Ils s’appellent Pépite et Josèphe, c’est en tout cas comme ça qu’il faut les présenter. Arrivés par la route depuis Montréal, ils ont investi la galerie contemporaine de la Maison des artistes visuels francophones le 14 mars avec leur exposition Les galeries-logis.
Ce sont d’abord les tableaux qui attirent le regard. Ces panneaux de gypse (1), assez imposants soit dit en passant, sont encadrés de planches de bois récupérées et jonchés de morceaux de photos découpées de sorte à ce qu’aucun ne soit de la même forme ou taille. Ces tableaux-carte font penser tout à la fois, à des mosaïques ou des puzzles qu’il ne reste plus qu’à assembler. La petite succursale de la galerie contemporaine a été plongée dans le noir, l’une des deux entrées a été cloisonnée pour la durée de l’exposition qui prendra fin le 18 mai 2024. À l’intérieur, de curieux lustres tombent du plafond et s’arrêtent à hauteur de buste. ils émettent de la musique et ressemblent à de petites grottes lumineuses.
Vincent Biron-Chalifour, alias Pépite, souligne que « tous les éléments de l’exposition sont liés », pour bien mettre cela en lumière, il faut se pencher sur une autre activité du duo. « On fait aussi des tableaux sur mesure pour les gens, fait remarquer Josèphe Landreville. Les gens qui sont intéressés nous contactent, on se rend chez eux et ils nous font visiter la pièce dans laquelle ils aimeraient avoir un tableau.
« Nous, on prend des photos et on documente cette visite. On rentre ensuite à l’atelier avec les images de cet espace et ce que les gens aimeraient voir traduire sur la toile. »
Ces tableaux-là sont le point de départ de l’exposition Les galeries-logis. Grâce à une technique appelée la photogrammétrie, Pépite et Josèphe obtiennent des rendus 3D des espaces domestiques pour lesquels ils peignent. En prenant plusieurs photos d’une chambre à coucher et à l’aide d’un logiciel ils peuvent normalement obtenir un fichier 3D de cette même chambre,«mais il y a eu un pépin informatique, nous dit Pépite, qui fait que les espaces se sont mis à ressembler à des grottes. »
Les fichiers 3D défectueux sont donc devenus des luminaires et les photos ont été découpées et disséminées sur les panneaux de plâtre.
L’exposition gravite autour des espaces, que les deux Québécois s’amusent à défor- mer ou réaffecter. Mais elle est aussi un « mélange entre le fait main et le numérique ». C’est ce que fait valoir Josèphe : « Les tableaux sont générés par logiciel automatiquement, ça s’appelle une texture map. Nous, nous l’avons imprimé et transféré sur le panneau de gypse. Une fois transférés, nous sommes venus travailler les blancs à la gouge. Ça rajoute un côté archéologique. C’est un langage qu’on aime assez.
« Les sciences de la terre, ça nous attire beaucoup, je pense qu’on s’identifie à la figure de l’archéologue, mais actuel. » À cela, Pépite ajoute : « C’est comme si l’on considérait que notre civilisation était déjà archaïque. »
Un travail d’équipe
Cela fait maintenant huit ans que Pépite et Josèphe travaillent ensemble. Ils se sont rencontrés au temps où ils étaient encore étudiants. Pépite étudiait la photographie à l’Université de Concordia et Josèphe, elle, les arts visuels à l’Université du Québec à Montréal (l’UQAM). « On avait notre job alimentaire en même temps », raconte Josèphe et Pépite rebondit aussitôt :
« On a commencé à travailler ensemble parce qu’on marchait quoi? Trois heures? » Alors qu’il cherche Josèphe du regard pour confirmation, celle-ci le corrige, « deux heures et demie. »
Pépite reprend alors, « on marchait cinq heures par jour ensemble et nos imaginaires se sont synchronisés. À un moment donné, on se sentait tellement impliqué dans les projets l’un de l’autre que l’on s’est dits qu’il fallait essayer d’en faire un ensemble et ça s’est super bien passé. »
On peut parler en quelque sorte d’un véritable coup de foudre artistique entre les deux Montréalais. Pour autant, l’on perçoit souvent le travail artistique comme un exercice solitaire par nature, une affaire entre l’artiste et son imaginaire, le peintre et sa toile, le poète et sa page. Mais pas pour Pépite et Josèphe.
D’abord, comme l’explique Pépite, leur méthode de création se prête au travail d’équipe. « On crée toute une méthodologie pour aboutir à un tableau, après, on l’exécute. Alors que ce soit elle ou moi qui fassions une étape ou une autre, ça ne change rien. C’est assez facile de travailler à deux. » Et Josèphe corrobore : « Il y a beaucoup d’essais et d’erreurs dans ce que l’on fait, je pense que ça aide d’être à deux. » Ce travail en binôme leur apporte aussi beaucoup au niveau du travail créatif.
« Je pense que ça permet de se détacher de notre propre égo, lance Pépite. Ça m’aide à créer une distance. » Pour Josèphe, être en binôme trans- forme le voyage en aventure. « C’est niaiseux, mais c’est ça. On dirait que c’est plus facile de rencontrer la vie et l’art quand on est deux, c’est plus sain. »
C’est aussi plus agréable de marcher en compagnie, il paraît en tout cas que cela permet d’aller plus loin. Car s’ils se sont trouvés comme ça, c’est aujourd’hui encore à travers la marche que Pépite et Josèphe trouvent l’inspiration. « Ce n’est pas de l’errance, on se rend juste d’un point A à un point B. Mais on va tomber sur un morceau de route et ça va nous déclencher un projet. On débloque un tas d’idées par la marche. » À deux, ils peuvent alors tout de suite les énoncer, en discuter et donner forme, sur la route, à leurs nouvelles idées.
(1) Le gypse est une roche sédimentaire aussi appelée pierre à plâtre.