Frédéric MAGET, Collaboration spéciale
Frédéric Maget est président de la Société des amis de Colette et directeur de la Maison de Colette.
J’ai découvert l’oeuvre de Gabrielle Roy en même temps que celle d’Anne Hébert. Mais Kamouraska avait pour l’adolescent que j’étais, élevé dans une banlieue parisienne, un charme sombre et pittoresque que n’avait pas encore Bonheur d’occasion. Au roulement sourd des trains, à la suie qui enveloppait le quartier Saint-Henri, à la misère de son peuple de termites vivant au coeur de la grande fournaise industrielle, je préférais alors la neige blanche, aveuglante et furieuse, à perte de vue, nivelant paysage, ville et village, homme et bête, emportant vers son destin Elisabeth d’Aulnières.
Ma véritable rencontre avec Gabrielle Roy eut lieu quelques années plus tard, à la faveur d’un premier voyage au Québec qui me permit d’accéder à d’autres œuvres. Avec Luzina, je me dirigeais vers la fin du bout du bout du monde et je découvrais le Manitoba. Lecteur déjà follement épris de Colette, je fus d’abord sensible aux évocations d’une nature préservée, comme aux premiers âges des hommes, perçue par cette héroïne qui me faisait songer à la Marie- Claire de Marguerite Audoux, les nerfs tranquilles, l’humeur rêveuse et portée au beau.
Avec elle, je partageais la vie des Tousignant et nous étions rejoints dans l’île de la Petite Poule d’Eau par les ancêtres, les anciens Tousignant, les Bastien inconnus, le Bas- Canada, l’histoire, la France, La Vérendrye, Cavelier de la Salle.. Un monde s’ouvrait à moi, profond et sensible, une humanité métissée incarnée par Vincento, Clair, Nil, Demetrioff et Médéric : Ces enfants de ma vie. Il me fallait désormais suivre la voie, la sente, qui me mènerait au cœur palpitant de l’œuvre. Avec Colette, en me battant pour sauver sa maison natale, j’avais appris à faire confiance aux textes, à une littérature qui ne serait ni fiction ni mensonge, mais révélation ; j’avais appris que prendre le chemin du retour, c’est tendre vers l’achevé.
Un message électronique, perdu au milieu de la cohorte numérique qui nous assaille quotidiennement, décida du reste. Le nouveau directeur de la Maison Gabrielle- Roy proposait de jumeler nos maisons. Les chrétiens parleraient de Providence, d’autres plus exotiques de Baraka, avec Colette je m’en tiendrai au merveilleux. J’allais enfin toucher aux sources de l’œuvre.
Cette maison, je la rêvais fraîche comme un sentier entre deux buissons d’aubépine et toute emplie du chant des grenouilles, telle que je l’avais découverte dans Rue Deschambault et dans ce qui est sans doute le chef-d’œuvre de Gabrielle Roy, La Détresse et l’Enchantement : Elle était liée à nous comme seule peut l’être à ses gens une maison qui a vu naître et mourir.
Qu’importe si Colette et Gabrielle Roy sont mortes ailleurs, puisqu’elles sont encore vivantes pour nous et pour celles et ceux qui voudraient les découvrir, aujourd’hui et demain, dans leurs maisons bruissantes de mots et de souvenirs, elles qui avaient versé leur vie dans l’écriture pour mieux réenchanter notre monde.