Près de 24 h après son lancement, le festival Allumez le Quartier s’est retrouvé sous les projecteurs pour une bien triste raison. L’œuvre de l’artiste engagé, Reza Rezaï s’est vue retirer de l’exposition à la demande des propriétaires de l’immeuble sur lequel elle était exposée.
Le nouveau Festival Allumez le Quartier a commencé le samedi 21 janvier. Pensé et créé pour encourager les Winnipégois à redécouvrir le quartier de la Bourse, l’évènement est le produit d’un partenariat entre l’Exchange biz et Artspace.
Le postulat est clair : mettre à profit les vieux bâtiments et anciens commerces du quartier, pour y exposer une série d’œuvres d’art commissionnées par Artspace. « L’idée de ce festival est d’exposer des pièces dans lesquelles la lumière est incorporée, explique Eric Plamondon, directeur exécutif de Artspace. »
L’art et le bâtiment, son architecture ou son passé, se complètent alors pour raconter une histoire.
Parmi les immeubles disponibles à la collaboration : 441 Main Street. Boîte de nuit le temps de quelques mois en 2020, l’édifice était une banque au début des années 1900.
Une pièce politique
Justement, l’artiste irano-canadien, Reza Rezaï, est à l’origine d’une pièce en néons intitulée Contra et qui correspond parfaitement, à la fois, à l’esprit du festival, mais aussi, à l’histoire de 441 Main. Sur l’œuvre de l’artiste, on peut lire horizontalement : I think youre a contra. Verticalement, en rouge, Iran.
La pièce fait référence au scandale politique et militaire Iran-Contra survenu en 1983 aux États-Unis sous la présidence de Ronald Reagan. À l’époque, les É.-U. avaient vendu des armes à l’Iran (pays ennemi) pour financer entre autres le mouvement d’opposition armé au Nicaragua : la Contra.
« Cet espace me plaisait, le lien avec le propos de mon œuvre est génial, raconte Reza Rezaï. La relation entre l’œuvre et l’espace était parfaite. » Et du côté de la direction de Artspace, on pense la même chose : « Avec tout ce qu’il se passe en Iran actuellement, Contra avait sa place dans le festival et 441 Main se prêtait parfaitement à la narration de l’œuvre. »
Seulement voilà, en un peu plus de 24 h, l’œuvre, qui devait siéger au-dessus du seuil de l’édifice, est retirée.
Difficile à comprendre pour l’artiste
Ce sont les propriétaires de l’immeuble, Gil et Edna Rossong, qui seraient revenus sur leur décision d’accueillir Contra sur la façade de leur bâtiment. Reza Rezaï a encore du mal à comprendre les raisons de ce revirement. D’autant plus que le mercredi 18 janvier, l’artiste et le propriétaire ont installé l’œuvre ensemble. « J’ai échangé avec lui, je lui ai expliqué le propos derrière ma création. Il a trouvé ça génial, on a même pris une photo ensemble. »
Notre rédaction a tenté de joindre Gil Rossong par téléphone, sans succès. Edna, sa femme, a déclaré « n’avoir rien à dire. »
Eric Plamondon quant à lui, en sait un peu plus. Les Rossong, se seraient rapprochés de Exchange biz, pour faire part de leur décision de ne plus vouloir afficher la pièce. Eric Plamondon, en tant que commissaire de l’œuvre, s’est donc permis de contacter Gil Rossong pour tenter de « le convaincre. »
« C’est regrettable, mais au gré de recherches sur l’affaire Iran-Contra, le propriétaire est devenu de plus en plus inconfortable à l’idée d’accueillir la pièce, plutôt que d’accepter ce qu’elle raconte. »
De son côté, depuis cette péripétie, Reza Rezaï n’a toujours eu aucun contact avec les Rossong. « S’ils étaient mal à l’aise avec mon travail, j’aurais souhaité qu’ils demandent à me voir, qu’on ait une discussion.
« L’affaire Iran-Contra est un fait historique, on ne peut pas le nier. C’est important que les gens apprennent ce qui est arrivé, comment le passé aide à comprendre le présent. Leur décision pour moi est révélatrice d’une certaine fragilité, d’un manque de connaissance et, en tant qu’Iranien et Canadien, je trouve ça dommage. »
Un autre endroit pour l’oeuvre?
Visiblement affecté par la situation, Reza Rezaï regrette de n’avoir pas fait partie des conversations ayant mené au retrait de son œuvre, mais aussi le fait que les organisateurs n’aient rien mis en place pour anticiper ce genre de situation : « Il n’y a aucun protocole, aucun recours en place pour dénouer un tel scénario, c’est décevant. »
Le directeur de Artspace, Eric Plamondon, a depuis proposé d’autres sites à Reza Rezaï pour y exposer sa pièce de néons, « on croit toujours à la pertinence de cette œuvre et l’on veut qu’elle fasse partie du festival, explique-t-il. » Mais à l’heure de la rédaction de cet article, l’artiste irano-canadien n’en démord pas, il n’imagine pas son œuvre ailleurs. « Mon rêve maintenant c’est de voir Contra dans une galerie d’art, un espace où les gens peuvent voir une œuvre politisée sans pouvoir la faire enlever. Un lieu propice à la conversation. »
- Reza Rezaï: Marta Guerrero
