La maison Cowley Abbott, à Toronto, organise le 8 juin 2023 la première session de ventes aux enchères en direct de la saison printanière. 85 lots en tout, principalement des tableaux. Pour n’en citer qu’un, qui parlera à tout le monde : Visage de femme de Pablo Picasso fait partie de la liste, mais on y trouvera aussi quatre sérigraphies colorées de la Reine Elizabeth II du Royaume-Uni de la série de l’artiste américain Andy Warhol : Reigning Queens, 1985. Ces impressions, c’est le WAG-Qaumajuq qui a pris la décision de s’en séparer et de les mettre en vente.
C’est une famille winnipégoise, la famille Doole, qui a fait don de cette sérigraphie au musée d’art en 1999. D’ailleurs, comme le souligne Marie-Anne Redhead, assistante conservatrice au WAG, ce ne sont pas les seules pièces signées par le père fondateur du Pop art que l’on peut trouver au WAG.
Mettre en avant l’art autochtone
Effectivement, la collection Warhol de la galerie d’art comporte également les portraits de Wayne Gretzky, 1985, de Karen Kain, 1980, mais aussi « quelques cahiers d’esquisses » lui ayant appartenu et lui ayant été offerts par The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts. Seulement voilà, si ces pièces sont bel et bien au WAG, elles n’y sont pas exposées pour autant. « Cela fait un bout de temps qu’elles n’ont pas été en exposition, admet la conservatrice. Je me souviens avoir assisté à la dernière exposition d’Andy Warhol ici avec mon groupe de secondaire! », s’amuse-t-elle. Effectivement, une exhibition rétrospective s’est tenue en 2008 à l’occasion du 20e anniversaire de la mort de l’artiste.
Il paraît alors légitime de s’interroger sur la raison pour laquelle les pièces d’un tel artiste, à la renommée internationale, sont conservées loin des murs d’exposition. « Exposer ces tableaux-là n’est pas une priorité, l’art américain n’est pas une priorité. Ici, ce sont les arts autochtones que nous souhaitons mettre en avant. » C’est pourquoi l’argent récolté lors de la vente de cette série de la collection Reigning Queens, 1985, sera mis à profit pour acquérir des œuvres d’art Métis et Premières Nations, qui ne représentent aujourd’hui qu’un peu moins d’un pour cent de la collection totale du Musée des beaux-arts. « Nous sommes sur le territoire visé par le Traité numéro 1, nous entretenons des relations avec les communautés autochtones et il est important que notre collection reflète cela. »
Symbolisme
Quant à savoir pourquoi ces sérigraphies-là ont été sélectionnées pour être vendues, Marie-Anne Redhead l’explique comme suit : « Il nous fallait des œuvres qui ne correspondaient pas à notre ligne directrice, mais qui avaient tout de même beaucoup de valeur. De plus, au vu du décès récent de la Reine, nous nous sommes dit que cela créerait de l’intérêt pour la série. » Force est de constater que le WAG ne s’est pas trompé. Les portraits en couleur de la Reine Elizabeth II ont été estimés entre 700 000 $ et 900 000 $. Reste à savoir dorénavant s’ils seront bel et bien achetés et surtout par qui?
Un particulier, « probablement », mais un musée canadien pourrait peut-être en faire l’acquisition aussi, auquel cas, cela aurait une certaine dimension politique, selon Marie-Anne Redhead. « L’histoire entre la monarchie et les peuples autochtones est bien connue, précise-t elle. C’est une décision très chargée de sens. » Certaines œuvres portent en elles-mêmes une valeur qui va au-delà du pécuniaire, la symbolique ici est donc évidente, vendre la couronne pour faire de la place à l’art Métis et aux Premières Nations.
Augmenter le budget
« Cette décision a été prise sur les recommandations de notre cercle de conseil autochtone. L’essentiel était d’augmenter notre budget pour les arts autochtones. C’est un comité composé de donateurs et d’historiens d’art qui ont ensuite cherché les pièces dont nous pouvions nous séparer.
Il s’est avéré que nous avions beaucoup d’œuvres crées par des hommes blancs américains, alors nous pouvions nous permettre de nous séparer de cette sérigraphie. »
Aujourd’hui, Marie-Anne Redhead espère que la galerie d’art saura obtenir au moins 1 000 pièces d’arts Métis et Premières Nations d’ici 2025, même si elle l’admet, « ce ne serait pas encore assez ». Une chose est certaine, la seule chose qu’il manque au WAG pour y parvenir, ce sont des ressources financières, car l’art autochtone au Manitoba, c’est comme la neige en hiver, ça ne manque pas! Et la conservatrice confie : « Nous savons déjà comment l’argent pourrait être dépensé. »