Alors que l’inflation ne faiblit pas, que des milliers de Winnipégois sont allés dans les banques alimentaires pendant la pandémie, que les dirigeants mondiaux avaient inscrit le changement des systèmes alimentaires à l’agenda de la COP27, un rapport du Conseil alimentaire de Winnipeg, présenté au comité exécutif de la Ville, a montré notamment que les déchets alimentaires ménagers représentent environ 44 % du flux de déchets de Winnipeg, selon des mesures de 2019. Analyse de la situation et des solutions envisagées.

Quand il s’agit de gaspillage alimentaire, les chiffres peuvent donner le tournis. Selon les données de 2019, la Ville de Winnipeg a géré 275 200 tonnes de déchets. Ce chiffre ne saisit que les déchets alimentaires au niveau des ménages unifamiliaux. Une grande partie de ces déchets sont encore comestibles. En effet, en 2022, selon le National Zero Waste Council, 63 % des aliments que les Canadiens jettent auraient pu être consommés. Pour l’ensemble du Canada, cela représente près de

2,3 millions de tonnes d’aliments comestibles gaspillés chaque année, ce qui coûte plus de 20 milliards $ aux Canadiens.

En parlant d’argent, l’organisme canadien Deuxième récolte a chiffré le coût d’un tel gâchis. 1 766 $ est la valeur de la nourriture jetée par chaque ménage canadien annuellement. C’est aussi 8,9 millions de tonnes de CO2 qui seraient évitées en empêchant ce gaspillage.

Et à l’échelle mondiale, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies estime que la quantité de nourriture perdue ou gaspillée est responsable de 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

À cette difficile réalité, il faut aussi ajouter que 17,8 % des ménages manitobains (220 000 personnes) souffrent d’insécurité alimentaire, selon des données reprises dans le rapport du Conseil alimentaire de Winnipeg.

Responsabilités individuelles

« C’est important de se rendre compte que nos actions individuelles ont un impact massif sur le problème plus large du gaspillage alimentaire. Elles viennent agir au point de vue économique, environnemental et social. Cette étude-là n’est donc malheureusement pas surprenante, mais assez paradoxale à la vue de la situation économique au pays. Il y a beaucoup à faire, mais les ménages manitobains peuvent agir pour sauver de l’argent et contribuer à la protection de la planète très directement », explique Nicolas Dot, spécialiste marketing et communication pour Too Good To Go, une entreprise qui lutte contre le gaspillage alimentaire.

Nicolas Dot
Nicolas Dot, spécialiste marketing et communication pour Too Good To Go. (photo : Gracieuseté Nicolas Dot)

Le National Zero Waste Council a établi des types d’aliments les plus gaspillés. En tête, les légumes et les fruits représentent 45 % des produits, le pain et les aliments de boulangerie représentent quasiment 10 % des aliments jetés. Emmanuel Battaglia, propriétaire de Sweet C Bakery, travaille également avec Too Good To Go mais n’a pas attendu cette application pour agir contre le gaspillage alimentaire. « Ça ne devrait pas exister. Il devrait y avoir plus de lois pour lutter contre ce phénomène. Je jette une partie infime de mes produits. Certains sont même retransformés avec des restes. On fait notamment un biscuit appelé le palmier avec tous les morceaux de feuilletage. Il n’y a quasiment rien qui se perd. La Ville a peut-être des défauts, mais c’est à nous en tant qu’individu à prendre nos responsabilités. On est tous un peu coupables sur ce sujet. »

Du bon sens

Le boulanger-pâtissier donne notamment quelques astuces avec les aliments qu’on trouve en boulangerie. Il sait que ses produits doivent être mangés frais, ont une durée de vie limitée et sont donc les plus à même de se retrouver à la poubelle. « Il y a plusieurs choses à faire avec du pain qui

a un ou deux jours. On peut le couper en morceaux, le faire tremper du sucre, du lait, des œufs et le faire cuire. On peut aussi l’enterrer et en faire du compost et même en faire de la panure. »

Toujours au rayon des solutions, Nicolas Dot et Emmanuel Battaglia pressent pour qu’il y ait beaucoup plus d’éducation et de sensibilisation dès le plus jeune âge à ce sujet de société. Là aussi, il reste du travail à faire quand on sait que les données, indiquées dans le rapport du Conseil alimentaire de Winnipeg, montrent que 78,1 % des élèves de Winnipeg n’ont pas accès à un programme alimentaire scolaire financé par le Conseil manitobain de la nutrition de l’enfant. Actuellement, cet organisme n’accepte pas de nouvelles demandes en raison d’un manque de fonds.

« Il faut aider les enseignants à amener ce sujet dans le curriculum pédagogique dans les écoles élémentaires et secondaires. Il y a aussi toutes les actions à faire d’un point politique et législatif sur les dates de meilleur avant. Ces produits-là sont souvent comestibles même passés de deux ou trois jours. C’est juste un indicatif de fraîcheur du produit. On encourage donc à utiliser son bon sens et ses cinq sens. On le fait pour des fruits et légumes quand on fait ces courses, on peut le faire pour d’autres produits pour éviter la case poubelle. »

La Ville attend les conclusions d’un projet pilote

Le rapport du Conseil alimentaire de Winnipeg rappelle aussi que la Ville avait mené un projet pilote de collecte des déchets alimentaires résidentiels pendant deux ans. Dans le cadre de ce projet pilote, qui s’est terminé à l’automne 2022, les déchets alimentaires étaient collectés dans les foyers de plusieurs quartiers de Winnipeg par le biais d’un programme de chariots verts et étaient transformés en compost.

À date, le conseil municipal attend les conclusions de ce projet et décidera alors s’il convient d’aller de l’avant avec un programme de collecte des déchets alimentaires résidentiels à l’échelle de la ville.

Pour rappel, la Ville s’est fixé un objectif de réacheminement des déchets de 50 % en 2011 dans le plan directeur des déchets et du recyclage de la ville ; toutefois, cet objectif a été reporté en attendant la réalisation de ce projet et d’un plan financier décennal.

Aujourd’hui, ce taux est actuellement d’environ 30 % selon des données de la Ville.

  • Emmanuel Battaglia: Marta Guerrero