Camille Langlade

À l’heure où nous écrivons cet article, près de 450 feux de forêt sévissent sur le territoire canadien, d’un océan à l’autre.

Avec plus de 5 millions d’hectares brulés, ce premier trimestre 2023 est d’ores et déjà considéré comme «la pire saison des incendies de forêt du 21e siècle au Canada», a déclaré le ministre de la Protection civile Bill Blair, lors d’un point de presse à Ottawa lundi 12 juin.

« Tout a débuté en force très très tôt, observe Marc-André Parisien, chercheur au Service canadien des forêts à Edmonton en Alberta. Au 31 mai, on avait déjà presque 3 millions d’hectares de brulés. Ce qui est quand même incroyable si on pense qu’une bonne partie du mois de mai dans le Nord canadien, c’est recouvert par la neige. »

Autre particularité de cette saison : l’étendue géographique des zones touchées, de la Colombie-Britannique jusqu’à la Nouvelle-Écosse, en passant par le Grand Nord.

Changements climatiques

« C’est vraiment tout le Canada qui est affecté de manière assez intense et ça, c’est quelque chose de nouveau », observe Victor Danneyrolles, professeur-chercheur en écologie forestière à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« Le XXe siècle a été une période un peu anormale, avec très peu de feux. C’est un peu notre mémoire en tant que société, poursuit-il. On s’est habitué à des forêts qui brulaient assez peu et là, avec les changements climatiques, les conditions météo et climatiques redeviennent de plus en plus propices aux feux. »

Doit-on se préparer à ce que ces grands brasiers fassent partie du paysage? Pour Marc-André Parisien, la réponse est claire, et prévisible. « On peut s’attendre à plus de feux. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment une surprise. Les changements climatiques, ce n’est pas demain. On a les deux pieds dedans. »

Ressources Naturelles Canada s’attend à ce que « la superficie annuelle brulée et le nombre de grands feux continuent d’augmenter », après avoir doublé depuis 1959.

Des forêts assez résilientes?

Pourtant, les feux de forêt font partie du paysage canadien. « On sait que les forêts boréales sont plutôt bien adaptées aux feux. On a des forêts qui ont brulé naturellement depuis des milliers d’années. Les arbres, la biodiversité y sont quand même relativement bien adaptés. Mais ça, c’est vrai jusqu’à un certain seuil », amorce Victor Danneyrolles.

Un seuil au-delà duquel la forêt n’arriverait plus à se régénérer. « On a peur que les conditions actuelles et futures finissent par nous faire dépasser ce seuil », ajoute le professeur d’écologie.

Il prend l’exemple de l’épinette noire, une espèce de conifère dont la résilience est mise à rude épreuve lorsque les feux sont trop rapprochés dans le temps. « Après un premier feu, ça prend de 30 à 50 ans à une épinette d’avoir des cônes et donc d’être prête à se régénérer en cas d’un deuxième feu. » Si ce dernier se déclare avant, «la forêt n’est pas prête et l’épinette ne se régénère pas ».

« Si la forêt a été coupée moins de 50 ans avant le feu, il y a aussi ce risque-là, complète l’universitaire. Et des forêts coupées il y a moins de 50 ans, il y en a beaucoup au Canada qui brulent en ce moment. »

Repenser l’aménagement

Mais alors, comment s’adapter à cette nouvelle réalité? Question simple, réponse compliquée, prévient Marc-André Parisien.

« Il y a de plus en plus de feux qui brulent près des gens, des agglomérations. […] Une composante de la réponse, ce serait vraiment d’évaluer si c’est une bonne idée d’habiter dans certaines de ces zones-là, quand vient le temps de bâtir de nouvelles infrastructures. »

Rendre les constructions moins inflammables fait aussi partie de la solution. Mais là encore, rien de nouveau sous le soleil. « On sait ce qu’il faut faire », souligne le chercheur, qui prend l’exemple des toits en métal. Par contre, exit « les arbustes tout près de la maison, surtout les arbustes conifériens ».

Quant à l’aménagement des grands espaces, sans éliminer les feux (qui restent un phénomène naturel) on peut toutefois « modifier le paysage de sorte qu’on limite la possibilité que les feux s’allument et deviennent des grands feux », rapporte Marc-André Parisien.

« On sait que les conifères brulent mieux que les feuillus. Il n’est peut-être pas question de complètement éliminer la forêt, mais on peut faire un remplacement graduel vers les feuillus, qui nous protègent un peu plus. »

« Retard d’adaptation »

« On s’est habitué à faire de la coupe, beaucoup, et maintenant que les feux augmentent, cela cause toutes sortes de problèmes. On a comme un retard d’adaptation », observe de son côté Victor Danneyrolles.

Le professeur évoque notamment la foresterie, apparue dans les forêts boréales dans les années 1950 et 1960. « Il va surement falloir essayer de réduire les taux de coupe. »

« Les choses commencent à changer et cette année, on va essayer de mettre en œuvre de nouveaux projets, vraiment accélérer le processus pour se protéger, parce que ça ne sera pas la dernière année de feu », alerte Marc-André Parisien.

Faire du feu contre le feu

Selon certains experts, la technique des feux dirigés peut également constituer une solution.

Les Autochtones appliquaient cette technique à petite échelle, surtout dans l’Ouest canadien, rapporte Victor Danneyrolles. « L’idée c’est, dans une période où climatiquement il n’y a pas de risques de feu, de bruler essentiellement le sous-bois, pour qu’il y ait moins de combustible. »

À une autre échelle, les équipes de Parcs Canada ont recours à des brulages dirigés planifiés.

Néanmoins, cette gestion de la forêt comporte tout de même des risques que le feu s’échappe, rappelle Marc-André Parisien.

« Mais ce risque est peut-être moins important que le risque d’un très grand feu qui brule dans quelques années et qui vient vraiment bruler ton village. On en est rendu au point où on accepte de mieux en mieux les risques », ajoute-t-il. Ou quand le risque devient la norme.