gouvernements s’intéressent davantage à équilibrer le budget qu’à investir. »

De son côté Julie Turenne-Maynard, directrice générale de la Manitoba Association of Residential and Community Care Homes for the Eldery, a déjà constaté une augmentation de demandes d’admission dans les foyers de soins de longue durée. « Il continue d’y avoir une grande demande d’admission dans les foyers de soins de longue durée. Si je peux donner un exemple : pour la région de Winnipeg, la semaine du 14 au 18 novembre, il y avait 264 personnes qualifiées et en attente, chez elles, de place dans un foyer de soins de longue durée ou de soutien au logement. Qualifiée signifie qu’elles sont passées par tout le processus pour déterminer leur admissibilité.

« En plus de ces personnes, 23 autres étaient à l’hôpital en attente d’une place dans un foyer de soins de longue durée. Ce chiffre est assez constant de semaine en semaine. Depuis les derniers six mois, le chiffre le plus bas était de 257 personnes. »

Dans la province du Manitoba, il y a 9 967 lits au total pour 137 foyers de soins de longue durée. Depuis plu-sieurs mois, le gouvernement provincial travaille sur une stratégie à long terme pour les personnes aînées. Cette stratégie devrait paraître au printemps 2023.

Julie Turenne-Maynard est la directrice générale de la Manitoba Association of Residential and Community Care Homes for the Eldery. (photo : Marta Guerrero)

Julie Turenne-Maynard souhaiterait y voir en particulier des actions pour les foyers de soins de longue durée. « La Province travaille sur une grande stratégie qui comprend tous les aspects de la vie d’une personne aînée : que ce soit l’accès à internet, la mobilité ou autre. Lorsque la discussion vient sur les foyers de soins de longue durée, il n’y a rien de défini. En 2016, Brian Pallister, ancien premier ministre manitobain, avait promis 1 200 lits supplémentaires. Avec la fermeture du foyer Parkview Place, il y a eu des lits en moins. Même si ce chiffre s’est équilibré avec les 500 nouveaux lits ajoutés dans de nouvelles constructions. Le nombre de lits est au même point actuellement. Et ce n’est plus suffisant. »

Il semble alors nécessaire pour Julie Turenne-Maynard de repenser le modèle des foyers de soins de longue durée dans son entièreté. « La majorité des foyers au Manitoba ont été construits il y a 40 voire 60 ans. Les infrastructures sont vieillissantes, il y en a beaucoup qui ont besoin de réparations majeures. En regardant, sur les meilleures pratiques au niveau mondial, les petites maisons sont ce qui se fait de mieux.

« Il va falloir être plus novateur et créatif lorsqu’on va construire de nouveaux foyers. On veut améliorer la vie des personnes qui s’y trouvent parce que ce n’est pas seulement des aînés qui y vivent. Des jeunes peuvent être admis dans les foyers de soins de longue durée parce qu’ils ont eu des accidents ou autre.

« Au Canada, il n’y a pas vraiment de bons modèles. On est tous dans le même bateau. Les meilleures pratiques sont dans des pays comme la Norvège, les Pays-Bas. Ils ont des modèles basés sur l’humain, les établissements ressemblent beaucoup plus à des maisons résidentielles. Le ratio des employés par résident est plus faible. Ici, on tourne autour d’un employé pour huit à dix résidents. C’est impossible d’accorder du temps aux aînés avec ce ratio. »

Un nombre de lits supplémentaires implique forcément du personnel supplémentaire. Sauf que la situation actuelle dans le domaine de santé manitobain n’est pas propice à l’embauche comme le sou-ligne Julie Turenne-Maynard. « N’importe quelle personne qui entre dans le domaine de la santé, ils ont la personnalité de donner de la compassion, d’aider son prochain.

« Il faut augmenter les nombres d’infirmières et d’aides aux soins de santé. Il faut s’assurer que tout le secteur soit en bonne forme. Il y a de l’argent qui a été affecté à cet effet. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut trouver ces personnes.

« Le Red River College a sorti un programme d’aide aux soins de santé qui n’est pas certifié juste pour augmenter le nombre de personnes disponibles. Par la suite, ces personnes pourront être certifiées suivant leurs compétences. Quand on regarde les infirmières, il y a davantage de places pour les étudiants. Mais ces étudiants ne seront diplômés que dans quatre ans. Et au rural c’est encore plus difficile de recruter.

Un avis que partage Charles Gagné. « Lorsqu’on parle des soins de longue durée, les perspectives et les réalités peuvent varier énormément si on parle d’une communauté assez éloignée dans le nord du Manitoba ou si on parle d’un service en milieu urbain. Les solutions ne sont pas toujours évidentes, surtout en répondant aux différentes exigences. La pénurie de main d’oeuvre accentue le défi. »

Recruter mais aussi retenir le personnel déjà en place semble alors une préoccupation majeure dans le secteur des soins aux aînés. Julie Turenne-Maynard : « Dans les autres provinces, il y a des programmes incitatifs pour attirer du monde. Au Manitoba, ces incitatifs sont moindres.

« Depuis la COVID-19, beaucoup d’infirmières qui travaillaient dans les hôpitaux ont choisi d’aller dans les agences parce qu’elles peuvent choisir leurs horaires. Il faut travailler sur un moyen de rétention pour notre personnel. »

(1) L’article s’intitule PC’s forced to defend record on adding care-home beds et est paru dans le Winnipeg Free Press du 18 novembre 2022.