Par Isabelle Burgun

Or, comme les occurrences et l’intensité des feux de forêt sont appelées à se multiplier avec les changements climatiques, la technologie des drones pourrait apporter un coup de main.

Dans la lutte à la gestion des incendies sur un si large territoire, les drones occupent du terrain dans des zones moins accessibles à l’humain que ce soit pour le repérage des départs de feux que le reboisement post-incendies des territoires plus nordiques.

Une récente étude québécoise s’est penchée sur le premier volet : comment ces nouveaux alliés, assistés de systèmes d’intelligence artificielle (IA), pourraient-ils aider à la détection et à la localisation des feux de forêt de manière précoce ?

 « Ils peuvent nous donner suffisamment d’informations sur la zone de l’incendie pour aider les pompiers à prendre de meilleures décisions. Les informations de détection en temps réel permettent une lutte autonome (sans interventions humaines) contre les incendies », soutient le professeur au département de génie mécanique, industriel et aérospatial de l’Université Concordia et coauteur de l’étude, Youmin Zhang.

Depuis 2013, il travaille avec ses étudiants sur ce qu’il considère être « l’un des problèmes techniques les plus difficiles à résoudre pour la nouvelle technologie des drones ». Et alors qu’en 2015, deux anciens doctorants publiaient déjà un premier article dans le Canadian Journal of Forest Research, ce genre de vol autonome pour la détection des incendies n’était encore qu’un projet futuriste.

Le chercheur pense que c’est en train de devenir une réalité avec l’aide de l’intelligence artificielle. C’est que les drones présentent plus de flexibilité, sont moins coûteux et seraient plus faciles à utiliser et à entretenir que des engins plus gros.

L’idée d’utiliser des véhicules autonomes, dans l’air et sur terre, pour surveiller les forêts et l’environnement s’impose en effet de plus en plus. « Pas seulement les drones, mais aussi des véhicules terrestres seraient mis en réseau pour une détection plus efficace des incendies de forêt et des feux de friche », ajoute celui qui est aussi chercheur au Networked Autonomous Vehicles Lab (NAV Lab).

Pour rendre les systèmes informatisés plus sûrs, plus fiables et plus résilients, l’équipe du NAV Lab et ses deux partenaires industriels Rotors&Wings Aerogroup et Presagis Canada Inc., travaillent sur le projet de « guidage par vision intelligente de poursuite de trajectoire sur aéronefs bombardiers d’eau » (AirTanker Visual Intelligent Tracking & Airborne Guidance System).

« Notre travail porte principalement sur le logiciel. Cela comprend le réseau neuronal profond pour le traitement des images de feux de forêt, la planification de la trajectoire des drones, l’IoT (Internet des objets) et la conception d’un mécanisme automatisé pour éteindre les incendies avec la planification d’une trajectoire en temps réel des drones », détaille le chercheur.

Les drones pourraient même participer à l’extinction des feux, bien que bon nombre de problèmes techniques — tel le transport de l’eau — se posent encore. Un précédent test réalisé par cette équipe embarquait même un système d’extinction à eau.

Les yeux de la forêt

Les drones peuvent fournir des images plus détaillées que les satellites et les avions. Ils peuvent ainsi répondre à l’un des défis de taille : repérer les feux, même en l’absence de grandes flammes et de portions consumées, et ce compte tenu du vaste territoire à couvrir.

C’est pour cela que les chercheurs ont développé un concept de « diagnostic des incendies de forêt » — la détection des incendies, améliorée par l’enregistrement des images et l’estimation de la distance.

Le système embarqué sur drone et mis au point par l’équipe de Concordia se base sur l’apprentissage profond, deux types de caméras (visuelles et infrarouges) et des algorithmes de géolocalisation. Il utilise aussi la technologie LiDAR (Light Detection and Ranging), un système de télémétrie basé sur la détection laser pour prendre des mesures précises de l’environnement.

À l’aide des caméras et des informations de géolocalisation, les chercheurs peuvent ainsi localiser le feu de forêt alors qu’il est encore naissant. Ils affirment qu’ils pourront aussi réduire les fausses détections par couplage à des algorithmes de prédiction basés sur diverses variables — vent, topographie, chaleur, etc. « Il pourrait arriver que des éléments de couleur rouge soient détectés et pris pour des taches de feu de forêt. L’algorithme d’enregistrement utilise les informations infrarouges pour éviter ce genre de situation », explique le chercheur.

Le réseau neural d’analyse d’images (« Attention Gate U-Net ») va analyser de manière détaillée les zones pertinentes des images captées — fumée, flamme et environnement. Il va aussi « apprendre » à partir de diverses images que les chercheurs lui ont données. Le bémol est avec la fumée : « il nous faut encore améliorer notre détection », complète le chercheur.

Du côté de la géolocalisation, la précision du système ORB-SLAM basé sur un modèle d’apprentissage profond est actuellement de l’ordre du mètre. « La précision de la géolocalisation peut théoriquement atteindre le niveau du centimètre. Ce qui est important pour le largage d’eau ou de produit retardant ».

Autre défi, l’ensemble du système embarqué dans les drones s’avère encore lourd du côté des données à traiter et des nombreux calculs à effectuer. L’équipe de recherche souhaite transférer plus de missions de calcul à la station de travail au sol, où il y a un ordinateur plus puissant.

Avec les drones de plus grande taille, cela ne sera toutefois plus un obstacle, pense le chercheur. « Il y a encore du travail entre notre expérience en plein air et l’application réelle pour la lutte contre les incendies de forêt, mais l’algorithme peut être rapidement et facilement étendu à une plus grande échelle ou à des drones plus puissants pour des missions d’application réelle », assure le chercheur.

Ensemencer la forêt

Triste record : les incendies de 2023 ont réduit en cendres plus de 4 millions d’hectares québécois de forêts — dont les trois quarts dans les régions nordiques et éloignées. Les 566 feux, dans des conditions météorologiques particulièrement chaudes et sèches, ont rasé une superficie plus grande que celle des 20 dernières années.

Reboiser les territoires éloignés et peu accessibles aux équipes de plantation d’arbres représente un défi auquel les drones et l’IA pourraient aussi contribuer, selon William Métivier de FORAIR : « ils peuvent propulser des dizaines de milliers de capsules sur le sol forestier mis à nu par les feux. »

Des travaux préliminaires de réensemencement se dérouleront au sein de la réserve faunique Assinica, à deux heures au nord de Chibougamau. Ce projet pilote, mené en partenariat avec la communauté de la Nation Crie d’Oujé-Bougoumou et la compagnie forestière Chantier Chibougamau, vise à reboiser 100 hectares en projetant au sol 2,5 millions de semences encapsulées.

Après une visite de repérage en hélicoptère, l’équipe a délimité des tracés où les feux intenses ont dénudé des zones d’intérêt pour ce type de reboisement. En juin, deux larges drones de 5 mètres ont largué environ 2500 capsules à l’hectare. Ils réensemenceront « du pin gris et de l’épinette noire. Il faut compter près de 10 capsules pour qu’un arbre pousse », précise M. Métivier.

Les capsules de reboisement renferment une semence enveloppée de multiples couches — « un peu comme un oignon » — pour lui permettre de rejoindre le sol après avoir été lancée des airs. Sans danger pour l’environnement, et à la recette tenue secrète, cette enveloppe gélatineuse réagira avec l’humidité de la pluie ou la fonte de la neige.

Cette automatisation du reboisement utilise elle aussi de l’intelligence artificielle, pour l’analyse des photos satellites en fonction de 14 caractéristiques du terrain (exposition au soleil, pentes, humidité relative au sol, etc.), afin d’identifier les secteurs les plus propices au reboisement aéroporté.

Des chercheurs sont aussi mandatés pour comparer l’efficacité de ce reboisement avec le reboisement manuel. « Il y a un enjeu d’accessibilité et aussi un défi de posséder assez de semences disponibles pour replanter les arbres indigènes », ajoute encore M. Métivier.

Si le reboisement par drones et l’encapsulation se font de manière automatisée, il faut encore mettre la main — littéralement ! – sur les semences de conifères avant de les glisser dans les capsules d’ensemencement. Il faut alors les récolter au sein de forêts aménagées lors des coupes, à défaut d’envoyer une équipe de collecteurs de cônes dans le haut des arbres. Un travail que, pour l’instant, seuls les humains sont capables de réaliser…