Par Pascal Lapointe

Il existe deux vaccins dont l’efficacité est démontrée contre ce que l’on appelait anciennement la variole du singe : le vaccin japonais LC16 et le danois MVA-BN. Ce dernier, homologué en Europe et aux États-Unis, est fabriqué par la compagnie Bavarian Nordic. Celle-ci annonçait vendredi dernier disposer de 500 000 doses, et être capable d’en produire, d’ici 2025, jusqu’à 10 millions. Quant à LC16, il n’est pas commercialisé, mais est produit à la demande du gouvernement japonais, qui dit lui aussi disposer de bonnes réserves. 

L’annonce de la compagnie danoise survenait moins de 24 heures après qu’un premier cas ait été annoncé sur le continent européen : un patient hospitalisé en Suède, et qui a contracté le virus « dans un pays d’Afrique » non identifié. Les autorités suédoises disaient ne pas craindre de propagation, mais au rythme où l’épidémie se répand, il y aura inévitablement d’autres cas signalés à l’extérieur de l’Afrique, prévenait l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dès vendredi, un premier malade était signalé au Pakistan.

Le cas suédois survenait lui-même moins d’une journée après que l’OMS ait décrété, le 14 août, une « urgence de santé publique de portée internationale » : il s’agit du plus haut niveau d’alerte pour une épidémie. Cette mesure de l’OMS permet de débloquer des fonds plus rapidement pour coordonner un effort international — mais encore faut-il que les pays aient la volonté de participer à cet effort coordonné.

Reste que si l’OMS se retrouve dans la situation où elle doit lancer une telle alerte, seulement 15 mois après avoir décrété la fin de l’alerte précédente — en vigueur de juillet 2022 à mai 2023 — c’est en partie en raison d’un manque de disponibilité des vaccins là où ils seraient les plus utiles. Et l’histoire se répète : l’alerte de juillet 2022 survenait après l’apparition de cas pour la première fois en dehors de régions d’Afrique traditionnellement touchées par ce virus. Finalement, lors de cet épisode de 2022-2023, on avait recensé 100 000 cas dans plus de 100 pays, et 200 morts. 

Pour éviter une 3e alerte, prévient dans le magazine britannique New Scientist l’expert en maladies infectieuses reliées à la pauvreté, Piero Olliaro, de l’Université Oxford, « il faudrait vraiment », cette fois, concentrer les efforts sur les pays d’Afrique centrale. Ils « font face au problème depuis des années », mais après la levée de l’urgence en 2023, « l’alarme s’est éteinte et nous nous sommes rendormis ». L’infectiologue Jason Zucker, de l’Université Columbia à New York, renchérit : « Si nous avions été capables de vacciner plus de gens [au Congo, épicentre de l’épidémie] au cours de la dernière ou des deux dernières années, il est probable que nous aurions vu moins de cas, moins de dissémination, et je soupçonne que nous ne nous retrouverions pas avec une autre alerte. »

« Nous demandons aux fabricants de vaccins d’accélérer la production », a insisté la porte-parole de l’OMS, Margaret Harris, dans le cadre d’une conférence de presse tenue la semaine dernière pour annoncer le déclenchement de l’alerte. L’OMS en appelle également à la générosité des pays qui possèdent déjà des réserves, et qui en ont moins besoin que les pays où l’épidémie fait déjà des ravages. 

L’organisation Médecins sans frontières a fait le même appel la semaine dernière, ajoutant que la compagnie danoise devrait abaisser ses prix pour rendre le vaccin plus accessible aux pays les plus affectés. La responsable de la Croix-Rouge pour les urgences de santé publique a qualifié d’insuffisantes les quantités de vaccins déjà données par les pays riches, en plus du fait que les pays affectés manquent également d’équipements de dépistage.

Que sait-on de Mpox

Observée pour la première fois chez des humains en 1970, la maladie que l’on appelait à tort variole « du singe » (à tort, parce qu’elle provient des rongeurs) a été derrière plusieurs éclosions, mais presque toujours limitées à l’Afrique. Une cinquantaine de cas avaient tout de même été observés aux États-Unis en 2003, mais il a fallu attendre l’épisode de 2022-2023 pour que l’on recense des cas dans plus de 100 pays, dont 11 pays africains. Plusieurs observateurs avaient pourtant noté une croissance du nombre d’éclosions au cours des années 2000 et 2010, mais la maladie était restée jusqu’en 2022, loin des écrans radars. Il a fallu attendre l’épisode de 2022 pour amener plusieurs pays du nord à se doter de réserves de vaccins. 

Mpox se divise en deux souches, ou deux variants. Alors que 2022-2023 n’avait mis en scène que la souche 2, c’est la souche 1 qui domine aujourd’hui (ou plus précisément, une sous-famille de celle-ci, la 1B). Ce qui fait que le cas suédois est devenu le premier de l’histoire où la souche 1 était signalée en Europe. Ce détail inquiète les médecins, parce que la première souche semble présenter un taux de mortalité plus élevé : jusqu’à 10 %, disait-on en 2022-2023. Des experts modèrent toutefois cette inquiétude : le Washington Post citait le 15 août des responsables de la santé publique pour qui ce plus haut taux de décès de la souche 1 « pourrait refléter des infections qui touchent des populations plus vulnérables, incluant des enfants, dans des régions dotées d’une faible couverture de santé. »

Le déficit n’est pas seulement du côté des vaccins et des tests de dépistage, mais aussi du côté de la recherche. Mpox est en effet resté dans l’ombre pendant toutes ces décennies, au point où les experts sont incapables de dire si le variant 1B est le fruit d’une nouvelle mutation, où s’il circulait depuis longtemps. Mais ces derniers jours, tous ont rappelé une loi fondamentale des virus : plus ils se répandent librement, plus augmente le risque de voir surgir une mutation qui les rendra plus contagieux — ou bien, dans le scénario du pire, qui les rendra résistants au vaccin. 

Depuis le début de 2024, on recensait, en date du 15 août, plus de 15 600 cas rien que dans la République démocratique du Congo, et 537 morts, selon une déclaration du directeur de l’OMS. Plus de 100 cas ont également été rapportés dans quatre pays voisins, dont le Rwanda et l’Ouganda, « qui n’avaient pas rapporté de mpox auparavant ». Pour l’ensemble du continent, le Centre de contrôle et de prévention des maladies d’Afrique rapportait le 13 août plus de 17 000 cas possibles depuis le début de l’année, avec la possibilité que « ce soit juste la pointe de l’iceberg. »