Par Antoine Cantin Brault
Pour philosopher, il faut, tout simplement, être étonné. C’est de l’étonnement ensuite que provient le goût de faire des lectures en philosophie. En fait, c’est de l’étonnement que vient le désir de savoir, toute discipline confondue.
Pour connaître, il faut d’abord désirer connaître. Et c’est ce désir de connaissance que génère l’étonnement. L’étonnement se produit au contact d’une évidence, c’est-à- dire de quelque chose qui se livre à nous en sa vérité, alors même que nous ne sommes pas à même de comprendre tout de suite cette vérité. Nous sommes alors à la fois embarrassés par cette évidence, et motivés à la comprendre. C’est ce qu’on peut appeler la simple ignorance : savoir que l’on ne sait pas, comprendre que quelque chose est connaissable, mais pas encore bien compris. De la simple ignorance, nous sommes conduits à la véritable connaissance et, le cas échéant, à l’action.
l’étonnement au fil des pages
Il est très facile de philosopher aujourd’hui car plusieurs aspects de notre monde ont un grand pouvoir d’étonnement. Les médias sociaux ont ce pouvoir. Déjà, la question de leur nature étonne : sont-ils de simples objets de divertissement, sont-ils des marchandises servant à assouvir le capitalisme, sont-ils capables de renforcer le tissu social, sont-ils de véritables outils de changements, etc.?
Jonathan Haidt, dans son plus récent livre The Anxious Generation (2024), nous livre une évidence des plus frappantes à leur propos : « C’est là la grande ironie des médias sociaux : Plus vous vous plongez en eux, plus vous devenez isolé et dépressif. » (p.170, traduction libre). Ce livre démontre, en long et en large, comment l’apparition des médias sociaux a causé une grande hausse du niveau d’anxiété et de dépression chez les jeunes de la génération Z, cela parce qu’ils ont interféré avec le développement normal de la personne humaine et créé une dépendance nocive bloquant l’accès à l’autonomie.
Au fil des pages, l’étonnement grandit de ce que les médias sociaux, qui devaient, au moins dans les discours officiels de ses créateurs, établir des points de rencontre entre les individus, ont finalement détruit l’estime de soi et le goût pour la vie commune. Une lecture obligatoire pour tout le monde. Une lecture pour tous les parents et pour tous les jeunes de cette génération Z qu’on a gravement abandonnés aux mains de quelques puissants manipulateurs.
Prendre position
L’étonnement ayant jailli, il faut maintenant agir : il faut passer de la simple ignorance à la prise de position. Jonathan Haidt offre lui-même dans son livre plusieurs pistes de solutions. Mais la véritable question est la suivante : à quand une véritable et complète législation du monde virtuel? Les appareils électroniques peuvent servir l’éducation, mais ce qu’ils contiennent peut nuire et nuit déjà fortement. La technologie n’est jamais complètement amorale : son existence, laissée à elle-même sans aucune surveillance crédible et efficace, encourage certains comportements qui pourraient fort nous déshumaniser. Il suffit de penser aux armes à feu aux États-Unis.
« Il faut tout un village pour élever un enfant » dit un proverbe africain : ce village doit être bien réel, car rien ne peut remplacer le contact humain. Il ne faut pas surprotéger l’enfant : il faut plutôt lui donner l’occasion de faire ses propres expériences à son propre rythme, ce que permet justement le « village ».