Marianne Dépelteau – Francopresse
Selon eux, les dernières annonces fédérales en matière d’immigration présentent des risques et ne répondent pas aux revendications de longue date des organismes.
Pour le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes, l’annonce récente des prochaines cibles en immigration est une « occasion manquée » de mettre en place les mesures nécessaires afin d’accroitre la protection des migrants.
Le 1er novembre, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC), Marc Miller, a annoncé l’objectif d’admettre 500 000 résidents permanents en 2025. Un chiffre que le gouvernement souhaite stabiliser à partir de 2026.
« Au cours de la dernière année, nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos partenaires et le gouvernement pour identifier les lacunes et les défis du système d’immigration du Canada. Le but de cette invitation était d’avoir des mesures pour protéger des nouveaux arrivants, des étudiants internationaux et des survivants de la traite des personnes, y compris des travailleurs, travailleuses migrants », déplore Aziz Froutan, gestionnaire des communications du Centre.
« Il y avait des plans et des recommandations envoyés vers le gouvernement, et malheureusement, il n’a pas considéré toutes les recommandations, mesures et actions soulignées par les organismes qui travaillent avec les victimes et les survivants de la traite des personnes », se désole-t-il.
Parmi les éléments manquants, il note les questions des permis fermés, du regroupement familial et de l’accès à un statut permanent.
Les Nations Unies grondent le Canada
Plus tôt en septembre, Tomoya Obokata, rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage a déclaré que « les programmes de travailleurs étrangers temporaires du Canada sont un terrain propice aux formes contemporaines d’esclavage ».
Selon lui, le Canada doit régulariser le statut des travailleurs migrants étrangers et mettre fin au système fermé des permis de travail.
Ce système a d’ailleurs perturbé le rapporteur qui l’accuse de rendre les travailleurs migrants « vulnérables aux formes contemporaines d’esclavage, car ils ne peuvent pas dénoncer les abus subis sans craindre d’être expulsés ».
Potentielle hausse de traite
Alors que les Nations Unies recommandent que le Canada améliore l’accès à la résidence permanente pour tous les migrants, la stabilisation prévue en 2026 aurait l’effet inverse d’après des experts.
Cette stabilisation ne vise pas l’immigration temporaire, dont les chiffres ont atteint des records cette année. « Si on a plus de nouveaux arrivants, surtout des étudiants et étudiantes internationaux et des travailleurs et travailleuses migrantes, et qu’on n’a pas pris les mesures nécessaires, on va avoir plus de problèmes [d’exploitation] », s’inquiète Aziz Froutan.
L’accès restreint à la résidence permanente préoccupe aussi Mylène Coderre-Proulx, doctorante en développement international à l’Université d’Ottawa. Elle rappelle que plusieurs demandeurs de statut permanent se trouvent déjà sur le territoire canadien.
Un statut temporaire reste un statut précaire, souligne-t-elle. « La résidence permanente pour motifs humanitaires, c’est souvent la dernière voie qu’il reste pour sécuriser un statut. »
« Si on continue de connaitre un taux de croissance élevé d’immigration temporaire et qu’en parallèle, on gèle les seuils d’immigration permanente, bien là on précarise une population migrante sur notre territoire, peu importe le statut », poursuit la spécialiste.
Pour illustrer la précarité d’un statut temporaire, Mylène Coderre-Proulx prend l’exemple d’un employeur lié à un permis fermé abusif.
« [Le travailleur] rencontre quelqu’un qui lui promet un nouvel emploi, de s’occuper de démarches d’immigration permanente et de faire venir sa famille, amorce-t-elle. Le travailleur quitte son emploi et la personne peut lui extorquer de l’argent en disant qu’elle s’occupe de ses démarches d’immigration alors que ce n’est pas le cas. Elle peut saisir ses documents d’identité, son passeport. On arrive tranquillement dans une situation de traite. »
Des promesses qui datent
C’est sur toutes les personnes temporaires et sans statut « que repose le fonctionnement de tout un pan de l’économie, mais on ne leur reconnait pas les mêmes droits fondamentaux qu’à n’importe quel autre citoyen », a dénoncé le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) dans un communiqué le 3 novembre, en réaction à l’annonce du gouvernement.
Pour le CTI, restreindre l’accès à la résidence permanente sans améliorer les conditions des résidents temporaires les vulnérabilise et les améliorations en ce sens tardent à voir le jour.
Le CTI dénonce l’absence dans le plan du gouvernement d’annonce relative à l’abolition du permis fermé, « pourtant réclamée par nombre d’organisations communautaires et syndicales ».
Malgré les recommandations venant de plusieurs intervenants comme les Nations Unies et Amnistie internationale d’abolir ce type de permis, le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a statué qu’il ne le fera pas, lors d’une réunion du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) le 7 novembre.
Il a toutefois reconnu que des changements devaient être apportés et a indiqué que son département cherchait des façons pour permettre des changements d’emplois plus rapides pour ceux possédant un permis lié à un employeur spécifique.
« Rien sur la régularisation des personnes sans papier, malgré la promesse faite par Justin Trudeau il y a vingt-trois mois », argüe aussi l’organisme.
La « promesse » faite par le premier ministre fait quant à elle référence à la lettre de mandat de 2021 de l’ancien ministre de l’Immigration dans laquelle il lui était demandé de « poursuivre l’exploration de moyens de régulariser le statut des travailleurs sans papiers qui contribuent aux communautés canadiennes ».
La lettre de mandat de Marc Miller, ministre de l’Immigration depuis juillet 2023, n’est pas encore connue.
« Il y a des points positifs »
Néanmoins, Aziz Froutan reconnait « des points positifs » au sein de la nouvelle stratégie du gouvernement libéral.
« Il y a un plan pour aider et pour protéger des étudiants·tes internationaux en leur donnant des informations sur le système d’immigration au Canada […] On a vu que le gouvernement essaie d’avoir un groupe consultatif des survivants de l’immigration ou des gens ayant des expériences vécues. »
Quant aux propos de Marc Miller sur l’assouplissement du permis fermé, Aziz Froutan déclare, dans un courriel, que le Centre « est heureux de constater que le ministre est ouvert aux réformes désespérément nécessaires. Toutefois, une action est nécessaire immédiatement ».
« Le gouvernement doit sortir le Canada de sa dépendance à l’égard du Programme des travailleur·euses étrangers temporaires. Cela ne signifie pas fermer la porte au travail migrant. Cela signifie plutôt développer une stratégie fondée sur les droits qui donne la priorité à l’équité, à la justice et à l’égalité des chances. »