Quelques années après que l’enseignement en français avait été de nouveau possible dans les écoles publiques du Manitoba (à la fin des années 1960), des parents francophones ont rêvé en grand : l’établissement d’écoles entièrement françaises.
Par la volonté et sous l’impulsion de parents motivés, Saint-Norbert a la distinction d’avoir obtenu la première école spécifiquement construite pour une programmation française.
L’ouverture officielle a eu lieu en décembre 1977. Normand Boisvert était alors directeur général de la Division scolaire de la Rivière-Seine. Sa fierté était grande. En prévision de l’entrevue, il a eu le souci de retourner dans les archives. Retour bien documenté sur une époque pionnière.
Par Ophélie DOIREAU
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Se replonger dans une histoire vieille de plusieurs décennies demande un effort de contextualisation auquel Normand Boisvert a consenti avec une grande motivation dans le cadre du 45e anniversaire de l’École Noël-Ritchot. « Pour comprendre tout le défi d’ouvrir une école française, il faut remonter à une dizaine d’années avant son ouverture.
« En 1967, à 26 ans, j’ai été nommé directeur de l’École élémentaire à Saint-Norbert. Je me retrouvais responsable d’environ 800 élèves, allant de maternelle à la 8e année dont six à huit classes sont logées dans l’ancien couvent des Soeurs Grises et une classe de maternelle dans le sous-sol d’une résidence privée. À cette époque, on ne parlait pas d’école française ou d’école d’immersion ou d’école anglaise. On parlait d’écoles de quartier. Tout le monde du quartier fréquentait cette école, qu’importe la langue maternelle. Dans cette école, sur les quelque 800 élèves, environ 25 % d’entre eux venaient de familles francophones. »
Deux ans plus tard, par la Loi sur les langues officielles de 1969, la Chambre des communes reconnaît majoritairement le français et l’anglais comme langues officielles du Canada. L’année suivante, l’enseignement en français au Manitoba est de nouveau légal. Normand Boisvert dresse l’état des lieux du point de vue de la programmation.
| États des lieux
« Pour les 25 % de franco-phones qui étaient dans l’École élémentaire de Saint-Norbert, ce qui se passait en français, c’était les sciences humaines, le français et la catéchèse. Les foyers francophones étaient très homogènes dans ce temps-là. Il y avait encore peu de mariages exogames.
« Après mon temps comme directeur de l’École élémentaire de Saint-Norbert, je suis devenu, en 1970, directeur général adjoint de la Division scolaire de la Rivière-Seine. Un de mes mandats était de m’assurer de la construction de la nouvelle école élémentaire prévue dans le nouveau développement du Parc La Salle. Par la force des choses, cette école est devenue une école anglaise, qui a ouvert ses portes en 1972.
« Mon autre mandat était de faire de la promotion pour des classes françaises au sein des différentes communautés dans la division scolaire. Dans l’ensemble, les parents trouvaient que c’était une grosse bouchée à prendre. On avait essentiellement pu convaincre une majorité de parents d’élèves de la maternelle à la 3e année pour qu’ils inscrivent leurs enfants dans des classes françaises. Sachant qu’après chaque année scolaire, on allait ajouter un autre niveau. »
Toujours en 1972, Normand Boisvert accède à la direction générale de la Division scolaire de la Rivière-Seine. C’est alors que le dossier de la construction d’une école française devient un enjeu. « J’ai hérité de quelques dossiers, comme par exemple le manque d’espace dans les écoles. À l’époque, le baby-boom bat son plein.
| Construction de l’école
« En avril 1974, on a alors fait la demande à la Province pour la construction d’une école française et bilingue. Il y avait un grand intérêt à Saint-Norbert de la part des parents anglophones pour les programmes d’immersion, grâce à l’École du Sacré-Coeur à Winnipeg qui avait acquis une certaine notoriété (1). On voulait obtenir un morceau d’un terrain dans le vieux Saint-Norbert qui appartenait aux Oblats de Marie Immaculée pour le site de l’école.
« Suite à notre requête, la Province nous avait demandé de la revoir en tenant compte du développement du nouveau lotissement du Parc la Salle. Entre temps, la narrative se transformait : on parlait de plus en plus d’écoles françaises et non d’écoles françaises et bilingues.
« On a donc révisé notre demande de construction à la Province en faisant : premièrement une demande pour seulement une école française de 10 classes de la maternelle à la 9e année dans le vieux Saint-Norbert et deuxièmement une demande de construction pour une école de la maternelle à la 6e année sans préciser la langue d’enseignement, comprenant 13 classes lorsqu’un site pour une école serait identifié par le développeur du lotissement au Parc la Salle, qui était Guaranteed Home ».
| Des difficultés
Si l’appui semblait présent du côté du gouvernement, le projet n’est quand même pas passé comme une lettre à la poste. « Notre demande a été très bien reçue par le ministère de l’Éducation. C’était le gouvernement néo-démocrate d’Ed Schreyer qui était en place. Le sous-ministre de l’Éducation de l’époque, Lionel Orlikow, avait fait venir du Québec Olivier Tremblay, un haut fonctionnaire qui avait carrément proposé l’établissement d’un réseau d’écoles françaises au Manitoba.
« En mai 1975, la Province a avisé la Rivière-Seine qu’elle pouvait procéder à la construction d’une nouvelle école de la maternelle à la 9e année sur le site où se trouve la présente École élémentaire de Saint-Norbert. Tout nous allait bien, sauf le site sur lequel on devait construire l’école. On a quand même accepté.
« À peine deux mois après l’accord de la Province, un début d’opposition s’est manifesté face à la construction d’une nouvelle école. Le principal argument avancé était : Je n’ai rien contre le français. Mais si on donne une école française aux francophones, ça réduit les chances d’obtenir une deuxième école anglophone au Parc la Salle. »
| Le début d’une lutte
Commence alors pour Normand Boisvert un travail de persuasion auprès de ses commissaires pour leur faire comprendre l’importance du projet de la construction d’une école française. Normand Boisvert indique qu’« heureusement, j’avais un directeur général adjoint convaincu, loyal et engagé, Paul Ruest. Aussi, j’avais la chance d’avoir du personnel très convaincu. Même les directions d’école, je n’ai pas eu besoin de les convaincre, elles avaient embarqué dans le projet. Le travail de sensibilisation se situait plus au niveau de la commission scolaire et d’une partie de la communauté de Saint-Norbert.
« Les 11 commissaires représentaient différents quartiers sur le grand territoire de la Division scolaire de la Rivière- Seine, allant de La Salle à Woodridge et ce sont eux qui devaient prendre la décision. Environ la moitié d’entre eux n’était pas emballée à l’idée d’avoir une école française, tandis que l’autre moitié l’était.
« En juillet 1975, je me suis retrouvé avec le mandat de voir s’il n’était pas possible d’opérer l’école française à l’intérieur de la présente École élémentaire de Saint-Norbert, qui est aujourd’hui une école d’immersion de la maternelle à la 8e année. J’ai fait mon travail, en soulignant que ce n’était pas mon premier choix.
« Il y a eu une proposition à la commission scolaire pour que l’école française cohabite dans les locaux de l’École élémentaire de Saint- Norbert. Cette proposition a été défaite. » D’ailleurs, à cette même rencontre, une majorité de commissaires a réaffirmé la volonté d’une nouvelle construction d’une école française.
« Les tensions restaient quand même fortes. À preuve, le 15 décembre 1975, 19 présentations ont été faites à la Commission scolaire de la part des parents et d’organismes. 15 interventions étaient en faveur du projet de construction et quatre étaient contre. Les présentations terminées, suivies d’un huis-clos par la Commission scolaire pour ensuite revenir en pleine assemblée avec un énoncé que la Commission scolaire poursuivra avec la construction de l’école française à Saint-Norbert. La réunion s’est terminée à minuit et quarante. » (2)
| Sur quel terrain?
En toile de fond, les tensions ont été, en partie, alimentées par le fait qu’un mouvement de déségrégation se mettait en place aux États-Unis qui avait été mené par Martin Luther King avant son décès en 1968. Des militants noirs souhaitaient voir tout le monde se mélanger ensemble. Alors que dans le cas de cette école, on était dans un mouvement inverse.
La commission scolaire a réaffirmé unanimement à sa réunion suivante par résolution, soit en janvier 1976, la poursuite de la construction de l’école française. Une autre question se posait désormais. Où construire cette école? Pour Normand Boisvert, construire l’école française sur le même site que l’École élémentaire de Saint-Norbert, ne convenait vraiment pas. Il avait une autre idée en tête.
« J’ai convaincu la commission scolaire de cher-cher un autre site dans le vieux Saint-Norbert. Les Oblats, qui possédaient de grands espaces verts dans le vieux Saint- Norbert, étaient évidemment très sensibles à la question de la construction d’une école française. Je les ai rencontrés pour voir ce qui était possible en termes d’achat d’un morceau de terrain. Il y a eu une entente pour l’achat d’un terrain de trois acres pour la somme de 45 000$, montant maximum que la Province était prête à octroyer à la Division scolaire. Ce site se trouve aujourd’hui où est située l’École Noël- Ritchot.
« La construction a pu débuter en décembre 1976 et neuf mois plus tard, les premiers élèves ont fait leur entrée à l’école.
« Il y a eu un petit débat sur le nom de l’école. On avait d’abord pensé à La Barrière, mais on a finalement choisi Noël-Ritchot, pour honorer la mémoire de celui qui avait joué un rôle déterminant dans l’érection de la Barrière au moment de la résistance des Métis en 1869. Il n’y a pas eu grande controverse. L’ouverture officielle a eu lieu en décembre 1977. »
En 2018, l’école a cinq classes portatives dues à la hausse importante des inscriptions. Cette même année la province a autorisé des rénovations à la présente école et un agrandissement majeur avec une garderie. Le tout a été terminé cet été.
| Une inspiration
Cette percée scolaire à Saint-Norbert, a alors par la suite permis à d’autres parents dans des communautés voisines d’obtenir leurs propres écoles françaises. Une prouesse dont Normand Boisvert est fier. « La construction de cette école a déclenché un mouvement plus fort pour l’envie d’avoir des écoles françaises. Quelques temps plus tard, la com-mission scolaire a déclaré à La Broquerie ses deux écoles, écoles françaises tout en ayant une école anglaise à l’intérieur des murs de l’Institut collégial de La Broquerie.
« Un besoin d’école à Lorette a permis à l’école élémentaire Lagimodière de voir le jour vers la fin des années 1970. À Île-des-Chênes, une aile élémentaire française est devenue une réalité. L’un des derniers dossiers que j’ai amorcé avant mon départ de la direction générale en 1978 a été de recommander à la commission scolaire de prendre les démarches nécessaires pour obtenir la construction d’un secondaire régional à Île-des-Chênes pour desservir les communautés de Lorette, de Saint-Norbert, de Saint- Adolphe, de La Salle et d’Île-des- Chênes. La commission scolaire a accepté. Mon successeur à la direction générale, Paul Ruest a repris le dossier en main et a été un acteur clé dans ce dossier.
« À nouveau il y avait des réticences, mais cette fois plus du côté du gouvernement en place. Ils croyaient qu’un secondaire francophone dans la région ne serait qu’un éléphant blanc.
« Néanmoins l’École/Collège régional Gabrielle-Roy à Île-des-Chênes qui comprend aussi le volet élémentaire de la région d’Île-des-Chênes, a ouvert ses portes en 1984. Depuis l’ouverture, plusieurs ajouts de construction se sont effectués dus à la hausse de la population écolière. En septembre 2021, les inscriptions de l’école rapportées au ministère de l’Éducation indiquent de la prématernelle à la 12e année, qu’il y a 514 élèves à Gabrielle- Roy. »
Aujourd’hui, l’École Noël- Ritchot compte plus de 230 élèves de la maternelle à la 8e année. Initialement, l’école pouvait accueillir 110 élèves.
(1) Pour en apprendre davantage sur l’histoire de l’école du Sacré-Coeur, sa première directrice, soeur Léonne Dumesnil, en parle dans l’édition de La Liberté du 5 au 11 janvier 2022.
(2) Pour découvrir les tenants et aboutissants de cette réunion, voir La Liberté du 17 décembre 1975.