Marianne Dépelteau

Les immigrants âgés éprouvent généralement un sentiment de solitude plus élevé que les personnes âgées nées au Canada, notamment lié à la langue. C’est ce qui ressort d’un rapport récemment dévoilé par Statistique Canada.

« [À cause] du manque de force, les personnes âgées participent moins aux activités communautaires et culturelles, remarque Ahmed Saba, agent de liaison culturelle au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury (CSCGS). On fait tout pour aller chercher cette population, mais naturellement, elle participe moins. »

Au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury (CSCGS), Ahmed Saba organise des activités culturelles afin de favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. Photo : Courtoisie

Le premier réseau des personnes immigrantes est composé des collègues de travail, avec parfois quelques amis et connexions en fonction du lieu d’origine, observe-t-il. « Quand c’est le moment de ne plus travailler, c’est clair que tu n’as plus accès à ce réseau de collègues […] et facilement tu plonges dans la solitude. »

La francophonie sur le coup

Pour Jessica Dupuis, gestionnaire nationale de projets à la Fédération des aînées et des aînés francophones du Canada (FAAFC), la langue peut faire partie de la solution.

Grâce à un financement d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), l’organisme a colancé en 2021 un projet d’intégration des immigrants ainés dans les communautés francophones, qui court jusqu’en 2025.

Jessica Dupuis coordonne le projet d’intégration des immigrants ainés dans les communautés francophones de la Fédération des aînées et des aînés francophones du Canada (FAAFC). Photo : Courtoisie FAAFC

À ce jour, l’Alberta, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick y participent. Dans chacune de ces provinces, des organismes communautaires organisent des activités pour favoriser la rencontre d’ainés immigrants et d’ainés nés au Canada, comme des sorties en bus, mais aussi des activités en ligne avec l’utilisation d’outils numériques, décrit Jessica Dupuis.

Le projet permet de « développer le sentiment d’appartenance, ce qui va minimiser les facteurs de risque liés à l’isolement et la solitude », explique-t-elle.

Adapter l’offre à l’âge

Souhail Boutmira, doctorant en philosophie et études politiques à l’Université métropolitaine de Toronto, travaille sur l’influence de la langue sur le bienêtre des immigrants.

« Les immigrés et les personnes âgées qui arrivent au Canada ont envie de se sentir utiles au niveau communautaire, confirme-t-il. L’absence de moyens pour inciter les personnes âgées à participer, comme faire du bénévolat, les pousse à ne pas se sentir chez eux. »

En discutant avec des immigrants ainés, Souhail Boutmira a constaté l’importance de multiplier les activités pour s’intégrer.

Souhail Boutmira est doctorant en philosophie et études politiques à l’Université métropolitaine de Toronto. Photo : Grace Esford

« [Une immigrante de 84 ans] me demandait si c’était possible de faire de la couture et apprendre la langue en même temps, raconte-t-il. D’autres femmes m’ont dit que leur meilleur moyen d’intégration serait en cuisine, en faisant du bénévolat dans des églises ou des banques alimentaires où elles peuvent communiquer, [faire] ce qu’elles savent faire et se sentir utiles. »

Selon Jessica Dupuis, l’initiative de la FAAFC « peut se faire en multidisciplinarité et en intersectorialité » : « Il y a eu des représentations dans des foires, de la pêche sur glace, une chasse aux champignons, une pièce de théâtre, des repas communautaires », énumère-t-elle.

Une force pour les communautés

« C’est un investissement qui revient à la communauté », souligne Moïse Zahoui, coordonnateur des services en immigration au CSCGS.

À ses yeux, une meilleure intégration signifie une meilleure rétention. « On veut créer des conditions dans lesquelles les nouveaux arrivants se sentent à l’aise, un sentiment d’appartenance. Par ricochet, quand une personne se sent à l’aise chez elle, elle va contribuer à la vie de la communauté. »

Selon Moïse Zahoui, coordonnateur des services en immigration au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury, les communautés francophones ont tout intérêt à bien accueillir les immigrants. Photo : Courtoisie

L’isolement serait donc un danger pour les communautés francophones. « À chaque fois que Sudbury perd un francophone, ça impacte la francophonie, alerte Ahmed Saba. La mission est vraiment de permettre aux immigrants de s’intégrer économiquement, culturellement. »

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L’inverse est possible

La solitude est aussi liée au fait de « compter sur un réseau de personnes qui parlent sa propre langue maternelle », rapporte en 2017 le Conseil national des ainés dans une revue de la littérature sur l’isolement social de différents groupes d’aînés, citant une étude sur le sujet.

« Les auteurs ont avancé que cette situation découle peut-être du fait que de tels réseaux renforcent le sentiment d’effritement culturel ou sont peut-être trop petits (et isolés) pour aider la personne à créer des liens avec un réseau plus large de personnes dans une plus grande zone géographique. »

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De son côté, Jessica Dupuis est fière de constater que le projet financé par IRCC permet de pallier le manque de services d’intégration, une fois ceux d’accueil terminés : « Une fois qu’ils ont passé à travers [ces] services, ils sont un peu laissés à eux-mêmes. Il n’y a plus de nouvelles ressources. »

L’isolement des non-immigrants demeure également une préoccupation pour la FAAFC. « On offre aussi la possibilité d’avoir des bénévoles ainés, donc on agit un peu sur deux tableaux en permettant la participation sociale des ainés francophones en situation minoritaire », assure Jessica Dupuis.

« Toute personne qui apprend le français, qui est en train d’apprendre le français, qui veut apprendre le français ou qui est francophone peut avoir accès à ces activités, insiste-t-elle. Le but est de créer un bassin de personnes qui partagent la même langue et de pouvoir la pérenniser dans la communauté. »