Par Antoine CANTIN-BRAULT et Michel DURAND-WOOD

Aristote avait défini l’être humain comme un « animal politique ». Cela ne veut pas dire, comme on pourrait le penser, que l’être humain est fait pour faire de la politique, ou que tout être humain doive devenir politicien. Le mot « politique » tire son origine du mot grec « polis », mot qu’on peut traduire par « cité ». Ainsi, Aristote veut dire que l’être humain est un animal fait pour vivre dans la cité; l’ermite, à l’opposé, souffrira de grandes carences.

La polis grecque, même si elle possède ses propres lois et forme son propre État, reste, dans ses dimensions, tout de même beaucoup plus près d’une ville que d’un pays. Les citoyens y sont rapprochés et entretiennent des contacts réguliers. Pour notre époque donc, c’est dans la ville que l’être humain cherche à accomplir sa fonction et réaliser son potentiel.

La vie en cité, en ville, ouvre aux humains la possibilité d’être heureux. D’une part, parce que dans la ville, la personne a l’occasion de discuter du bien et de le réaliser. D’autre part, parce qu’elle contribue à tisser des liens d’amitiés qui sont essentiels à l’atteinte du bonheur. Dans une ville qui fonctionne bien règne la concorde.

La concorde est une amitié minimale qui s’installe quand les citoyens progressent, tous ensemble, vers le bonheur. Mais encore faut-il, pour que la concorde se développe, qu’il y ait des points de contact entre les citoyens pour permettre un dialogue fécond dans la polis. Il faut, autrement dit, ne pas vivre en ermite dans sa propre ville.

La manière dont nous bâtissons Winnipeg, notre ville-cité, est un facteur déterminant dans notre habileté de dialoguer avec l’Autre, car elle peut encourager autant que décourager nos occasions d’occuper le même espace. Les choix faits dans la disposition de la ville peuvent nous rapprocher, ou nous éloigner, de l’Autre. Ils peuvent étendre l’agora, ou l’éroder.

Par exemple, une ville-cité qui priorise le transport en voiture mise sur un déplacement qui, bien qu’il se déroule dans l’espace public, garde la personne isolée de cet espace public à l’intérieur d’une bulle privée, et ainsi, isolé de l’Autre. De plus, pour les gens qui se retrouvent dans l’espace adjacent, leur expérience se voit dégradée par le bruit, la pollution et le danger posés par ce déplacement. Non seulement est-ce qu’on se retire personnellement de l’agora, mais on détruit l’agora qui reste pour l’Autre.

Une ville-cité qui priorise plutôt les déplacements à pied permet à l’humain de rester présent dans l’agora tout au long de son voyage, sans pour autant dégrader l’expérience de l’Autre. De cet œil, il est facile de comprendre que le transport en commun peut agir alors comme une extension de l’espace public : un mode de transport qui se transforme en agora.

D’autre part, le système actuel de zonage de propriétés sert à éloigner nos espaces privés de nos espaces publics, défavorisant encore plus l’occasion de croiser l’Autre en forçant plus de dépla- cements en voiture. Encore plus, lorsque les zones résidentielles sont davantage divisées en zones de logements de type, de taille et de prix semblables, nous risquons un triage géographique de la société par groupe socio-économique, démographique, ou parfois même ethni- que. Un tel aménagement ne permet de dialoguer qu’avec un Autre de plus en plus homogène, un Autre qui devient le Même.

Winston Churchill avançait en 1943 que lorsque nous façonnons notre entourage, notre entourage nous façonne en retour. Pour que la concorde s’installe à Winnipeg, ce sera à nous de la façonner pour qu’elle nous façonne à son tour en humains accomplis