C’est un sentiment doux-amer qui ressort de cette annonce pour les garderies. Dans quelques jours, les frais de garderie vont drastiquement baisser.
Dans le détail, les parents dont les enfants sont inscrits aux programmes pour enfants en bas âge, enfants de prématernelle et enfants d’âge préscolaire paieront 10 $ par jour par enfant pour les heures de garde régulières (de 4 à 10 heures) offertes par les établissements de garde d’enfants autorisés qui reçoivent des subventions de fonctionnement.
Pour les enfants d’âge scolaire dont le temps de garde est réparti en trois périodes de fréquentation (avant l’école, le midi et après l’école), les frais de garderie seront aussi réduits à 10 $ par jour.
À noter que les frais pour les services de garde d’enfants d’âge scolaire offerts dans le cadre des journées pédagogiques et des vacances scolaires demeureront les mêmes, soit 20,80 $ par jour ou 18,20 $ selon le type d’établissement.
Si l’on se place du côté des parents, la nouvelle a de quoi réjouir. « C’est une super nouvelle pour l’ensemble des familles manitobaines d’avoir des prix abordables pour ce service essentiel, les prix pouvaient parfois freiner les parents à faire d’autres enfants », souligne la directrice générale de la Fédération des parents de la francophonie manitobaine (FPFM), Brigitte L’Heureux.
Même constat pour Marie Rosset et Nicole Beaudry, directrice et adjointe à la direction de la garderie Le P’tit Bonheur. « Les parents sont ravis, y’en a même qui dansent! (rires) Je prépare les factures, il y en a au-dessus de 1 000 $ pour certaines familles, donc c’est un soulagement », dit Marie Rosset.
Problème de communication
Si les garderies savaient que les frais allaient baisser, car l’accord entre les gouvernements du Canada et du Manitoba existait depuis deux ans, elles ne savaient pas quand ça allait être mis en place.
Marie Rosset et Nicole Beaudry expliquent l’avoir appris le même jour que tout le monde, le 3 mars, lors de l’annonce commune de Justin Trudeau et Heather Stefanson. « On a reçu ces nouvelles plus spécifiques en l’apprenant dans les médias. C’était un peu une surprise. »
Contactée à ce sujet, la Province explique avoir entre-pris les communications nécessaires pour aider les établissements. « La Province a travaillé en étroite collaboration avec les centres de garde d’enfants et les fournisseurs de services à domicile agréés pour leur fournir des informations sur ce programme. Des séances de questions-réponses ont été organisées à l’intention des fournisseurs en vue de la mise en oeuvre du programme en avril. »
En effet, la Province a présenté à ce sujet trois séances en anglais sous forme de webinaire : le 15, le 21 et le 23 mars.
Des frais en baisse, des difficultés en hausse
L’une des inquiétudes majeures de la direction du P’tit Bonheur est surtout la question financière. Qui va payer le manque à gagner lié à la réduction des frais de garderie? Activités, ressources, personnel, les deux professionnelles de la petite enfance expliquent qu’il y aura des choix à faire si le manque à gagner n’est pas rapidement comblé.
Sur ce sujet, la Province précise : « le ministère émettra des frais supplémentaires pour couvrir ces coûts. » Sur son site web, le gouvernement manitobain prévoit investir, avec l’aide du fédéral, « plus de 76 millions de dollars en 2023-2024 pour soutenir cette initiative d’abordabilité. »
« Ce qui est certain, c’est qu’on n’a rien reçu jusqu’à présent », ajoute Nicole Beaudry. Dans les webinaires de la Province, on apprend que les frais de compensation doivent arriver en même temps que le lancement des garderies à 10 $, soit la semaine du 3 avril.
Si la garderie francophone ne se plaint pas de son cas grâce à notamment une trésorerie qui permet de voir venir, elle espère que la situation ne va pas s’éterniser. « On a une réserve en cas de besoin. Mais je sais que pour plusieurs garderies, ce n’est pas le cas. C’est ce que j’entends à travers mes réseaux », souligne Marie Rosset. « Pour nous, on parle de milliers de dollars par semaine en revenus qui ne vont pas rentrer, ça représente beaucoup d’argent, surtout si la situation dure », explique Nicole Beaudry.
Brigitte L’Heureux est aussi sensible à cette inquiétude. Pour elle, c’est une période de transition côté garderies et Province qui, elle l’espère, ne va pas durer. « Il y aura un peu plus de travail administratif pour les centres, mais je crois comprendre que la Province va combler le manque. Je pense que ça va prendre quelques mois d’ajustement pour savoir quand l’argent sera déposé dans les comptes. Mais je sais que d’autres financements arrivent en matière de ressources humaines et de formations. Bien sûr, plus d’octrois seraient les bienvenus pour permettre aux centres d’offrir plus de services de qualité et un personnel qualifié. »
Les salaires, sujet toujours essentiel
La directrice générale de la FPFM indique également que les salaires d’une garderie peuvent représenter entre « 85 à 95 % des budgets ».
C’est aussi l’un des sujets majeurs pour Le P’tit Bonheur qui compte une trentaine de membres dans son personnel pour environ 160 enfants. Ça fait plusieurs années que la garderie milite pour ce sujet et essaie d’offrir les meilleurs salaires possibles à son personnel. « Ça aurait dû être la première annonce à faire. Et je dirais que ça s’empire. C’est frustrant. On se questionne : quand va venir l’annonce pour les salaires? », explique Marie Rosset.
La direction, qui s’inquiète quant à la rétention du personnel, demande notamment que la grille salariale provinciale suive les recommandations de la Manitoba Child Care Association (MCCA). Par exemple, dans l’élaboration salariale de la Province présentée en juillet 2022, un éducateur en jeune enfance (EJE) de niveau 2 commence avec un salaire de 20,90 $ de l’heure. Un EJE de niveau 3 est lui à 22,29 $ de l’heure. Pour le même profil, la MCCA propose de démarrer avec 24,36 $ avec une cible à 26,86 $, contre 22,29 $ pour un EJE 2 et 23,77 $ pour un EJE 3. « C’est la grille de la MCCA qu’il faut suivre, c’est la chose à faire. Ils ont embauché des experts pour évaluer ce que ces compétences-là dans le métier valent », lance Nicole Beaudry.
Brigitte L’Heureux sait aussi à quel point ce sujet est fondamental. Au-delà de la question salariale, elle y voit un moyen de valoriser une profession essentielle dans notre société. « C’est évident : le travail des éducateurs et éducatrices est très important. On veut valoriser la profession avec des salaires adéquats et l’on veut être capable d’attirer des gens qui ont la passion pour la petite enfance. Des gens passionnés il y en a, mais ils veulent une belle carrière avec une bonne rémunération. Ce sont des gens qui travaillent de très longues heures qui sont au contact d’enfants qui ont des besoins individuels. Ce ne sont pas des gardiens ou gardiennes, ce sont des éducateurs et éducatrices qui font un travail dans une période décisive pour un enfant. »