Pour la famille, c’est une manière de boucler la boucle. À la toute fin du mois de mai 2023, sur la page Facebook Cycle4Eveline, la famille Petit annonçait avoir eu « le privilège de réaliser le rêve de Jean-Pierre ».
« Nous avons parcouru son chemin et sommes arrivés à Kidney Spring à Hot Springs. Nous avons passé un bon moment en famille à nous souvenir de lui et de ce qu’il envisageait, et à honorer son héritage », peut-on notamment lire sur cette publication où l’on voit également une photo d’Éveline tenant le portrait de son grand-père.
Hot Springs dans le Dakota du Sud devait être le dernier arrêt du parcours de Jean-Pierre Petit. Dans un entretien à La Liberté (1), Jean-Pierre Petit nous disait qu’il avait déjà été dans cette région pour une course sportive, c’est là qu’il a découvert quelque chose de spécial avec cet endroit.
« C’est en arrivant dans ce petit village que j’ai vu, au milieu de la place, une fontaine naturelle, Kidney Springs, qui contient des minéraux qui sont bons pour les reins. Alors je me suis dit que c’était le lieu idéal pour faire mon voyage. »
De multiples hommages
Si ces derniers jours, le temps était à l’apaisement, il y a un an, au moment de l’accident, la famille vivait de grandes souffrances. « Il y a des jours meilleurs que d’autres. En même temps, je sais que mon père ne voudrait pas qu’on s’assoie et qu’on déprime. Il préférerait qu’on avance », nous disait Marquis Petit, son fils, dans un entretien réalisé à la fin du mois de juin 2022.
« Dans l’ensemble, notre famille se porte bien. Le chagrin va et vient », nous écrivait Marquis Petit en mars 2023, dans un échange par courriel, montrant à quel point le deuil était dur à faire.
Une chose qui a fait du bien à la famille Petit a été de voir les dizaines de messages de la communauté après l’annonce de l’accident. Cette solidarité avait beaucoup touché Marquis Petit.
« C’est impressionnant. L’impact que mon père avait sur notre famille, on le connaissait. Mais l’impact qu’il avait sur la communauté et à quel point son histoire a touché au-delà même des frontières canadiennes, ça je ne le savais pas. Il aurait été vraiment surpris de voir ça », expliquait Marquis Petit qui se rappelle de tous ces gens qui ont aidé à atteindre l’objectif de Jean- Pierre Petit.
Pour rappel, Jean-Pierre Petit cherchait à récolter 20 000 $ pour payer les frais de santé de sa petite-fille. Et la moitié des dons récoltés devait aller au service néphrologique de l’hôpital des enfants de Winnipeg. Mais le monde en a décidé autrement.
Quelques semaines après ce tragique accident, la famille annonçait avoir reçu 50 000 $, qui était l’objectif inavoué de Jean-Pierre Petit. « C’était son but personnel. Quand il m’a dit ça, je lui ai dit que c’était un peu haut. C’est finalement en famille qu’on a décidé de l’objectif de 20000$.»
Marquis Petit a donc eu du mal à y croire quand les 50 000 $ ont été atteints. « Je remercie tout le monde. C’était très émouvant de voir tant de monde se rassembler pour aider et honorer l’objectif de mon père. Chaque dollar aide Éveline ou des enfants comme Éveline », ajoute-t-il.
« L’impact que mon père avait sur notre famille, on le connaissait. Mais l’impact qu’il avait sur la communauté et à quel point son histoire a touché au-delà même des frontières canadiennes, ça je ne le savais pas. »
Marquis Petit
Des manques dans le système de santé
Éveline Petit est née avec une maladie rénale dysplasique multi kystique de stade 5. Le 10 mars 2022, alors âgée de 3 ans, elle a subi une transplantation de rein donné par son père Marquis Petit.
Si les soins d’hospitalisation ont été et sont complètement couverts, le poste de dépenses le plus important est les soins et les traitements du quotidien, qu’on appelle aussi soins ambulatoires, qui pour la plupart ne sont pas remboursés.
Pour donner un exemple, Éveline Petit vit avec une pompe d’alimentation. Cette pompe coûte 1200 $ et a été fournie par l’hôpital. Mais, cette pompe fonctionne avec des poches qui doivent être changées régulièrement pour éviter des infections, qui peuvent entraîner de nouvelles hospitalisations.
« Les poches d’alimentation pour notre pompe personnelle coûtent environ 175 $ pour 30 sacs. Le fabricant recommande de changer la poche tous les jours. Mais, pour économiser, nous essayons de les faire durer au moins une semaine », admet Marquis Petit.
Cette histoire interpelle donc sur notre système de santé. Car, on le comprend avec cet exemple, certains patients pourraient ne pas se soigner correctement car les traitements sont trop chers.
Selon le docteur Mathieu Labossière, médecin interne qui a travaillé au Manitoba et au Québec, et qui n’a pas spécifiquement étudié le cas de la famille Petit, il y a des limites à l’accès à certains soins.
« C’est pertinent de continuer d’avoir ce débat de société. Comment l’on perçoit un système dit universel de santé? Ce que je vois ici, c’est qu’il y a des limites non explicites à cette universalité. Et l’une des grandes limites, c’est la couverture des médicaments. »
La réalité socio-économique dans laquelle se trouve un patient est-elle une considération que prennent en compte de plus en plus les médecins?
« Normalement non. Mais ultimement, on y pense, car le patient va s’en plaindre. C’est l’histoire du système de santé, surtout des médecins en première ligne. Ils vont être appelés à gérer des problèmes pour lesquels ils ne sont pas autant outillés qu’un travailleur social, un physiothérapeute ou un pharmacien. »
Mathieu Labossière remarque d’ailleurs de plus en plus d’échanges entre les pharmaciens et les médecins sur la question du prix de certains médicaments.
« Oui ça arrive. Car à la fin, le patient, ce n’est pas chez le médecin qu’il va avec sa facture de médicaments, c’est chez le pharmacien. Et c’est là que les patients auront peut-être ces comportements tels que renouveler seulement certains de leurs médicaments ou juste venir un mois sur deux.
« Cela aura un impact sur le patient. Les maladies vont alors s’empirer et il y aura de nouvelles hospitalisations. Oui, on paye ces hospitalisations comme société. Et une hospitalisation coûte cher comparé à la prévention en soins ambulatoires. Néanmoins, le service dans lequel nous sommes ne favorise pas ça. »
« À la fin, le patient, ce n’est pas chez le médecin qu’il va avec sa facture de médicaments, c’est chez le pharmacien. Et c’est là que les patients auront peut- être ces comportements tels que renouveler seulement certains de leurs médicaments ou juste venir un mois sur deux. »
Dr Mathieu Labossière
Faire des choix pour ses soins
Au Manitoba, en ce qui concerne le remboursement des soins de santé, il est possible de ne pas avoir d’assurance et de payer tous les frais de sa poche. Mais, il existe aussi l’assurance octroyée par le gouvernement du Manitoba : Pharmacare.
Dans cette assurance, on retrouve le Programme de paiement échelonné de la franchise pour le régime d’assurance-médicaments. C’est un programme de financement sans intérêt destiné aux Manitobains qui doivent faire face à des coûts de médicaments élevés par rapport à leur revenu mensuel moyen estimé, peut-on lire sur le site de la Province.
La couverture du régime d’assurance-médicaments est basée à la fois sur le revenu familial total et sur le montant payé pour les médicaments prescrits admissibles. Le revenu familial total est ajusté pour inclure le conjoint et le nombre de personnes à charge, le cas échéant.
Chaque année, il faut payer une partie du coût des médicaments prescrits admissibles. Ce montant correspond à la franchise annuelle de l’assurance maladie. Le régime d’assurance-médicaments fixe alors la franchise en fonction du revenu familial ajusté.
En ce qui concerne l’assurance, Marquis Petit en est plutôt satisfait même s’il admet devoir faire des choix et rappelle que certains de ses frais ambulatoires ne sont pas admissibles.
« Nous sommes reconnaissants d’avoir une certaine couverture, mais ce n’est pas le meilleur plan. Il s’agit plutôt d’un plan de dépenses de santé familial, ce qui nous oblige à décider ce que nous payons de notre poche ou ce que nous payons dans le cadre du plan. Nous avons également décidé, en tant que parents, de faire ce qu’il faut sur le plan financier pour assurer une bonne vie à notre fille. »
C’est aussi pour avoir une meilleure prise de conscience de certains problèmes dans le domaine médical que Marquis Petit a le souhait de créer une fondation en hommage à son père. Elle aurait également pour but d’aider les familles et les enfants.
« C’est juste une idée, mais on pourrait imaginer des activités pour des collectes de fonds. L’argent irait dans les hôpitaux pour continuer la mission que mon père a commencée. »
(1) Voir l’édition de La Liberté du 27 avril au 3 mai 2022.