Selon les derniers chiffres disponibles, le Canada a connu une hausse de 24,9 % des nouveaux cas déclarés de VIH en 2022 par rapport à 2021. Cela représente 1 833 personnes, portant le taux national de nouveaux diagnostics à 4,7 pour 100 000 habitants.
« C’est alarmant », lance Alex Filiatrault, chef de la direction de la Fondation canadienne de recherche sur le SIDA (CANFAR). « Les gens n’ont pas eu accès au dépistage pendant la pandémie de COVID-19 alors nous nous attendions à une petite augmentation. Mais pas à ce qu’elle soit aussi considérable. »
Une situation qui empire
De plus, selon la CANFAR, 10 % des gens qui vivent avec le VIH au Canada ne le savent pas. Il faut donc partir du principe que le nombre de nouveaux cas annoncé n’est pas forcément représentatif du véritable nombre. Et du côté du Manitoba, la virologue et immunologue Dre Julie Lajoie, s’inquiète aussi de ces données et prévoit même une année 2023 « très moche ».
Il faut dire qu’au Manitoba, la situation empire depuis 2020. Entre 2020 et 2022, le nombre de nouveaux diagnostics est passé de 97 à 196.
D’ailleurs, les Prairies arrivent en tête du taux des nouveaux cas pour l’année 2022. La Saskatchewan et le Manitoba affichent des taux qui sont bien au-delà de la moyenne nationale, respectivement 19 et 13 pour 100 000 habitants. « Au Manitoba, nous avons aussi une particularité, c’est que la crise des opioïdes nous affecte probablement un peu plus que les autres provinces. On a alors aussi une augmentation chez les usagers de drogues intraveineuses, explique la docteure. Mais l’on observe une augmentation partout à travers le Canada. »
Un manque de communication
Quant aux raisons derrière cette hausse, elles sont multiples et elles sont claires. Alex Filiatrault comme Julie Lajoie s’accordent à dire qu’il existe un manque de communication et de sensibilisation autour du VIH et du SIDA. Sinon un manque, en tout cas, une diminution notable de la sensibilisation que la virologue attribue aux succès de la recherche. « En développant des médicaments de plus en plus efficaces, le VIH est passé du statut de maladie mortelle, à celui d’une maladie chronique. Ce changement de statut fait que les gens ont cessé d’avoir peur. Et dans l’esprit des jeunes, si l’on en meurt plus, c’est que l’on peut en guérir, or ce n’est pas le cas. Finalement si l’on n’en parle plus, c’est que ce n’est pas dangereux. »
Évidemment, l’experte le rappelle, le VIH est à prendre très au sérieux, c’est une maladie qui ne se soigne pas et pour laquelle il n’existe pas de vaccin. D’ailleurs, le directeur de CANFAR, souligne que « nous sommes capables de maintenir un niveau de santé raisonnable et convenable pour les personnes qui vivent avec, mais cela reste contraignant. Les gens semblent l’oublier : il y a encore des gens qui tombent malades et meurent du SIDA ».
Un problème qui n’est plus d’actualité?
Sans parler d’insouciance, Alex Filiatrault fait état d’un niveau de communication qui n’a pas su se maintenir et aussi d’une nouvelle génération qui n’a pas connu ni été sensibilisée à la grande crise du SIDA des années 1980- 1990. « Ils ont grandi dans un environnement où il n’y avait pas vraiment de conversation dans le domaine public sur le VIH. Nous n’avons pas maintenu de campagnes pour aider les gens à comprendre que le VIH existe toujours, que c’est toujours une épidémie au Canada. »
À ce propos, la docteure Julie Lajoie souligne à propos du VIH qu’il ne déclenche pas vraiment de symptômes au départ et qu’il est, par conséquent, très difficile à détecter.
Renforcer la sensibilisation
Renforcer la sensibilisation autour du VIH, cela passe donc par des campagnes de communication et aussi, et surtout, par l’éducation dans les écoles. « C’est l’outil de prévention le plus important, note Alex Filiatrault. Mais c’est encore une fois la responsabilité des gouvernements de le reconnaître. »
La question de l’éducation sexuelle avait déjà été abordée par La Liberté dans l’article Éducation sexuelle : oser en parler paru dans l’édition du 10 mai 2023. Les expertes interrogées soulignaient déjà l’importance des cours d’éducation sexuelle, pour la santé mentale et la santé physique des jeunes. Elles estimaient qu’il restait encore beaucoup de travail à faire (1).
Tous les outils nécessaires
Il est important de noter que le Canada dispose de tous les outils nécessaires pour inverser la courbe. Des dépistages rapides, des traitements de prévention efficaces. Il ne reste plus qu’à informer le public de l’existence de ces moyens, et d’en faciliter l’accès. C’est en tout cas la conclusion que tire Alex Filiatrault. « Si l’on était capable de travailler avec les différents niveaux de gouvernement, avec un plan plus centralisé, nous serions capables de diminuer les cas. Il faut que les gouvernements investissent dans des organismes qui travaillent auprès des populations à risques et qui sont obligés de faire des levées de fonds pour maintenir leurs services. »
C’est à cela que s’engage la CANFAR dans son plan stratégique qui vise à mettre fin à l’épidémie nationale de VIH d’ici 2025.
« Ce que l’on essaie de faire, c’est de créer des campagnes de communication pour les années 2024-2025. Nous voulons créer des partenariats régionaux pour nous permettre de communiquer ouvertement sur les moyens d’accéder au dépistage. Les outils qui existent doivent être accessibles facilement, ça demande un effort coordonné avec les différents niveaux de gouvernement et du financement. »
(1) La CANFAR est à l’origine d’un site internet bilingue dédié à l’éducation sexuelle et qui s’adresse aux jeunes âgés de 15 à 25 ans. Le contenu a été rédigé par des professionnels et des experts de la sexualité et de la jeunesse. Le site internet aborde une grande variété de sujets. Le site ici!
Se protéger : Combien ça coûte?
Parmi les outils de prévention disponibles aux Canada, en dehors du condom, l’on compte deux traitements préventifs.
- La PrEP ou PPrE pour prophylaxie préexposition. Il s’agit d’une stratégie complémentaire de prévention du VIH qui peut être utilisé par des personnes séronégatives à risque. Il s’agit de comprimés qui sont des médicaments antirétroviraux. La PrEP, prise régulièrement, permet de diminuer grandement les risques de contracter le VIH. En règle générale, cela consiste en une pilule par jour. La PrEP coûte entre 907 $ et 995 $ par mois. En fonction des provinces, l’assurance maladie peut couvrir une partie des frais. Au Manitoba, ces médicaments sont remboursés par la Province.
- La PPE ou PEP en anglais. La PPE est une sorte de pilule du lendemain. Alors que la PrEP se prend en prévention d’une exposition, la PPE intervient après une prise de risque ou une exposition au VIH. Il doit être pris dans les 72 h qui suivent le contact. Le plus tôt, le mieux. Ce traitement doit ensuite être suivi pour une durée de 28 jours. Sans couverture médicale, le traitement peut coûter jusqu’à 2 000 $. Au Manitoba, là encore, la province prend en charge la totalité des coûts.
Enfin, le dépistage est aussi un outil efficace pour empêcher la transmission du VIH. En cas de doute, un test peut être fait directement dans les cliniques. Il existe également des kits d’autodiagnostic, comme il en existe pour la COVID-19. Ces kits peuvent être commandés en ligne sur le site web : getakit.ca
Les kits sont parfois distribués gratuitement dans les centres et organismes communautaires. Ils peuvent aussi être trouvés dans certaines pharmacies. Ils coûtent entre 34 $ et 59 $.