Décrire Rossel Vien est une tâche plutôt ardue. Depuis des années, plusieurs personnes tentent de faire son portrait et remplir le casse-tête de la vie de ce mystérieux auteur. Le Cahier franco-canadien de l’Ouest qui lui était consacré en 2020 avait d’ailleurs pour titre L’énigme Rossel Vien.
Rossel Vien est né le 17 octobre 1929 à Roberval au Québec. Lieu important, car il y consacre sa première œuvre majeure intitulée Histoire de Roberval, cœur du Lac-Saint-Jean, publiée en 1955.
Il est le sixième d’une famille de 11 enfants. Après de multiples voyages au Canada et à l’étranger, il a finalement déposé ses bagages au Manitoba en 1958 en tant qu’annonceur à la station de radio française CKSB, avant d’y terminer ses jours le 1er mai 1992.
L’une des personnes qui travaillent à comprendre l’œuvre de Rossel Vien est notamment Raymond Hébert. Avec Lise Gaboury-Diallo et Armelle St-Martin, ils sont tous les trois à l’origine du Tome 1 sur la réédition des nouvelles de Rossel Vien publié aux Presses de l’Université Laval (PUL).
Raymond Hébert a d’ailleurs visité Roberval et rencontré la famille de Rossel Vien en 2017. Ça a été une façon pour lui de remonter aux origines de l’auteur québécois.
« J’ai connu Rossel en 1964 quand je travaillais à CKSB en tant que nouvelliste. Rossel était annonceur et nouvelliste. C’est lui qui m’a enseigné le métier. Je ne connaissais pas de Québécois, on est vite devenus amis. C’était un homme brillant », se souvient Raymond Hébert, qui à cette époque ne connaissait pas du tout sa carrière d’auteur.
Un auteur, plusieurs noms
C’est à la faveur de moments plus intimes que Raymond Hébert a pu, petit à petit, en découvrir plus sur Rossel Vien. « On avait une routine le vendredi après-midi. Après le travail, on se détendait et l’on prenait un verre sur la rue Main. Il s’ouvrait plus, mais restait très réservé. Il y a des parties de sa vie que je n’ai jamais connues. Je n’ai jamais su qu’il était homosexuel, je l’ai appris longtemps après. Je n’ai jamais su qu’il publiait ses œuvres anonymement, il ne m’a jamais rien dit, ni montré. »
C’est là que le mystère Rossel Vien s’épaissit. Rossel Vien n’est plus seul, il devient double. Au Québec, ses œuvres sont signées « Gilles Delaunière » et à l’Ouest, il est « Gilles Valais ». D’ailleurs, à l’Ouest, ses livres sont surtout publiés aux Éditions des Plaines et aux Éditions du Blé. « Les intellectuels de Saint-Boniface connaissaient son pseudonyme, mais pas moi », indique Raymond Hébert.
Par cette dualité, Rossel Vien tente de protéger ce qu’il cachait à Raymond Hébert, à savoir sa véritable identité sexuelle. L’une des plus importantes publications de Rossel Vien s’appelle Un homme de trente ans, qui a été publiée en 1960 dans Les écrits du Canada français. Dans ce récit, il est question explicitement d’homosexualité. Un sujet plus que tabou à cette époque quand on sait que ce n’est qu’en 1969 que les relations homosexuelles ont été décriminalisées.
L’anonymat comme protection
Monique Vien, qui fait partie de la congrégation des Sœurs blanches, (Missionnaires de Notre Dame d’Afrique) est la petite sœur de Rossel Vien. Pour elle, voir les œuvres de son frère rééditées, est une surprise et une bonne chose en même temps, « si ça peut contribuer à mettre un peu plus de lumière sur cette réalité qui affecte tant de personnes, dit-elle.
« Aucun de nous, dans la famille, ne connaissait cette facette de Rossel. On l’apprend en lisant ses œuvres des années plus tard. Je veux justement remercier les personnes à l’origine de cette réédition. Ils ont un peu ressuscité Rossel et ça a été pour moi une façon de mieux le connaître dans sa souffrance. »
À cause du milieu et de la situation historique, Monique Vien estime par ailleurs que Rossel Vien se devait de rester anonyme sur ce sujet d’homosexualité. « Je comprends tout à fait qu’il n’en ait par parlé. À l’époque, c’était impossible, il fallait absolument qu’il reste sous couvert. »
Rossel Vien est parti de Roberval quand Monique Vien était encore jeune. Elle se souvient de quelques anecdotes qui permettent de mieux cerner le personnage.
« Je l’admirais beaucoup. Les plus anciens souvenirs que j’ai de lui, c’est quand il revenait nous voir pour les périodes de vacances. Il jouait merveilleusement du piano. Il me mettait sur ses épaules pour traverser la rivière en sautant d’un billot à l’autre. Il me prenait sur sa bicyclette pour passer les après-midis près du lac, je nageais pendant que lui écrivait sous un arbre.
« Comment a-t-il appris l’écriture? Il lisait beaucoup et surtout, il observait. À la fin des années scolaires, il y avait des prix pour les élèves, des livres. Lui (et d’autres) en revenait les bras chargés.
« Maman, qui était institutrice, encourageait beaucoup l’apprentissage. Papa se tenait informé sur tout. Il aimait discuter avec les voisins, qui nous visitaient souvent.
« Je me souviens surtout d’une famille d’artistes qui vivait près de chez-nous, un cultivateur, un pianiste, un comédien, une chanteuse d’opéra, tous bien connus. Les sujets de conversation ne semblaient jamais tarir, sans compter les discussions sur la politique avec le voisin d’en face, grand-oncle français de celui qui est devenu maire de la ville de Québec. »
Très fière de son frère, Monique Vien admet tout de même sa surprise et incompréhension quand ici et là, au creux des textes de Rossel, des critiques, parfois dures, envers sa famille apparaissent. « À voir son appréciation de la famille ou de la vie à la ferme, on a l’impression d’en avoir gardé une mémoire bien différente. Ça me surprend de voir la manière dont il décrit ma mère ou mon père, ça sonne tellement faux pour moi; on a pourtant connu le même terroir », indique Monique Vien qui souligne tout de même que Rossel Vien n’avait jamais coupé les liens avec sa famille. En effet, il correspondait régulièrement avec certains membres de sa famille.
Réhabiliter Rossel Vien
Après son décès, et de par son choix de signer ses récits avec des pseudonymes, Rossel Vien tombe un peu dans l’oubli. Ce n’est qu’en 2016 que le trio Raymond Hébert, Lise Gaboury-Diallo et Armelle St-Martin commence son travail.
Cette dernière, spécialiste de la littérature française du 18e siècle, cherche à développer son champ d’action. Raymond Hébert lui fait alors la mention de Rossel Vien.
« Raymond était très emballé même s’il ne connaissait pas encore toute son œuvre. J’ai commencé à lire tout ce qu’il a publié et j’ai alors compris l’enthousiasme de Raymond.
« C’était d’abord intéressant, au niveau de l’histoire littéraire, de rectifier le tir et de comprendre qui a écrit quoi et à quel moment. C’était important d’avoir des faits précis », estime Armelle St-Martin, qui a d’ailleurs eu une subvention de l’Université du Manitoba pour approfondir les recherches autour de Rossel Vien.
Armelle St-Martin informe alors Lise Gaboury-Diallo de ce projet. Avec Lise Gaboury-Diallo, elle ajoute une personne spécialisée dans les aspects purement littéraires. « Je connaissais les œuvres publiées localement. Mais grâce à Armelle, j’ai découvert tout le reste. J’ai découvert une âme très tourmentée. Un homme de trente ans, par exemple, est un texte très poignant. En tant que lecteur, le pessimisme dans ce texte est lourd à porter. Les choses ont tellement changé depuis les années 1960 qu’on a du mal à accepter que ce fatalisme puisse écraser quelqu’un d’aussi intelligent. »
L’écrivaine franco-manitobaine s’est d’ailleurs beaucoup intéressée au style Rossel Vien. Pour elle, ses textes sont faciles à lire et très modernes. « Il utilise par exemple un regard externe. C’est un narrateur omniscient qui devient un narrateur présent. On nous décrit quelque chose et tout d’un coup, on nous demande ce qu’on en pense.
« Cette rupture est intéressante. Ça devient de plus en plus moderne, c’est un des précurseurs de cette écriture éclatée. Il va explorer pour voir jusqu’où on peut aller avec la rupture, la fragmentation, le changement de perspective d’un point de vue de la narration », analyse Lise Gaboury-Diallo, qui pense qu’il aurait pu avoir beaucoup plus de succès en étant plus présent dans la sphère littéraire.
« Être absent et avoir un pseudonyme, ça devient difficile de le célébrer », ajoute l’autrice.
Comme Lise Gaboury-Diallo, les observateurs évoquent aussi cette souffrance dans les textes de Rossel Vien, qui sont en grande majorité autobiographiques. « C’est clair qu’il était très déchiré. Il a vécu une vie triste. Ce qui est frappant, c’est que sur la plupart des photos que nous avons de lui, il ne sourit jamais. C’était un marginal », décrit Raymond Hébert, qui s’est occupé de faire notamment la frise chronologique de Rossel Vien.
Pour plus de reconnaissance
S’il a été un « pionnier littéraire », comme on peut le lire sur la couverture de cette réédition, il existe encore un manque de reconnaissance autour de l’œuvre de Rossel Vien. Même chez lui, à Roberval, il reste très peu connu.
« Rossel est peu connu à Roberval. Notamment parce qu’il est parti à l’âge de 14 ans. Il est sûrement plus connu à l’extérieur. Le nom Vien, en revanche, est bien connu », estime Monique Vien.
C’est donc dans cet objectif que Raymond Hébert, Lise Gaboury-Diallo et Armelle St-Martin ont souhaité publier cette réédition enrichie d’annotations qui permettent de mieux comprendre Rossel Vien. D’ailleurs, le trio pense déjà à un Tome 2 voire un Tome 3. Avant ça, un lancement officiel du Tome 1 aura lieu à Winnipeg (1).
« Si nous ne l’avions pas fait, personne ne l’aurait fait. Ça prenait quelqu’un qui le connaissait, qui connaissait ses pseudonymes. Je pense aussi à Bernard Mulaire et Roger Léveillé qui nous ont aidés. Ça a pris de l’engagement. Il est décédé il y a plus de 30 ans et à bien des points de vue, il est même, pour certains, un nouvel auteur à découvrir », conclut Raymond Hébert.
(1) Le lancement du livre, en présence de Raymond Hébert, Lise Gaboury-Diallo et Armelle St-Martin, aura lieu dans le Hall Provencher de l’Université de Saint-Boniface le 15 juin 2023 de 17 h à 19 h.