L’annonce, qui ne devrait pas susciter de controverse, invite à s’interroger en particulier sur l’importance de cette reconnaissance pour la communauté métisse et sur sa légitimité historique.
C’est lors de l’assemblée générale annuelle de la Fédération métisse du Manitoba, tenue le 14 octobre, que Wab Kinew a fait sa promesse. Officiellement reconnu comme le fondateur du Manitoba par la Chambre des communes en 1992, en 2016 un portrait du chef métis avait rejoint au Palais législatif ceux de tous les Premiers ministres de la province.
La présidente de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM) Paulette Duguay, rappelle d’ailleurs que le portrait du chef métis a été placé en premier dans la galerie de portraits des chefs de gouvernement. « D’avoir mis sa photo là, c’est plus ou moins reconnaître qu’il a été Premier ministre. La Province avait donc déjà reconnu ses contributions, il y a déjà eu un pas dans cette direction. »
Symbolique
Paulette Duguay souligne tout de même que l’initiative du Premier ministre néo-démocrate a d’inédit qu’elle est « très publique, très officielle ». Et cela, la présidente de l’UNMSJM le salue. « Ce geste garde la mémoire de Louis Riel en vie, il valorise le travail qu’il a fait pour la province et c’est très symbolique. Ça va peut-être motiver les gens à en apprendre plus sur l’histoire du Manitoba et la contribution de Louis Riel et de la communauté métisse. Ça me donne de la joie parce que si Wab Kinew pose ce geste, c’est peut-être parce qu’il partage les mêmes valeurs que Louis Riel. »
Pour Joël Tétrault, enseignant en perspectives autochtones à la Division scolaire Louis-Riel (DSLR), accorder ce titre honorifique revient à venir combler « un trou dans l’histoire du Manitoba ».
« Lorsque le Manitoba est devenu une province, ça s’est fait avec l’approbation du gouvernement provisoire, dirigé par Louis Riel. C’est pour ça que l’on a toujours voulu qu’il soit reconnu comme le premier Premier ministre. »
Point historique
La Loi sur le Manitoba passée par la Chambre des communes le 12 mai 1870 a été ratifiée par le gouvernement provisoire de Louis Riel le 24 juin 1870. Le Manitoba est officiellement créé le 15 juillet 1870. Le 2 septembre de la même année, le lieutenant-gouverneur Adams George Archibald arrive au Manitoba et devient de facto premier ministre du Manitoba. Comme le voulait l’une des clauses de la Loi du Manitoba, il est bilingue et établit un gouvernement provincial bilingue.
Pour Joël Tétrault, cette période met en lumière deux choses. D’abord, que les responsables métis étaient « politiquement sophistiqués », et qu’ils avaient une bonne connaissance des lois. Ensuite, que sans les politiciens locaux, qui avaient pris les rênes au moment de la Résistance de 1869, le Manitoba n’aurait jamais vu le jour.
Toutefois, la question de savoir si Louis Riel était bel et bien premier ministre reste entière.
Gerald Friesen est professeur émérite de la Faculté d’histoire de l’Université du Manitoba (UofM). Pour lui, reconnaître Louis Riel comme le premier Premier ministre du Manitoba, c’est essentiellement « reconnaître le gouvernement provisoire de Riel ».
Gerald Friesen voit dans la promesse de Wab Kinew un certain message. « Ce que Wab Kinew veut dire, c’est que le peuple de la Rivière-Rouge a accepté Riel comme son chef. Ce dernier s’est organisé pour que l’abbé Joseph-Noël Ritchot le représente, lui et son gouvernement, lors des négociations à Ottawa. Il est donc clair que Louis Riel a pris la tête d’un groupe de personnes raisonnablement bien organisé dans le district d’Assiniboia, qui n’était pas encore le Manitoba, mais qui regroupait les mêmes personnes au même endroit.
Exonération
« Le gouvernement Riel rassemblait tous les membres de la communauté des Premières Nations, des francophones, des anglophones, Métis pour la très large majorité. Louis Riel était le président de ce groupe et le Manitoba commençait donc à exister, et quoiqu’il n’eût pas encore été formellement nommé, il était placé sous le régime du droit constitutionnel du Canada britannique. » Il a été chef des Métis pendant la Résistance et président de l’Assemblée législative d’Assiniboia, mais techniquement il n’a pas été premier ministre comme on l’entend aujourd’hui.
Par ailleurs, si l’attribution de ce titre semble publiquement faire consensus, il pourrait rallumer le débat autour de l’exonération du père du Manitoba jugé coupable de haute trahison et exécuté le 16 novembre 1885 à Regina. Pour Joël Tétrault, métis, l’exonération n’a pas lieu d’être. « Pour exonérer, il faut reconnaître qu’il y a eu crime. Selon moi, Louis Riel n’a commis aucun crime. Il s’est battu pour protéger les droits fondamentaux de toutes les populations de l’Ouest. Plutôt que de l’exonérer, il faut mieux éduquer sur son héritage. »
« En tant qu’éducateur, il faut que l’on prenne cette information-là et que l’on s’assure de l’enseigner, de parler du rôle essentiel de Louis Riel et des Métis dans l’établissement de la Province. »
Joël Tétrault
De son côté, Gerald Friesen dit comprendre la position de certains membres de la communauté métisse. Il dit aussi comprendre pourquoi le gouvernement canadien de 1885 a estimé qu’il devait être jugé. Mais « quant à savoir s’il méritait d’être exécuté, là c’est encore autre chose. »
À propos d’exonération, Gerald Friesen mentionne l’exécution le 4 mars 1870 de l’orangiste Thomas Scott, jugé coupable de trahison par le gouvernement provisoire d’Assiniboia. L’évènement avait provoqué un grand tumulte dans les milieux anticatholiques de l’Ontario et a fait passer Riel pour un meurtrier aux yeux des orangistes.
Impact éducatif
« Mais le gouvernement fédéral de 1875 a fait la paix avec cet épisode, souligne Gerald Friesen. Le gouvernement libéral d’Alexander McKenzie est tombé d’accord sur une peine de cinq ans d’exil pour Louis Riel, qui s’était déjà exilé pour échapper à ses ennemis. » Riel passera sept ans dans le Montana de 1878 à 1884 avant de prendre la tête de la Résistance au Nord-Ouest. C’est cette ultime campagne pour les droits et intérêts des Premières Nations et des Métis qui lui coûtera la vie.
Gerald Friesen comme Joël Tétrault sont d’accord sur le potentiel impact éducatif de l’annonce du Premier ministre néo-démocrate. L’enseignant francophone estime qu’il s’agit d’un pas vers la vérité et ajoute : « En tant qu’éducateur, il faut que l’on prenne cette information-là et que l’on s’assure de l’enseigner, de parler du rôle essentiel de Louis Riel et des Métis dans l’établissement de la Province. »
Pour sa part, Gerald Friesen, auteur du livre A guide to the study of Manitoba Local History (1981) indique que, depuis plusieurs décennies, les cursus universitaires font montre d’une meilleure compréhension du « cas des Métis ». Il nuance cependant son propos. « Est-ce que cette question d’histoire touche tous les Manitobains? Peut-être pas… Mais la position que prend le Premier ministre servira assurément un but éducatif pour l’ensemble de la communauté. »
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté