Alain et Nicolas Philippot, qui ont accueilli La Liberté dans leur ferme, parlent avec enthousiasme de relève, d’avenir et surtout de leur ambition à réduire les émissions de gaz à effet de serre. 

À cinq kilomètres du village de Saint-Claude, à environ une heure et demie de route au sud-ouest de Winnipeg, la ferme des Philippot apparaît, au loin, comme une miniature au milieu de l’immensité des prairies. Elle y est pourtant depuis 1912. 

Dans l’étable modernisée il y a maintenant trois décennies, Alain Philippot admire secrètement son fils Nicolas, occupé à expliquer à Josh, son ami d’enfance, comment fonctionnent leurs deux nouveaux robots qui distribuent des graines aux vaches pour les attirer dans un box et les traire machinalement. 

« Josh a l’air de s’y plaire », lâche-t-il. 

Développement durable

Les deux machines, qui ont couté à Alain Philippot 225 000 $ chacune, s’inscrivent dans une logique de développement durable, comme la famille travaille à faire la transition vers une agriculture responsable. 

« Au lieu de traire la vache manuellement deux fois par jour, le robot le fait automatiquement en lui fournissant à trois intervalles sa ration quotidienne de cinq kgs de graines. Avec le robot qui scanne son numéro de collier, nous obtenons l’information sur son activité quotidienne et sur le volume et la qualité de son lait. Notre objectif est de produire plus de lait avec moins de vaches », explique-t-il 

Il faut dire aussi qu’il était devenu de plus en plus difficile pour Alain Philippot de trouver un ouvrier pour faire traire ses 90 vaches deux fois par jour, à 5 h, puis plus tard à 17 h. 

Conscient du fait que l’agriculture est responsable d’environ un quart des émis-sions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le fermier a l’ambition de commencer par faire changer les choses à son niveau. 

« Lorsque j’élimine une vache de mon système de production, j’élimine aussi la nourriture qui la maintient en vie, la nourriture qui lui est nécessaire pour la production laitière et les émissions qui sont produites par son corps », souligne-t-il. 

Lorsqu’Alain Philippot avait lui-même racheté la ferme à son père, en 1986, alors qu’il avait à peine 25 ans, celui-ci produisait 20 litres par vache et par jour. 

« Cela lui aurait pris le double, soit 180 vaches pour faire ce que je fais avec 90 vaches, comme je produis en moyenne 40 litres par jour et par vache. Avec l’acquisition des deux robots, on s’attend à une augmentation de 15 à 20 % de production par vache », prévoit-t-il. 

« Il faut redonner à la nature. On a planté une herbe de prairie, qui est de la région et qui s’appelle Switchgrass (Panic raide). Cela fait de la place pour les oiseaux et participe à régénérer la nature. »

Alain Philippot

Remettre à la terre ce qui lui appartient 

Sur les 250 hectares de terres que possède la famille Philippot, 175 hectares sont arables, alors que la ferme occupe une partie de seulement cinq hectares. 

Les 70 hectares de terres restantes, Alain Philippot ne les juge pas très favorables à l’agriculture. Il préfère les céder à la nature. 

« Il faut redonner à la nature. On a planté une herbe de prairie, qui est de la région et qui s’appelle Switchgrass (Panic raide). Cela fait de la place pour les oiseaux et participe à régénérer la nature », se réjouit-il. 

Pour preuve, le fermier affirme que cela fait longtemps qu’il n’avait pas aperçu un chien de prairie dans sa cour, alors que maintenant il voit des dindes sauvages et même des cerfs roder autour de sa ferme. 

« Si tu donnes une chance, ça va revenir. L’autre jour, j’avais aperçu 18 dindes et quatre cerfs de la fenêtre de ma chambre à coucher. Comme elle n’a pas de prédateurs naturels, la dinde s’est rapidement multipliée autour de mes terres. Ce n’est pas encore un problème, mais parfois elle ne sort pas du chemin! », raconte-t-il, l’air amusé. 

Faire partie de la solution

Histoire de joindre l’utile à l’agréable, Alain Philippot a découvert récemment qu’il pouvait même toucher une subvention du gouvernement fédéral, en donnant la garantie de remettre une partie de ses terres à la nature. 

« Nous avons des terres humides qui ne sont pas rentables. Si tu donnes la garantie que tu ne vas pas travailler ces terres et les retourner à la nature, tu peux avoir une subvention. Il faut savoir qu’un marais retient plus de carbone que peut le faire une forêt », explique-t-il. 

L’intérêt d’Alain Philippot pour les émissions atmosphériques a commencé il y a dix ans. Il veut désormais faire partie de la solution et non pas du problème. 

« Avant, on pensait à la terre et à l’eau seulement. Mon grand père a fait tout ce qu’il a pu, mais il n’avait pas toute l’information. Maintenant, on fait le calcul de tout : la consommation de l’eau, l’émission de gaz à effet de serre… et c’est mon fils qui travaille là-dessus », ajoute-t-il. 

Le recyclage du plastique, l’autre défi 

En juin 2019, Alain Philippot devait prendre sa retraite après 37 ans de dur labeur. Mais à bien y réfléchir, il a fini par trouver un accord avec son fils Nicolas, au lieu de vendre sa ferme à un étranger. Père et fils Philippot se sont alors donné un délai de cinq ans pour faire une passation de consignes et voir aussi si Nicolas Philippot était prêt à reprendre l’affaire. 

« Aujourd’hui, avec toutes les opportunités et les expériences qu’il y a à vivre dans le monde, faire son choix à 26 ans, ce n’est pas chose facile. Je sais qu’il est tellement fier, tellement nostalgique comme il fait partie de la quatrième génération qui prend le relais de la ferme, mais je veux m’assurer qu’il le fait pour lui-même et non pas pour me faire plaisir », confie Alain Philippot. 

Nicolas Philippot est justement diplômé en agriculture. Il affirme que chaque jour qu’il passe à côté de son père à la ferme, lui permet de prendre un peu plus de responsabilités. 

Il travaille depuis quelque temps à améliorer la qualité du foin qu’ils cultivent pour produire plus de lait avec moins de vaches. 

« On essaie d’optimiser au maximum la récupération et l’utilisation de la bouse des vaches pour réduire l’utilisation des engrais. On travaille aussi avec des spécialistes qui font des prélèvements sur notre foin, l’analysent et nous aident à améliorer sa qualité », indique-t-il. 

Recyclage

Mais le plus grand projet de Nicolas Philippot reste celui du recyclage du plastique destiné à l’agriculture. 

« On utilise beaucoup de plastique, mais il n’y pas différentes façon de le recycler. Nous le stockons à notre niveau et nous l’acheminons avec nos propres moyens vers le centre de traitement des déchets de la ville. Il est exigé de nous de le laver et le placer dans des sacs spécifiques que nous achetons auprès du Centre en question », se plaint-il. 

Nicolas Philippot, jugeant cette façon de faire coûteuse, affirme que beaucoup de fermiers ont renoncé à le faire. 

« Si ce plastique est brûlé, enfoui ou abandonné dans la nature, c’est très dommageable pour l’environnement. Et on parle là de dizaines de tonnes de plastique que nous utilisons dans notre région. Je regarde actuellement ce qui se fait un peu en Europe et je souhaite trouver un moyen de recycler ce plastique pour le réutiliser dans l’agriculture », espère-t-il. 

En juin 2024, Nicolas Philippot devrait prendre une décision et rendre une réponse définitive à son père. En attendant, Alain Philippot qui boucle ses 41 ans de services à la ferme, ne donne pas l’air d’être si pressé que cela de rendre le tablier. Il semble même passer autant de temps que son fils à la ferme!