Alors que l’organisme IISD-ELA a pris la décision en 2014 d’établir des relations de travail durables avec les communautés autochtones environnantes, la Commission de vérité et de réconciliation, dans son rapport final, en 2015, détaille 94 appels à l’action, dont le n°92 qui demande aux entreprises « d’adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation et d’appliquer les normes et les principes qui s’y rattachent dans le cadre des politiques organisationnelles et des principales activités opérationnelles touchant les peuples autochtones, leurs terres et leurs ressources; les mesures demandées comprennent, mais sans s’y limiter, les suivantes : i. s’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples  autochtones avant de lancer des projets de développement économique […] ».. 

Depuis 2018, Dilber Yunus occupe le poste de directrice des relations avec les Autochtones à IISD-ELA. « Être sur le territoire visé par le Traité n°3, c’est reconnaître ce qui s’est passé, reconnaître les populations qui s’y trouvent. Et comme nous opérons sur leur territoire, nous les tenons informé des recherches qui sont en cours, des activités qui se tiennent sur le site, etc. Mais pas uniquement. » 

Respect et confiance 

De nature curieuse, Dilber Yunus a en effet creusé le sujet de son côté avant de rencontrer les leaders autochtones, pour ensuite être invitée dans leur communauté. Elle tient à préciser que toute cette conversation n’est que le reflet de sa propre expérience personnelle. 

« Mon intérêt personnel et professionnel, est de vraiment voir comment le savoir traditionnel autochtone et le savoir occidental peuvent travailler ensemble. Ce n’est pas ajouter l’un à l’autre. C’est trouver des façons harmonieuses où les deux systèmes de connaissances peuvent fonctionner ensemble, parce que les deux systèmes regardent à des enjeux et perspectives complètement différents. 

« Je suis vraiment très intéressée d’amener différentes personnes dans une pièce et voir le résultat. Imaginez-vous des Aînés, des gardiens du savoir, discuter avec des hydrologues, des biologistes des poissons, des immunologistes. Les conversations sont fascinantes. » 

Elle reconnaît également que cette collaboration repose sur un travail de confiance qui se fait au fur et à mesure. 

« Bien sûr, la construction de relations n’a pas été sans heurts. Nous venons tous avec nos bagages, nos postulats, alors quand nous communiquons avec des personnes qui ont des bagages complètement différents, c’est forcément difficile d’être sur la même longueur d’ondes. Mais tout repose sur votre intention. Si vous êtes prêts à discuter, à mettre vos connaissances de côté, alors les relations peuvent se construire. Dans le chemin vers la Vérité et la Réconciliation, tout repose sur la confiance et le respect. 

« Dans beaucoup de discours, on entend souvent : Je respecte vos connaissances, MAIS. C’est ce mais qu’il faut réussir à éliminer, parce que nos bagages sont littéralement opposés. » 

« C’est trouver des façons harmonieuses où les deux systèmes de connaissances peuvent fonctionner ensemble, parce que les deux systèmes regardent à des enjeux et perspectives complètement différents. » 

Dilber Yunus

Apprentissage 

Au cours des cinq dernières années, Dilber Yunus a appris quelques enseignements qui sont fondamentaux dans son travail. « Il y a vraiment trois axes qui sont importants dans notre travail à IISD-ELA. Tout d’abord, la langue et la culture. Je pense que c’est fondamental dans toute construction de relations avec des nouvelles personnes. La langue que nous parlons façonne réellement notre vision du monde. 

« Depuis plusieurs années, nous produisons de courtes vidéos, des infographies au sujet de notre travail à IISD-ELA. Ces vidéos sont disponibles en français et anglais. Il nous a semblé essentiel de les traduire en ojibwé parce que les 23 Premières Nations qui nous entourent parlent ojibwé. Dans le processus, nous avons appris que la plupart des langues autochtones sont des langues basées sur le verbe. Le français et l’anglais sont des langues basées sur les noms. Et quand j’ai compris ça, j’ai compris pourquoi beaucoup d’Aînés et de gardiens du savoir pouvaient être frustrés lors de nos discussions. Beaucoup de choses étaient perdues dans la traduction en anglais. Il faut s’imaginer vouloir argumenter avec quelqu’un et ne pas être capable de s’exprimer dans sa langue. C’est particulièrement frustrant. 

« Il y a aussi eu toute la question des mots qui n’existent pas en ojibwé. C’est dans ce cadre que j’ai appris que cette langue n’emprunte pas de mots étrangers, elle va les traduire d’une autre façon. Par exemple, nous avons dû traduire dioxyde de carbone. Nous avons alors dû expliquer ce que c’était, on s’est alors lancé dans de grandes explications. Mais ce n’était pas assez, donc nous avons expliqué son rôle, l’action du dioxyde de carbone. C’est de cette manière que nous sommes arrivés à une traduction en ojibwé : l’air que respire les arbres. 

« Ce sont peut-être des détails pour certains, mais c’est leur langue, leur identité. Ce n’est pas du tout négligeable. » 

Il était tout aussi important pour l’organisme IISD-ELA de tenir des cérémonies traditionnelles, comme l’explique Dilber Yunus. « Toute la question des protocoles est aussi très liée à notre travail avec l’eau. Depuis 2015, nous tenons une cérémonie traditionnelle annuelle à IISD-ELA. Il y a des tambours, une cérémonie de l’eau, des cercles de partage et une fête pour célébrer les saisons. Souvent, nos recherches se font du printemps à l’automne, alors cette fête coïncide avec la fin d’une saison de recherche chez nous, avec la bénédiction des Aînés. 

« Et depuis l’année dernière, durant notre recherche sur les microplastiques, nous avons voulu ajouter une composante autochtone pour faire une cérémonie de l’eau. En discutant avec les Aînés, ils nous ont averti que nous devrions en faire une au printemps et une à l’automne, parce que c’est à cette époque-là qu’ils ont l’habitude de le faire. C’est le savoir traditionnel. » 

« Dans le processus, nous avons appris que la plupart des langues autochtones sont des langues basées sur le verbe. Le français et l’anglais sont des langues basées sur les noms. Et quand j’ai compris ça, j’ai compris pourquoi beaucoup d’Aînés et de gardiens du savoir pouvaient être frustrés lors de nos discussions. » 

Dilber Yunus

Du respect et de bonnes intentions

Pour Dilber Yunus ce n’était pas assez, il y avait une volonté d’impliquer encore plus le savoir traditionnel des personnes autochtones dans ses travaux de recherche. 

« Parce qu’on a construit toutes ces relations dans le respect les uns des autres, je me rends souvent à des évène-ments dans leurs commu-nautés. De par cette proximité, les gens viennent vers moi pour me dire qu’ils seraient intéressés à faire telle ou telle recherche dans leur communauté. Par exemple, une personne était venue me voir parce qu’elle avait des préoccupations sur la qualité de l’eau et la pêche. Elle voulait étudier la contamination de l’eau. Grâce à ces discussions, je tente d’avoir des financements pour mener les projets qui intéressent les communautés. 

« Plutôt que de dire : J’ai une idée, allons dans votre communauté pour vous la présenter, je préfère dire : Ok, parce que nous avons construit une relation, je sais que vous êtes intéressés dans ça. J’ai du financement, faisons-le. » 

De toutes ces expériences, Dilber Yunus retient qu’ « avec du respect, de bonnes intentions et l’envie d’apprendre, il est certainement possible de construire des ponts qui nous enrichissent tous ». 

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté