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Avant les années 1970, il était impossible pour une personne autochtone d’engager un avocat. Une technique d’assimilation tout ce qu’il y a de plus simple. Pour obtenir une représentation juridique, il fallait devenir un citoyen canadien. Il fallait, pour ça, renier ses origines.
Nous sommes en 2023, et à compter du 1er octobre, tous les avocats en exercice au Manitoba, devront obligatoirement suivre une formation sur l’histoire, la culture, et les droits autochtones.
Dès la publication des appels à l’action de la Commission de Vérité et Réconciliation en 2015, la Société du Barreau du Manitoba (SBM) s’est attelée à honorer l’appel numéro 27 (1). « Nous nous sommes penchés sur des programmes de formation continue pour nos avocats, explique Alissa Schacter, avocate et agente d’équité et conseillère aux politiques au sein de la Société du Barreau du Manitoba. Cela fait donc des années que nous offrons des formations en compétences autochtones, mais elles étaient optionnelles jusqu’à présent. »
En rétrospective, l’avocate souligne que si beaucoup d’avocats exerçant au Manitoba ont saisi l’importance et la valeur de ces formations, ce ne fut pas le cas de tous. Le conseil d’administration de la SBM, sur recommandation du comité consultatif autochtone, a donc pris la décision de rendre obligatoire le suivi d’un cours sur la culture autochtone, un cours intitulé Le Parcours ou The Path en anglais.
Le travail du groupe NVision Insight comprend un versant important consacré à la sensibilisation culturelle. Le groupe, possédé en majorité par des personnes autochtones, est à l’origine de la formation Le Parcours. Cette dernière, par le biais de l’Association du Barreau canadien (ABC), avait été offerte gratuitement à 500 de ses membres en 2020. À la suite de la formation, un groupe d’avocats albertains avait exprimé, auprès de l’association du Barreau de leur province, la volonté de voir Le Parcours devenir obligatoire en Alberta. À date, le groupe NVision Insight estime qu’environ 2 500 avocats ont suivi le cours.
La démarche de la SBM s’inscrit donc dans une tendance nationale. Cependant, les Barreaux provinciaux vont un peu plus loin. Le Parcours est une formation en ligne composée de six modules, mais Alissa Schacter précise : « Nous avons développé quatre leçons supplémentaires, dont le contenu est spécifique au Manitoba et qui seront intégrées dans les six modules. Les avocats ayant suivi la formation via l’ABC auront l’obligation de suivre ce nouveau contenu manitobain. »
Répondre aux problématiques
L’objectif de la formation et de son caractère inéluctable, c’est de donner aux avocats les moyens et les ressources de représenter leurs clients autochtones de la façon la plus éthique et efficace possible. « Ces connaissances sont essentielles, tranche l’avocate. Si l’on ne comprend pas nos clients, leur histoire, leurs valeurs… Cela rend la tâche de les aider beaucoup plus difficile. Le Parcours servira donc à rendre les avocats meilleurs. De l’autre côté de la médaille, les personnes autochtones, elles, auront accès à ce à quoi elles ont droit : une représentation légale honorable et de qualité. »
Les appels à l’action ont certainement mis en route la machine, et pour voir où elle se dirige, il a donc fallu ouvrir les yeux sur les problématiques qui entourent actuellement la représentation juridique des personnes autochtones. Au-delà des aspects mentionnés plus tôt et de la nécessité des avocats à adopter une approche « informée » de leur travail avec les personnes autochtones. Une meilleure compréhension des traumatismes légués par le passé colonial du pays est d’autant plus importante que nous sommes, comme le souligne Alissa Schacter, « à un moment charnière de notre relation avec les communautés autochtones, alors les avocats se doivent de prendre part à cette transition sociale et être en mesure de proposer des solutions créatives pour traiter les questions émergentes ».
Notons aussi que sur les quelques milliers d’avocats en activité au Manitoba, certains ont suivi des études dans d’autres provinces, parfois d’autres pays. Des pays comme l’Europe par exemple, où la question du colonialisme et des peuples autochtones n’est pas véritablement au cœur des cursus. Pour ces gens-là, par exemple, la formation est d’autant plus essentielle.
La future génération
À propos de cursus, il faut savoir qu’au sein de la Faculté de droit de l’Université du Manitoba (U of M), est donné depuis septembre 2022 un cours de Perspectives et méthodologies autochtones. Optionnel l’an passé, à compter du mois de décembre 2023, le cours deviendra obligatoire en deuxième année pour tous les futurs avocats.
Marc Kruse est coordonnateur des études de droit autochtones. Un poste créé à U of M, en août 2021. Il a participé à l’élaboration de la formation Le Parcours, il enseigne également le cours de Perspectives et méthodologies autochtones. L’occasion de se pencher un peu sur le contenu de son cours, mais aussi de la formation que prendront les avocats.
« Le Parcours a été développé dans le même esprit que le cours enseigné à U of M. Il s’agit de décoloniser l’histoire. D’enseigner une histoire qui inclut la perspective autochtone et qui reconnaît qu’il y avait des nations en place qui avaient leurs propres lois, leurs propres structures politiques. Concrètement, montrer que les Premières Nations n’étaient pas des peuples sauvages comme l’histoire coloniale le laissait entendre. »
Marc Kruse, qui est aussi un membre de la Première Nation Muscowpetung Saulteaux en Saskatchewan, poursuit et explique que l’apprentissage des compétences autochtones est très lié à la connaissance de la terre. Comprendre où nous sommes, d’où l’on vient, l’histoire de la terre mais aussi des gens qui y vivent : « Par exemple, nous allons parler de Shoal Lake et de la protection de l’eau. De la résistance de la rivière Rouge et de la Loi sur le Manitoba, mais aussi de l’histoire plus ancienne de Premières Nations Dakota, Cri, Ojibwés, etc. Le but est de comprendre comment ce passé a sculpté la province. »
L’implémentation de ces perspectives dans l’enseignement du droit, et plus largement de l’histoire, est essentielle pour Marc Kruse. « Ils (les étudiants) sont les avocats, les juges et les politiciens de demain, dit- il. Ce seront eux qui prendront des décisions et sans ces connaissances, les Autochtones continueront de se sentir invisibles, de sentir que leur histoire est invisible. » Alors qu’il se souvient que dans les années 80-90, les pensionnats autochtones n’étaient pas mentionnés dans le système éducatif alors qu’ils existaient encore, le professeur se dit « optimiste », quant à l’avenir.
« La nouvelle génération a à cœur la justice sociale. Elle est très réceptive et elle a soif d’apprendre. »
(1) « Nous demandons à la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada de veiller à ce que les avocats reçoivent une formation appropriée en matière de compétences culturelles, y compris en ce qui a trait à l’histoire et aux séquelles des pensionnats, à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aux traités et aux droits des Autochtones, au droit autochtone de même qu’aux relations entre l’État et les Autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme. »