Inès Lombardo
Selon son rapport annuel 2021-2022, le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick a reçu 104 plaintes jugées recevables entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. Parmi elles, 93 concernent le manque de service en français, 11 le manque de service en anglais.
Près de 40 % des plaintes concernaient le domaine de la santé, a assuré la commissaire Shirley Maclean lors d’une audience devant le Comité des langues officielles du Sénat, le 1er mai 2023. Les sénateurs mènent actuellement une étude sur l’offre en santé dans la langue de la minorité, au plus tard jusqu’en octobre 2024. L’étude devrait déboucher sur un rapport final soumis au Sénat.
Au total sur la période du rapport du Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, 33 plaintes ont visé le secteur, dans une province où 30 % des habitants ont déclaré avoir le français comme première langue parlée selon le recensement 2021.
Des chiffres inquiétants? « Oui, a répondu la commissaire, car beaucoup de personnes ne déposent pas plainte. » Et choisissent parfois, quand ils le peuvent, de continuer en anglais.
Manque de continuité
Pour Shirley Maclean, le plus gros enjeu en matière de santé en français reste le manque de continuité des services pour la population francophone.
« Quand les personnes arrivent à l’hôpital ou à la clinique, selon la Loi sur les langues officielles [provinciale], on a l’obligation de l’offre active des soins dans la langue de leur choix, détaille-t-elle. Souvent, cette offre active manque. Et lorsque le patient accède à un autre niveau de santé, le niveau de service continue de ne pas être là. »
Si le service ne peut être offert dans la langue choisie, l’institution a pour obligation d’assurer la continuité des soins à venir pour le patient avec un plan de contingence. « Ça tombe souvent à côté », déplore Shirley Maclean, en entrevue avec Francopresse.
La commissaire a réitéré plusieurs fois devant le comité sénatorial que les soins de santé devaient être offerts dans une qualité égale, dans les deux langues officielles.
« Au Nouveau-Brunswick, les gens pensent qu’il y a des hôpitaux francophones et des hôpitaux anglophones. Ce n’est pas ça du tout. Dans tous les hôpitaux, les services devraient être offerts dans les deux langues au grand public », a-t-elle insisté.
Les dangers de la traduction technologique
Shirley Maclean a cité un exemple qui a fait réagir plus d’un sénateur : souvent, le personnel de santé a recours à la technologie pour traduire les demandes et la description de la douleur du patient.
« Attention aux technologies, a-t-elle prévenu. Avec ces machines de traduction, le personnel a dit qu’il n’a “pas besoin de parler français”. Ça peut être dangereux, les personnes ont besoin de s’exprimer dans leur langue. » Selon la commissaire, traduire avec la technologie devrait être le dernier recours.
C’est le « comble de la paresse », a commenté la sénatrice franco-ontarienne, Lucie Moncion. La présence de traducteurs dans les hôpitaux ou les cliniques n’est pas prévue pour l’instant au Nouveau-Brunswick, a laissé entendre la commissaire, interrogée à ce sujet.
Le gouvernement Higgs et la santé en français devant la justice
Le comportement du premier ministre de la province Blaine Higgs envers les francophones en matière de santé a également été souligné.
Selon la sénatrice Moncion, ce dernier semblait « ne pas avoir été très ouvert » à une recommandation formulée dans un rapport du Commissariat, qui stipulait que la langue de fonctionnement des régies de santé ne devait pas prendre le pas sur leur obligation de fournir des soins de santé dans les deux langues officielles.
Selon la commissaire Maclean, le gouvernement n’a pas inclus ces recommandations lors du dépôt en mars d’un projet de loi sur la révision de la Loi sur les langues officielles.
L’été dernier, Blaine Higgs avait commis un impair en révoquant les conseils d’administration du réseau de santé anglophone Horizon et de son homologue francophone Vitalité. Des fiduciaires avaient été nommés à leur place, ce qui avait fait bondir les francophones de la province.
Égalité santé en français, une corporation de défense des droits d’accès à des soins de santé en français a entrepris des démarches judiciaires pour faire invalider cette décision.
L’entreprise assure notamment que cette révocation viole la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. Récemment, les avocats de la province ont tenté de faire retrancher ces accusations.