Le chef du Parti libéral du Manitoba et député de Saint-Boniface, Dougald Lamont, veut du changement dans la maison. La démarche n’obéit pas à quelque lubie, mais se veut salvatrice pour un parti qui souhaite se faire une place convenable à l’Assemblée législatif, à l’issue des prochaines élections provinciales.
Après avoir retrouvé un temps, à la faveur de l’élection partielle de Saint-Boniface de juillet 2018, le statut de parti officiel, les Libéraux du Manitoba sont vite retombés sous la barre des quatre sièges suite aux élections provinciales anticipées de septembre 2019. Ils comptabilisent aujourd’hui trois sièges sur 57 à l’Assemblée.
Une position que le Parti n’a pas toujours connue, puisqu’il était passé proche de former le gouvernement en 1988, en décrochant 20 sièges. Par la même occasion, le Parti progressiste-conservateur (PC) avait obtenu 25 sièges et le Nouveau Parti démocratique (NPD) 12 seulement.
Pour se donner une position de choix dans l’échiquier politique provincial, Dougald Lamont mise, aujourd’hui, sur une plateforme électorale qui « vise à régler beaucoup de grands problèmes des Manitobains.
« Nos promesses sont. en même temps. progressistes et financièrement responsables. Elles ont été ignorées par les partis successivement au pouvoir, durant les dernières décennies », soutient le chef du Parti libéral du Manitoba.
Les promesses
En réunissant les 200 membres de son assemblée générale, en avril dernier, la direction politique a exposé les grands axes de sa nouvelle stratégie électorale.
Le Parti souhaite, de prime abord, encourager les infirmières à rester dans le système de santé et celles qui ont quitté à revenir, en leur offrant une prime de 10 000 $. Les autres travailleurs de la santé pourraient avoir droit à une prime de 5 000 $.
« C’est important de leur dire merci et de les récompenser. Nos infirmières ont travaillé à un rythme effréné pendant la pandémie. Aujourd’hui, elles quittent notre système de santé pour aller dans le secteur privé ou carrément déménager dans d’autres provinces », regrette- t-il.
L’autre promesse phare de Dougald Lamont consiste en le remboursement des 338 millions $ aux enfants autochtones placés aux Services à l’enfance et à la famille (SEF).
« Cet argent leur a été illégalement confisqué par les gouvernements PC et NPD. La Cour du Banc du Roi a conclu (mai 2022) que le gouvernement provincial avait violé les droits humains des enfants autochtones sous la garde des SEF, en prenant illégalement 338 millions $ en prestations fédérales pour enfants destinées à leur garde », martèle-t-il.
Le Parti libéral du Manitoba compte également mettre en œuvre un programme nutritionnel universel de la maternelle à la 12e année.
Il s’engage aussi à rendre les rues de la province plus sures et de sévir contre la traite d’êtres humains, en coupant les sources de financement des criminels.
« Des organisations criminelles transnationales blanchissent leurs fonds par l’intermédiaire de sociétés à numéro partout au Canada, y compris au Manitoba. Cela n’est possible que parce que les lois laxistes du Manitoba sur la divulgation des entreprises leur permettent de se cacher », avance-t-il.
Pour renforcer et assurer la prospérité du français dans la province, Dougald Lamont propose la création d’une Banque de développement du Manitoba, dont une partie du
mandat consisterait à veiller à ce que les entrepreneurs francophones aient accès à des capitaux.
Il faut bien plus que cela
Félix Mathieu, professeur adjoint en sciences politiques à l’Université de Winnipeg, pense que le Parti libéral du Manitoba doit faire des propositions « bien plus audacieuses » pour espérer se distinguer lors des prochaines échéances.
Nous donnons tant pour les infirmières et tant pour les enjeux de réconciliation. Mais la différence va se faire dans les chiffres, puisque le NPD va avoir les mêmes propositions. Les progressistes- conservateurs veulent aussi lutter contre la criminalité. Je ne pense pas que cela va être suffisant pour convaincre les électeurs », soutient-il.
Au-delà de la question des propositions, Félix Mathieu pense que le Parti « peine plutôt à trouver son identité dans la scène partisane manitobaine.
« Le Parti a toujours eu de la difficulté à se situer sur l’échiquier politique provincial. Dans les années 1970, il a cherché à se réinventer en se positionnant plus à droite que le Parti conservateur. Plus tard, il est revenu vers le centre- gauche », explique-t-il.
Comme certaines positions des progressistes-conservateurs et du NPD se rapprochent du centre, Félix Mathieu note que « les électeurs ne vont pas voir l’originalité ou la spécificité partisane idéologique du Parti libéral.
« Cela devient de plus en plus difficile d’encourager les gens à soutenir le Parti, qui n’a pratiquement aucune chance de former le prochain gouvernement. Les sondages de mars 2023 (Probe Research pour le Winnipeg Free Press) le situait à 9 % dans les intentions de vote à l’échelle de la province et à 10 % à l’échelle de la région de Winnipeg. » Un plus récent sondage, toujours commandé par le Winnipeg Free Press et rendu public le 21 juin dernier, accorde 10 % des intentions de vote à l’échelle du Manitoba pour le Parti libéral. Soit une progression de 1 %. (1)
L’universitaire rappelle que les libéraux avaient réussi, à la fin des années 1980, à se positionner comme la deuxième force politique de la Province. C’était dans la foulée de l’accord du Lac Meech, un projet de réforme constitutionnelle négocié entre 1987 et 1990. L’ancien Premier ministre conservateur du Canada, Brian Mulroney, proposait à l’ensemble des Provinces de modifier la Constitution afin de renforcer leurs pouvoirs et d’affirmer le Québec comme « société distincte ». Le Parti libéral du Manitoba s’y était opposé.
« L’ancienne cheffe des libéraux au Manitoba, Sharon Carstairs, était une alliée de longue date de Pierre-Elliott Trudeau, qui s’opposait à l’idée d’accorder un statut particulier au Québec.
« Elle s’était faite la courroie de transmission de cette opposition. Le Parti avait été associé à une idée portée par l’un des plus importants politiciens de notre époque contemporaine, et cela l’a rendue populaire dans la province. C’était, cependant, le temps d’une élection », rappelle-t-il.
Parallèlement, il note que le NPD, qui a été au pouvoir au Manitoba de 1999 à 2016, et les progressistes-conservateurs qui ont été l’autre force constamment au pouvoir depuis les années 1960, ont investi dans les services de l’État, de sorte qu’« il devient difficile pour les libéraux de se faire, aujourd’hui, une place ».
Vrai changement
Dougald Lamont ne l’entend pas de cette oreille. Il ne croit tout simplement pas aux sondages. Il pense que son parti a toutes ses chances lors des prochaines élections parce que la période de la pandémie a révélé au grand jour plusieurs défaillances dans le système de gouvernance en place.
« Les Manitobains sont sortis blessés de la période de la pandémie et ils veulent un vrai changement », martèle-t-il.
Puis, le chef des libéraux du Manitoba considère que les demi-mesures n’engagent que des changements partiels.
« Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut du changement, à commencer par les progressistes-conservateurs. Mais nous ne pouvons pas opérer un changement si nous ignorons des enjeux cruciaux, comme la question des Autochtones. Nous ne pouvons pas avancer de la sorte. »
Sur la question du remboursement des enfants autochtones aux SEF, Dougald Lamont pense, justement, que la proposition de son parti est « audacieuse ». Néanmoins, il précise que sa stratégie n’est pas de véhiculer de grandes idées le temps d’une campagne.
« Notre objectif est de communiquer directement avec les citoyens et faire un travail de proximité à long terme au sein des communautés. C’est ainsi que nous avons augmenté notre bassin électoral à Saint- Boniface, par exemple », rappelle le député de Saint- Boniface.
Pour maintenir cette trajectoire, Dougald Lamont compte sur des noms connus, de jeunes visages et un esprit de diversité dans le choix des candidats.
L’universitaire Félix Mathieu estime que ce sera là le cheval de bataille des libéraux, avec des candidatures de renom comme ce fut le cas lors des dernières élections avec l’ancien joueur des Blue Bombers Willard Reaves.
« Les libéraux sont passés très proches d’obtenir Fort Whyte face à l’actuel ministre Obby Khan. Ils ont essentiellement misé sur la connaissance de terrain du candidat Willard Reaves et sur les liens qu’il avait tissés avec la communauté. Il faut qu’ils misent sur cette partie plus personnelle », suggère-t-il.
L’ancien footballeur est d’ores et déjà candidat du parti à Fort Whyte pour les prochaines élections. Dougald Lamont mise également sur Rhonda Nichol à Kirkfield Park, infirmière pendant 29 ans à l’Hôpital Grace, connue dans le milieu de la santé.
« Nous allons aussi avoir des candidats autochtones, LGBTQ, jeunes, femmes, Noirs, francophones, anglophones… pour refléter la diversité de notre province. Nous comptons aussi sur de nouveaux visages, même si c’est toujours difficile de trouver des candidats qui ne se sont jamais présentés, fait-il savoir.
La compétition sera sérieuse à Saint-Boniface
Selon Raymond Hébert, professeur émérite en sciences politiques de l’Université de Saint-Boniface, un des trois sièges qui sera le plus menacé lors des prochaines élections est celui de Saint-Boniface. Un grand test pour Dougald Lamont.
« Il est vrai que Saint- Boniface a une histoire libérale, mais il y a une nouvelle tendance NPD qui s’installe dans le quartier. La compétition sera sérieuse. La dernière fois que Dougald Lamont a gagné, c’était en 2019, face à Laurissa Sims, une candidate peu connue aussi bien dans le milieu francophone qu’anglophone. Elle n’avait pas mené une campagne très vigoureuse. C’était une candidate de dernière minute », rappelle-t-il.
Ce qui risque de ne pas être le cas en octobre 2023, puisque Raymond Hébert considère que le NPD a plus de chances, cette fois-ci, avec Robert Loiselle. Un candidat désigné suffisamment à l’avance et sans opposition au sein de son parti.
« Son avantage aussi sur la dernière candidate est qu’il est bien connu chez les francophones. La question qui se pose pour lui est de voir s’il est connu du côté des anglophones, et je pense que non. Mais c’est pour cela que nous avons des campagnes électorales », ajoute-t-il.
Raymond Hébert note que si le siège de Saint-Boniface est perdu, le chef du parti sera forcé de démissionner et cela entrainerait une course à la chefferie du Parti libéral.
Dougald Lamont se dit pourtant confiant. « Je connais Robert Loiselle, je vais le prendre au sérieux, mais je pense que j’ai bien représenté les gens de Saint-Boniface lors de mon mandat. J’ai abordé des dossiers que le NPD ne peut pas évoquer. Je pense aux enjeux liés à la santé et aux Autochtones, notamment », soutient-il.
Est-ce que cela sera convaincant lors des prochaines échéances électorales? Aux yeux de Félix Mathieu, ce sera « tout le défi des libéraux de sortir de l’image d’un tiers parti ». Raymond Hébert le pense aussi.
(1) Le sondage a été mené auprès de 1000 citoyens manitobains sur la période du 31 mai au 13 juin. Le PC et le NPD ont obtenu chacun 41 % des intentions de vote.
Dougald Lamont s’explique sur la baisse des finances du Parti
Les états financiers annuels du Parti libéral ont chuté en 2022. Les dons récoltés sont passés de 289 000 à 250 556 $, comparativement à 2021. Une baisse de 14 %.
Les deux autres principales formations politiques de la province ont fait mieux. Le Parti progressiste- conservateur a vu ses dons passer de 1,4 millions $ en 2021 à 1,5 millions $ en 2022.
Pareil pour le Nouveau Parti démocratique (NPD), dont les dons sont passés de 1,137 million $ en 2021 à 1,3 million $ en 2022.
Ce qui ne constitue pas une bonne nouvelle pour le Parti libéral, de l’avis de Raymond Hébert, professeur émérite en sciences politiques de l’Université de Saint- Boniface.
« Cela confirme les tendances que nous avons récemment vues. L’appui s’affaiblit pour le Parti libéral. Si l’on combine le sondage de mars 2023 (Probe Research pour le Winnipeg Free Press) sur les intentions de vote pour le parti (9 %) avec l’état des finances, cela fait deux indices sérieux que les libéraux sont en débandade », souligne-t-il. Pareil pour le dernier sondage du mois de juin (10 %), qui fait progresser les intentions de vote de 1 % pour les libéraux. Ce qui n’est pas « statistiquement significatif » aux yeux de Raymond Hébert.
Le chef du parti, Dougald Lamont, ne s’avoue pas inquiet. Il explique cette baisse dans les finances par le fait des changements opérés dans l’organisation du parti.
« Nous sommes en plein milieu d’une réorganisation de notre manière de collecter des fonds. Nous avons un nouveau comité et un système électronique plus simple et accessible sur notre site web. Une centaine de personnes sera déployée pour récolter des dons et nous avons espoir d’augmenter nos fonds pour l’année 2023 », soutient-il.
Dougald Lamont ne voit aucun rapport entre le dernier sondage sur les intentions de vote et la baisse des finances. « Pour preuve, les sondages n’avaient pas prédit ma victoire et celle du parti à Saint-Boniface », lance-t-il.
(1) Le sondage a été mené auprès de 1000 citoyens manitobains sur la période du 31 mai au 13 juin. Le PC et le NPD ont obtenu chacun 41 % des intentions de vote.