Par Antoine Cantin-Brault.
Cette maxime n’a jamais résonné aussi fortement qu’aujourd’hui. Elle nous parle directement et sans détour de notre rapport à la nature, car la nature brûle ou, comme l’avait dit Jacques Chirac, « notre maison brûle ».
Les feux de forêt se multiplient partout dans le monde; selon certains experts, ils auraient doublé depuis 20 ans. Avec eux se multiplient les tristes records. Le Pantanal brésilien avait déjà connu des incendies records en juin dernier, annonçant des ravages dépassant ceux de 2020 qui avaient tué près de 17 millions d’animaux vertébrés. On se rappellera aussi les feux de brousse en Australie de 2019-2020, les plus importants feux de végétation de son histoire. Il y a aussi eu des feux dévastateurs à Hawaï en 2023, le désastre naturel le plus important de son histoire. Au Canada, l’année 2023 fut une année record : plus de 6 132 incendies avaient ravagé 16,5 millions d’hectares de forêt. Et l’année 2024 semble être sur la voie de battre ce triste record de 2023.
Les incendies doivent être combattus bien entendu. Mais ce que nous enseigne Héraclite c’est que c’est la démesure qui d’abord doit être combattue car ses conséquences sont plus dangereuses que celles de l’incendie. L’incendie brûle pour un temps, mais la démesure peut brûler sur plusieurs époques et engendrer des dégâts et faire des ravages irréversibles.
Les feux de forêt se sont aggravés en raison, notamment, du réchauffement climatique et celui-ci est principalement causé par l’activité humaine (production d’énergies fossiles, déforestation, surconsommation, etc.). Les feux de forêts sont donc des symptômes d’une démesure importante. Si cette démesure n’est pas combattue, les incendies se multiplieront et avec eux d’autres problèmes écologiques majeurs.
L’humain ne vit plus dans les mesures du monde; il lui a imposé sa mesure et doit maintenant en payer le prix. La grande question qui se pose aujourd’hui est de savoir si, d’une part, l’humain peut revenir dans les mesures du monde et, d’autre part, comment il peut y arriver.
L’humain n’est pas un animal comme les autres, il est le plus nu des animaux, le plus vulnérable, mais par son intelligence et sa main, il peut développer une puissance technique inégalée. C’est là la nature de l’humain, que les Grecs s’expliquaient par le mythe de Prométhée. Ainsi, revenir dans sa mesure ne peut vouloir dire pour l’humain de revenir à un âge dépourvu de technique, un âge dit « primitif », car ce serait tout simplement impossible. L’humain est naturellement technique : la technique est pour lui sa façon de survivre et de vivre. Il peut regagner la mesure en utilisant son intelligence et sa main au service de la mesure du monde. Il peut, tout simplement, cesser de penser seulement à lui-même et développer une sensibilité pour l’Autre naturel.
Pour espérer voir les incendies diminuer, il faut regagner ce que Jean-Jacques Rousseau appelait la « pitié naturelle ». Il y a au fond de nous une sympathie pour la souffrance des autres êtres sensibles. Cette pitié n’a pas disparu, mais elle a été étouffée par le rêve moderne d’appropriation et de domination de la nature. La technique, motivée par la pitié naturelle, peut servir à nous aménager une place, bien humaine, au sein de la mesure du monde.