Il a fait partie de la 69e batterie d’outre-mer du Corps expéditionnaire canadien. Sa fille Deirdre Balkwill et sa petite-fille Kate Jaimet retracent l’histoire de ce père de famille et grand-père vétéran de la Première Guerre mondiale.
« Mon père était le plus jeune d’une famille de fermiers dans le coin de Kingsville, en Ontario, raconte Deirdre Balkwill. Je crois qu’ils étaient cinq ou six enfants. Mais la ferme n’était pas très profitable. »
Habitué toute sa vie à une certaine pauvreté, Stafford Balkwill plaisantait souvent avec ses enfants qu’il s’était engagé dans la Première Guerre mondiale « pour recevoir une paire de chaussures » et que « ça lui avait semblé une bonne idée puisqu’on y était nourri, logé et qu’on nous donnait des vêtements »!
Sur un ton plus sérieux, sa petite-fille et fille de Deirdre, Kate Jaimet, est d’avis que « s’il a eu le désir de s’enrôler pour combattre en Europe aux côtés du Royaume-Uni, c’est certainement parce qu’il venait d’une famille de loyalistes de l’empire uni. Ils avaient donc toujours été loyaux à la Couronne britannique ».
Les anecdotes amusantes, c’est cependant par ce biais que Stafford Balkwill choisissait de parler de son expérience. « Il n’aimait pas parler de la guerre, se souvient sa fille. À l’époque, les hommes gardaient souvent leurs sentiments, leurs histoires pour eux. Quand il en parlait, c’était surtout pour nous raconter des histoires drôles. »
Elle a tout de même fini par apprendre certaines réalités du front. « Quand il était plus vieux, il m’a dit que c’était une guerre vraiment différente de ce à quoi il s’attendait. Tout se faisait à pied, en marchant d’une tranchée à l’autre, et c’était très boueux. On parle d’ailleurs de guerre des tranchées.
« C’était difficile car beaucoup de ces jeunes qui s’enrôlaient n’avaient jamais connu de guerre ou quoi que ce soit de similaire, et tous croyaient que l’affaire serait très vite terminée. Ils allaient voir du pays, recevoir un salaire, puis vite rentrer à la maison. Ça n’a pas été le cas. »
Selon Deirdre, cette déconvenue a été traumatisante pour de nombreux soldats. « La trahison que les soldats ont ressentie, je crois que c’était l’une des pires choses de la Première Guerre mondiale. Ils pensaient qu’ils partaient pour une petite guerre et quand ils sont arrivés, ils ont découvert que ce n’était pas du tout ça. C’était difficile d’en parler après ça. »
Une brûlure sérieuse
Deirdre Balkwill a consulté le Musée canadien de la Guerre et les archives du War Office, à Ottawa, pour en apprendre davantage sur le parcours de son père. De l’histoire de Stafford Balkwill au front, elle a pu apprendre qu’il avait été blessé deux fois, dont une par accident dans la tranchée.
Elle raconte : « C’était un jeune homme sportif, à peine plus vieux qu’un adolescent. Il a été placé dans une équipe qui opérait des gros canons sur roues, à l’arrière des lignes. Ils devaient traîner la charge dans la tranchée, l’enfoncer dans le barillet du canon, puis tirer afin d’atteindre la tranchée de l’ennemi.
« C’était plutôt primitif. Ils colmataient le barillet avec des chiffons, puis ils mettaient un accélérateur, c’est-à-dire quelque chose qui allait brûler. De l’essence, par exemple. Ensuite, ils allumaient de la cordite, qui est un explosif, à des foyers dans les tranchées – ils n’avaient pas d’allumettes donc ils entretenaient des feux ouverts – et ils la jetaient dedans pour faire exploser le canon. C’était dangereux.
« Un jour, des étincelles de feu ont allumé de la cordite qui était sur le sol, par accident. Tout risquait d’exploser, alors mon père l’a ramassée et il a essayé de la jeter hors de la tranchée. Mais ça n’a pas marché, elle est retombée sur lui et le feu a pris autour de lui.
« Il a été gravement brûlé au visage. Tous ses cheveux ont brûlé. Il a dû aller à l’hôpital et on lui a greffé de la peau de sa cuisse sur son visage. Il est chanceux qu’il n’y ait pas eu d’infection, il aurait pu en mourir. »
Kate Jaimet précise que l’accident s’est produit en février 1917. « La chirurgie plastique qu’il a subie, c’était très expérimental à l’époque, confie-t-elle. Il a été renvoyé sur le champ de bataille en octobre 1917. »
Elle souligne par ailleurs qu’en plus d’être artilleur, « il travaillait aussi avec les mules et les chevaux, car ce sont eux qui tiraient les canons ». Un travail qui lui convenait bien puisqu’il avait grandi sur une ferme.
Une autre anecdote que le vétéran racontait aux siens, c’est lorsque qu’avec deux autres camarades, ils ont été séparés du groupe et qu’ils ont trouvé refuge dans une ferme qui avait un âne à trois pattes.
Sa petite-fille se souvient également d’une anecdote en lien avec les latrines – les toilettes – dans les tranchées, ou encore « de ses histoires de mules têtues qui n’obéissaient pas. C’était un raconteur-né, il rendait tout ça très divertissant pour moi ».
Quant à sa seconde blessure, il n’en parlait presque pas, mais Deirdre sait qu’il est retourné à l’hôpital plus tard dans la guerre. « Il racontait toujours les petites choses qui lui étaient arrivées, pas les grandes batailles », commente-t-elle.
Un diplôme au retour
Après la guerre, Stafford Balkwill est allé à l’Université Queens pendant quatre ans gratuitement, grâce à une bourse pour les vétérans. Il a obtenu un diplôme de chimiste.
Deirdre Balkwill explique : « Ce qui s’est passé, c’est qu’à la fin de la guerre, il fallait ramener tous ces jeunes soldats de l’Europe aux États-Unis ou au Canada. On n’avait pas tous les transports qu’on a maintenant, il fallait prendre de gros bateaux. C’était très long, c’est pourquoi mon père a dû attendre jusqu’à mai 1919 pour vraiment finir son service.
« En attendant, pour s’occuper sans se mettre en trouble, les soldats pouvaient suivre des cours dans les universités de Paris, assister à des conférences. C’est ce qu’il a fait. Bien qu’il n’ait qu’une éducation de niveau 10e année, il a vraiment aimé ça.
« Quand il est finalement rentré au Canada, il a voulu aller à l’université et il a trouvé ce programme de bourses pour les vétérans à Queens. À l’époque, très peu de professeurs d’université connaissaient l’existence de ce programme de bourses! Après la Seconde Guerre mondiale, c’était beaucoup plus structuré et connu. »
Sa petite-fille souligne que son grand-père est « le premier de la famille à avoir obtenu un diplôme universitaire ».
Avec son diplôme de chimiste, Stafford Balkwill a travaillé comme chercheur en chimie aux États-Unis, dans une fabrique de peintures, jusqu’au début des années 1930. « À cause du krach boursier de 1929 et de la grande dépression économique, les emplois donnés à des travailleurs étrangers ont été coupés », révèle Deirdre Stafford.
Stafford Balkwill est décédé à l’âge de 83 ans, plus de 60 ans après la fin de la Première Guerre mondiale.
Enregistrer pour se souvenir
Pour ne rien oublier de l’expérience de son père, Stafford Balkwill, vétéran de la Première Guerre mondiale, Deirdre Balkwill a eu l’idée dans les années 1970 de l’enregistrer sur des cassettes audios alors qu’il racontait ses anecdotes de guerre.
Elle se souvient : « Des années après la fin de la guerre, quand je vivais à Ottawa, de temps en temps je mettais mes trois enfants dans la voiture et on allait rendre visite à mes parents. Je restais alors souvent tard le soir à discuter avec mon père.
« On parlait de beaucoup de choses, et c’est dans ce contexte que la guerre est venue dans la conversation. Il ne m’en avait presque jamais parlé avant, et je savais qu’il ne voudrait pas souvent en parler, alors j’ai eu l’idée de l’enregistrer. Je lui posais des questions et il me répondait. »
Certaines de ces cassettes ont été données au Musée canadien de la guerre, d’autres sont restées dans la famille, d’autres encore ont été accidentellement effacées.