Par Laurent Gimenez

Ce petit rituel n’est pas un hommage au retour du printemps, mais une stratégie commerciale efficace qui consiste à devancer la rentrée scolaire, toujours très propice aux ventes de dictionnaires.

Pour les deux maisons d’édition concernées, ce rendez-vous printanier est d’autant plus crucial que les dictionnaires en ligne gratuits leur font une dure concurrence. En France, les ventes de dictionnaires papier sont passées de 1,6 million d’exemplaires en 2004 à 526 000 en 2023, soit une chute de 65 %! La baisse devrait se poursuivre au rythme d’environ 7 % par an. Seul le secteur jeunesse résiste, ce qui explique l’intérêt des éditeurs pour la rentrée scolaire.

L’arrivée des nouveaux mots et sens est l’un des principaux intérêts de chaque nouvelle édition du Petit Robert et du Petit Larousse. Par qui sont- ils sélectionnés? Par les deux petites équipes de lexicographes maison qui, tout au long de l’année, traquent les nouveautés langagières surgissant dans les médias, les livres, les publications diverses, les réseaux sociaux et même les conversations devant la machine à café! Car comme le soulignait Pierre Richelet, auteur d’un des premiers dictionnaires de langue française (1680), « un dictionnaire est l’ouvrage de tout le monde ».

Chacune des deux équipes sélec- tionne donc annuellement environ 150 néologismes qu’elle considère comme étant à la fois les plus fréquents, les plus largement diffusés et les plus susceptibles de durer. Il en résulte une photographie de la société contemporaine, de ses préoccupations et de ses évolutions. Ainsi, au fil des années, l’expression « crime passionnel », autrefois circonstance atténuante aux yeux des juges, a été remplacée par le mot « féminicide », beaucoup plus explicite et moins déculpabilisant.

De même, le « mariage » n’est plus l’« acte solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union » (édition 2005 du Petit Larousse), mais l’« union légitime de deux personnes dans les conditions prévues par la loi » (définition actuelle tirée du Petit Robert). Quant au terme « tiers-monde », fleurant bon l’arrogance occidentale, il cède peu à peu la place au « Sud global », expression nettement moins condescendante, quoiqu’un peu étrange sur le plan géographique.

Les néologismes qui font leur apparition dans les éditions 2025 du Petit Robert et du Petit Larousse – en vente depuis la mi-mai – traduisent tout particulièrement notre préoccupation environnementale. Le Petit Larousse accueille ainsi le bel écogeste (habitude simple que chacun peut adopter dans la vie de tous les jours afin de protéger l’environnement), l’adjectif agrotoxique (se dit d’une substance utilisée en agriculture et présentant un certain degré de toxicité pour l’environnement) et le verbe verdir (devenir ou rendre plus respectueux de l’environnement; ex. : verdir un bâtiment; aider l’industrie automobile à verdir).

De son côté, le Petit Robert ouvre ses pages à l’agrivoltaïsme (production d’électricité photovoltaïque sur une exploitation agricole), à la bombe climatique (site d’exploitation d’un gisement d’énergie fossile qui constitue une importante source de gaz à effet de serre), à la neutralité carbone (équilibre entre les émissions de CO2 et leur absorption par les puits de carbone), à l’adjectif climaticide (qui, par ses émissions massives de CO2, contribue au réchauffement climatique) ainsi qu’au joli verbe écoconcevoir (concevoir un produit ou un projet dans le respect de l’environnement).

Les principaux nouveaux venus dans les éditions de 2025 révèlent aussi les évolutions sociales dominantes. Citons le mot d’origine canadienne décolonialisme (à ne pas confondre avec « décolonisation »), ou encore les termes postcolonialisme, écoféminisme, masculinisme, visibiliser, surtourisme.

Les réseaux sociaux, désormais omniprésents dans nos vies quotidiennes, sont également une source majeure de néologismes. Le nouveau Petit Robert a réservé une place à tiktokeur, lequel ne désigne pas une victime de l’espionnage chinois, comme on pourrait le penser, mais une « personne qui publie ses propres vidéos sur l’application TikTok ». Quant au nouveau Petit Larousse, il accueille le verbe désanonymiser ainsi que l’étonnant platisme, mot qui désigne une croyance selon laquelle la Terre serait plate, particulièrement répandue sur certains réseaux sociaux!