Par Camille Harper et Ophélie Doireau
Désormais, le Canada négocie des Traités modernes avec plusieurs communautés autochtones pour tenter de rééquilibrer les forces.
Au temps de la colonisation européenne, les Traités conclus par les Français et ceux conclus par les Britanniques n’avaient pas la même vocation, comme l’explique Jim Miller, professeur d’histoire émérite de l’Université de la Saskatchewan.
« La différence est principalement due aux raisons pour lesquelles les deux pays étaient présents en Amérique du Nord. Au sud du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs, on assistait à l’établissement et à l’expansion d’importantes colonies de peuplement, y compris des colonies agricoles. Au nord, il s’agissait d’une colonie commerciale plutôt qu’agricole.
« Or si vous étiez là pour faire du commerce en premier, comme les colons Français, vous deviez vous entendre avec les Premières Nations qui savaient où se trouvaient les animaux, comment les chasser, les transformer et les échanger. Alors que pour établir une colonie agricole, comme les Anglais, vous alliez devoir entrer en conflit avec les Premières Nations parce que vous menaciez leurs terres.
« La motivation de la colonisation est donc à l’origine du type de Traité : un Traité de paix et d’amitié dans le cas des Français et un Traité sur les terres dans le cas des Britanniques. »
Un mode de vie bouleversé
Les Traités agricoles établissaient donc des frontières, mais les colons, bien que dissuadés par la Couronne de s’étendre pour ne pas causer de conflits coûteux, les ont pour beaucoup ignorées.
« Il faut se rappeler qu’il n’y a pas vraiment de forces de police pendant la plus grande partie de la période. Ils n’avaient donc pas d’armes pour empêcher les colons de s’étendre. »
La colonisation britannique a donc radicalement et négativement bouleversé de mode de vie des Autochtones. « Les Britanniques s’étendaient et créaient des fermes, mais l’agriculture, la chasse et la pêche n’étaient pas compatibles dans le même espace », explique Jim Miller.
Les envies d’expansion se sont poursuivies vers l’Ouest canadien. Dans les années 1870, les premiers Traités numérotés ont été conclus. Au Manitoba, le territoire est visé par les Traités n˚1, 2, 3, 4 et 5.
Ces Traités n’étaient cependant pas négociés équitablement. « Je veux dire que les peuples autochtones ont accepté de partager la terre, d’après ce que disent les Traités, mais ils n’avaient certainement pas la même compréhension du mot partager que les colons, précise Jim Miller.
« Les peuples autochtones ont une conception différente de la relation à la terre. Pour simplifier, pour les colons, la terre est une marchandise. On peut l’acheter et la vendre. Mais pour les peuples autochtones, la terre est une réserve. On ne peut donc pas l’acheter, mais on peut accepter que d’autres l’utilisent. C’est une différence conceptuelle très importante. »
Des territoires envahis
Si plusieurs communautés autochtones ont conclu des Traités, d’autres n’ont pas eu ce choix. Par exemple, en Colombie-Britannique, il n’est pas rare de se trouver sur des territoires non cédés.
« Vers la fin du 19e siècle, les colons, et plus tard le gouvernement canadien, ont tout simplement envahi et pris possession des terres des Autochtones. Beaucoup moins nombreux que les colons, les Premières Nations n’ont pas pu résister à l’invasion de leurs terres. »
Niigaan Sinclair, chef du département d’Études autochtones à l’Université du Manitoba et Anishinaabe, précise que « la Proclamation royale de 1763, qui déterminait la relation entre les Premières Nations et la Couronne, ne s’étendait que jusqu’aux Rocheuses », d’où l’absence de Traités. (1)
« Leurs terres sont restées prises illégalement jusqu’aux années 1970, lorsque la Cour suprême du Canada a reconnu le concept de titre autochtone en Colombie-Britannique grâce à l’arrêt Calder », reprend Jim Miller. (Voir article en pages 11 et 12)
Avec l’article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, un nouveau rapport de force s’installe entre les peuples autochtones et le Canada. « Avec cet article, les Premières Nations peuvent défendre leurs droits ancestraux, et pas seulement les droits fonciers », souligne Jim Miller.
L’impulsion des Traités modernes
La Charte reconnaît aussi les Métis comme un peuple autochtone, leur donnant ainsi « une reconnaissance, un statut, une plateforme à partir de laquelle se battre pour faire reconnaître et étendre leurs droits existants ».
En juillet 2021, la Fédération Métisse du Manitoba a conclu un Traité moderne avec le Canada en signant l’Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis du Manitoba.
Selon le rapport final de la Commission de vérité et de réconciliation, les Traités modernes sont la voie de la réconciliation. « Les Traités apportent aux peuples autochtones une compensation pour ce qu’ils ont perdu au cours des périodes précédentes, lorsque le gouvernement ou les colons ignoraient tout simplement leurs droits. Les Premières Nations sont finalement traitées avec respect », estime Jim Miller.
Niigaan Sinclair précise toutefois que les Traités modernes sont surtout négociés en Colombie-Britannique, « là où il n’y avait pas ou peu de Traités entre le Canada et les peuples autochtones.
« Cependant, beaucoup de Premières Nations en Colombie-Britannique ne veulent pas être incluses dans la Loi sur les Indiens. Les cadres légaux de négociation de ces Traités modernes sont donc très différents des Traités qui existent au Manitoba, par exemple. »
Ailleurs au Canada, quelques négociations de Traités ont lieu en Ontario avec les Algonquins, « mais ça reste très peu. Sur les territoires actuels du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, il n’y a actuellement pas de renégociation officielle ou de nouveaux Traités négociés ».
Au Manitoba
Les relations entre les communautés autochtones au Manitoba et les gouvernements évoluent tout de même positivement.
« On voit une réaffirmation des droits des Traités existants, indique Niigaan Sinclair. De grandes affaires juridiques sont en cour au sujet des Cows and Plows, c’est-à-dire des promesses agricoles faites aux Premières Nations par le biais des Traités et qui n’ont jamais été honorées par le gouvernement canadien. (2)
« Ces règlements judiciaires pour les Cows and Plows se chiffrent à des centaines de millions $ de compensations aux Premières Nations pour ne jamais avoir reçu les outils et ressources agricoles promis par les Traités. »
Les droits fonciers issus des Traités au Manitoba sont également réaffirmés. Niigaan Sinclair explique : « D’après les Traités, les Premières Nations avaient droit à des terres, mais certaines ne les ont pas obtenues. Sans pour autant renégocier les Traités n°1, 2, 3, 4 ou 5, qui couvrent le territoire manitobain, des communautés autochtones vont donc en cour pour réclamer le respect de ces droits. »
Il ajoute par ailleurs que « les Libéraux de Justin Trudeau, au Fédéral, ont signé des accords avec certaines Premières Nations pour cogouverner des zones, notamment des zones qui abritent des ressources ou des habitats naturels.
« Cette cogouvernance nous a été promise dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a adoptée, et elle touche directement le Manitoba puisque certaines de ces zones sont sur le territoire. »
Signe tangible que les relations changent, le Winnipeg Free Press publiait le 7 septembre dernier une annonce qui prévenait les chasseurs et chasseuses d’orignal non-Autochtones qu’en vertu du Traité n°5, ils et elles ne seraient pas autorisé.e.s à chasser dans la zone de ressources du lac Cross, même s’ils ou elles étaient détenteurs.trices d’un permis de chasse valide du Manitoba.
« Je crois que ceci montre bien que les lois changent, que pour la première fois de l’histoire, les droits des autochtones sont vraiment pris en compte, et que les peuples des Premières Nations les revendiquent, assure Niigaan Sinclair.
« Si cette annonce est vraiment appuyée par un.e représentant.e de la Province, ce qui est très possible car le gouvernement de Wab Kinew, qui est aujourd’hui au pouvoir au Manitoba, est très progressiste, ce serait sans précédent. »
(1) La Proclamation royale fait suite au Traité de Paris, en février 1763, qui mettait fin à la guerre de Sept Ans entre la France et l’Angleterre. C’est au Traité de Paris que la France a cédé le Canada à l’Angleterre.
(2) Cows and Plows promettait aux Premières Nations désireuses de se lancer dans l’agriculture des semences, des outils, du bétail et d’autres formes d’aide.
Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté