Dans un rapport publié en juillet, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, basé sur des témoignages du Centre national pour la Vérité et la Réconciliation (CNVR) et ceux du Bureau de l’Interlocutrice spéciale indépendante, a relevé que la Société historique de Saint-Boniface, ainsi que d’autres organismes ailleurs au Canada, n’avaient pas encore fourni tous les documents relatifs aux pensionnats autochtones.
Le sénateur Brian Francis, originaire de l’Île-du-Prince- Édouard et affilié au groupe progressiste du Sénat, est le président ce Comité sénatorial. Il explique l’intention derrière ce premier rapport. « L’objectif était de faire en sorte que ces témoins viennent volontairement témoigner de la raison pour laquelle les documents étaient retenus. Jusque-là toutes les personnes sont venues, il en reste encore quelques-unes à entendre. »
Parmi cette liste se trouvait donc la Société historique de Saint-Boniface (SHSB), et c’était quelque peu une surprise pour sa directrice générale Janet La France. « Les documents en question n’appartiennent pas à la SHSB. Ils sont simplement en entreposage ici. C’est ce qui m’a donc motivée à donner une explication auprès du Comité sénatorial. »
Ces documents sont en effet la propriété des Oblats de Marie-Immaculée qui ont administré des pensionnats autochtones au Canada, comme le souligne Janet La France. « Ce sont eux les propriétaires et ils en contrôlent l’accès. Il y a 183 mètres linéaires d’archives dans le fonds des Oblats de Marie-Immaculée. C’est-à-dire 183 mètres de feuilles collées les unes aux autres de manière verticale. Sur ces 183 mètres, il y en 122 qui n’ont pas été traités du tout. Nous ne savons même pas ce qu’il y a dedans. Comme archiviste, tu ne traites pas ce qui ne t’appartient pas. »
Traiter les archives
La SHSB possède, depuis les révélations de Kamloops, un partenariat avec les Oblats de Marie-Immaculée et le CNVR pour que ces documents soient accessibles le plus rapidement possible. Le premier travail sera de les traiter, une tâche assez complexe que détaille Janet La France. « Un traitement signifie que quand une boîte d’archives rentre au Centre du patrimoine, il faut d’abord faire un triage, enlever les doublons, organiser par thème/chronologie. Ensuite, il faut tout numériser, et il faut décrire tous les documents parce que nous allons mettre les documents dans notre base de données pour les personnes.
« Le traitement peut prendre très peu de temps si les documents sont rangés, ou prendre vraiment très longtemps s’il n’y aucun ordre. Je dois dire que l’organisation des Oblats de Marie-Immaculée est un peu chaotique. C’est ce que nous avons constaté à la SHSB. »
Vers la vérité
Dès le 3 octobre, une nouvelle employée sera donc, en partie, chargée de ces missions afin de continuer de déposer des archives au CNVR. Parce qu’évidemment, tout l’enjeu réside dans le fait de rendre accessible un maximum de documents pour les communautés autochtones. C’est en tout cas ce que pense le sénateur Brian Francis, qui est lui-même originaire de la Première Nation de Lennox Island. « Les peuples autochtones ont le droit d’accéder aux dossiers relatifs aux pensionnats, aux externats et à d’autres institutions. Ces dossiers sont essentiels pour découvrir ce que nos peuples et nos communautés ont enduré et pour veiller à ce que cela ne se reproduise plus jamais. Nous espérons donc que le rapport du Comité nous fournira une feuille de route sur la manière d’aller de l’avant. »
Mais pour y parvenir, des fonds sont nécessaires pour les organismes qui œuvrent à rendre accessibles toutes ces archives. Janet La France a donc pu faire valoir ce point auprès du Comité sénatorial. « Il y a un manque d’appui financier de la part des différents paliers de gouvernement. Notre financement provincial n’a pas augmenté depuis 25 ans. DelapartduFédéral,ilyaeu une augmentation. Mais pas significative. Nous sommes dans une position où les Oblats de Marie-Immaculée financent un poste pour la numérisation des documents. Cependant, il faudrait évidemment plus de monde si les gouvernements veulent prioriser ce travail. »
Des défis
Un message qui a bien été entendu par le sénateur Brian Francis. « La SHSB a indiqué que le principal obstacle était le manque de financement pour accélérer l’identification et le transfert des documents. La SHSB nous a également dit, lors de leur témoignage, que même si elle aimerait agir rapidement, c’est impossible sans un personnel suffisant et d’autres ressources. Selon moi, ces ressources devraient être financées en grande partie par les entités catholiques dont les documents sont conservés. »
Un autre défi qu’évoque Janet La France est la barrière de la langue. « Beaucoup de survivants de pensionnats ne parlent pas français. Sauf que nos documents sont en français. J’avais donc développé tout un lexique en lien avec les pensionnats autochtones, que ce soit des noms de maladies, des fuites des pensionnats, vraiment tout ce que je pensais. Ensuite, j’ai fait une traduction pour que les gens aient un outil pour naviguer dans les documents. Il y a eu un groupe de Cowessess du pensionnat autochtone de Marieval qui a établi un partenariat avec l’Université de Regina pour qu’il y ait une traduction des documents. »
Vers la réconciliation?
Le sénateur Brian Francis précise qu’à la fin des témoignages, un rapport sera publié et rendu public pour tous les citoyens canadiens. « Notre peuple a le droit de savoir ce qui est arrivé à nos proches, à nos familles, à nos amis, à nos frères, à nos sœurs, à nos tantes, à nos oncles et ainsi de suite, afin de tourner la page.
« Malheureusement, certains de nos concitoyens sont décédés sans savoir ce qu’il est advenu de leurs enfants. Vous pouvez imaginer à quel point ce serait douloureux de mourir le cœur brisé, sans savoir où sont passés les enfants qui vous ont quitté, qui vous ont été enlevés pour ne plus jamais revenir.
Et la guérison
« Ce n’est qu’une petite partie de notre travail en tant que Comité que de permettre à nos concitoyens de tourner la page et de trouver la paix en découvrant ces dossiers et en les rendant aux communautés auxquelles ils devraient être rendus, afin qu’elles puissent tourner la page. »
D’ailleurs, Janet La France constate que depuis les découvertes macabres de la Première Nation de Kamloops, il y a une accélération à vouloir consulter des archives. Un constat que partage Brian Francis.
« La situation est meilleure qu’il y a quatre ou cinq ans. Nous avançons à petits pas, mais il est important de maintenir la pression pour que cela continue. Car sans vérité, il ne peut y avoir de réconciliation. Vous savez, comme il est écrit dans le rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation, sans vérité, il n’y a pas de justice. La guérison ne peut avoir lieu, et il ne peut y avoir de véritable réconciliation. C’est pourquoi nous devons continuer à aller de l’avant. »
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