L’industrie audiovisuelle franco-canadienne affiche un important manque de diversité, aussi bien devant que derrière la caméra. Les personnes issues des minorités restent encore sous-représentées. Le secteur semble avoir pris conscience du problème, une première étape avant de pouvoir le résoudre.

Camille Langlade

« Il faut juste regarder la télévision et on comprend rapidement que malheureusement, en français, elle est homogène, amorce David Baeta, producteur exécutif pour Moi & Dave à Toronto. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour donner une place à la diversité à l’écran. »

Une situation qui ne date pas d’hier. Le président de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC) cite l’exemple de Jasmine, une minisérie policière québécoise diffusée en 1996 sur TVA. « C’était la première émission où on voyait une femme noire portant le premier rôle féminin pendant les heures de grande écoute », dans une fiction de langue française. La première et dernière fois, constate-t-il.

David Baeta est producteur exécutif à la maison de production Moi & Dave. Il fait également partie de Coalition M·É·D·I·A. (Photo : Gregory Peck)

Un décalage avec la réalité

La population canadienne est loin d’être homogène. Selon les données du recensement de 2021, les minorités visibles comptent pour 26,5 % de la population totale. « Les immigrants contribuent également à la diversité ethnique, culturelle et religieuse du pays », rapporte en outre Statistique Canada dans une de ses publications.

« Il faut que cela se reflète aussi à l’écran, estime David Baeta. Pour moi, l’immigration est un des éléments qui pourrait nous aider à être diversifiés. »

Néanmoins, l’industrie semble avoir pris note du problème. « Il y a un effort conscient et une volonté de changer les choses, mais c’est un énorme paquebot qui doit être bougé tranquillement », commente le producteur.

Une spécificité francophone

« Pendant longtemps, il n’y a pas eu de collecte de données. Les institutions qui financent le cinéma et la télévision, autant que les diffuseurs, commencent vraiment à mettre en place des processus de collecte de données », observe Marie Ka, productrice à Inaru Films et membre du Conseil d’administration du Bureau de l’Écran des Noirs (BÉN).

« Il y a une espèce de timidité chez les francophones pour aborder cette question et aller au fond des choses, poursuit la productrice. Il y a une différence très nette entre ce qui se passe en termes de recherche d’équité et d’inclusion du côté anglophone au Canada et au sein de la francophonie canadienne. Les anglophones ont beaucoup la culture des données, des catégories. C’est quelque chose qui existe depuis longtemps. Du côté francophone, on commence tout juste. »

Marie Ka est productrice à Inaru Films et membre du Conseil d’administration du Bureau de l’Écran des Noirs (BÉN). (Photo : Karene-Isabelle Jean-Baptiste)

Au-delà des chiffres, l’industrie anglophone affiche aussi plus de diversité. « Du côté anglophone, jusqu’à présent on en est à six séries de fiction télévisées produites par des personnes noires avec des récits qui s’intéressent aux histoires de la communauté noire », expose Marie Ka, citant au passage la série dramatique The Porter, sortie en 2022 sur CBC.

Vivant avec sa famille en situation minoritaire, David Baeta s’interroge par ailleurs sur l’héritage laissé aux générations futures. « Ce qui m’inquiète, c’est que mes enfants se tournent vers le contenu en anglais, chose qu’ils font naturellement parce que, un, le contenu est extrêmement accessible et deux, mes enfants sont mixtes, ils sont biraciaux et ils se reconnaissent dans cette émission-là. Moi je ne connais pas une émission en français où on voit des enfants qui sont biraciaux. »

Manque de main-d’œuvre

« La perception dominante du Canadien francophone reste toujours celle du descendant du colon français alors que dans la francophonie canadienne et celle à travers le monde, il y a vraiment tous les continents représentés, déplore Marie Ka. Il y a une richesse au niveau de la francophonie qui justement n’est pas encore exploitée au niveau du paysage audiovisuel et cinématographique. »

Mais en situation minoritaire, le premier enjeu reste la main-d’œuvre. « Il y a des artisans issus de la diversité qui sont là et prêts à travailler, mais ils ne sont pas aussi faciles à trouver. Il faut faire un effort conscient pour aller les chercher. […] Quand on travaille dans un univers bilingue, des fois on ne sait pas quand les gens parlent français », témoigne David Baeta.

Sans parler du risque que les francophones se tournent vers des productions anglophones. « S’il n’y a pas d’opportunité, en particulier pour les francophones en milieu minoritaire, c’est très clair qu’il va y avoir une déperdition en faveur de la langue anglaise », prévient Marie Ka.

Plus de diversité au sommet

Mais alors, quels sont les outils à mettre en place pour remédier à la situation? Pour David Baeta, il est important d’avoir des données probantes pour savoir à quoi ressemble l’industrie francophone. « C’est comme ça qu’on peut comptabiliser et mieux comprendre comment l’argent public est distribué dans l’écosystème. »

Selon Marie Ka, le changement passera aussi par une plus grande diversité au sein même des entités décisionnelles : « Que ce soit au niveau des institutions ou des télédiffuseurs, cela reste encore eurocentré. »

Car là où le bât blesse, c’est souvent au niveau du financement. « Si on regarde chez les décideurs, on voit que ce manque de diversité va influencer les décisions pour avoir accès au financement. Même chose au niveau du jury […] quand ils reçoivent une histoire authentique provenant de la communauté afrodescendante, autochtone, racisée, on a l’impression qu’ils ne se reconnaissent pas et ont de la difficulté à prendre des décisions en faveur de ces communautés », analyse Patrice Jecrois, directeur général de Coalition M·É·D·I·A.

Patrice Jecrois est le directeur général de Coalition M·É·D·I·A·, un organisme à but non lucratif qui favorise la diversité et l’inclusion des professionnels issus des communautés sous-représentées francophones au Canada dans l’industrie des écrans. (Photo : Ilya Nesciorek)

Manque de financement

« Ce qu’on demande [aux décideurs et bailleurs de fonds] c’est de faciliter l’accès au financement et de baisser les critères d’accessibilité », résume Patrice Jecrois. D’après lui, les producteurs émergents racisés ont davantage de difficulté d’accéder à du financement pour mettre sur pied leur projet.

« Souvent, quand un producteur est racisé ou issu des minorités visibles, ça découle dans la chaine, dans le sens où, naturellement, les gens qui vont travailler dans ces productions ont de plus grandes chances d’être également issus de groupes sous-représentés », complète David Baeta.

« Ce qui est important aussi, c’est de mettre en lumière l’importance de pouvoir se reconnaitre à l’écran. C’est comme ça qu’un peuple est capable de se définir et de sentir sa valeur. […] Le racisme existe encore aujourd’hui et les écrans peuvent contribuer à déconstruire ces choses-là », conclut David Baeta.

  • Les minorités visibles composent plus de 25 % de la population canadienne. Une proportion qui n’est pas reflétée dans l’industrie audiovisuelle.: (Photo : Samantha Borges-Unsplash)