Au Musée canadien de la guerre, Michael Petrou, historien – Expérience d’anciens combattants et Mélanie Morin-Pelletier, historienne – Guerre et Société se sont penchés sur ces questions.

À l’heure des nouvelles technologies de masse, il est à prévoir que les futures archives de guerre auront un aspect bien différent de celles que nous possédons aujourd’hui sur les guerres du passé. Et par conséquent, que les expositions sur les guerres seront abordées différemment. 

Au Musée canadien de la guerre, deux projets illustrent bien ces changements : Leur histoire, mené par Michael Petrou, dont une partie est exposée virtuellement depuis le 30 octobre 2024 (1); et l’exposition Dernières voix de la Seconde Guerre mondiale (titre provisoire), sur laquelle travaille Mélanie Morin-Pelletier, qui sera lancée en mai 2025 pour le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

« Aujourd’hui, on a plusieurs lettres, journaux, peintures ou encore photos de soldats des Première et Seconde Guerres mondiales. C’est merveilleux d’avoir tout ceci pour mieux comprendre ce qui se passait lors de ces conflits, se réjouit Michael Petrou.

Michael Petrou. (photo : Gracieuseté Musée canadien de la guerre)

« En revanche, une chose que nous aurons beaucoup plus à l’avenir, je pense, pour pouvoir comprendre les conflits, c’est l’histoire orale. Pour le projet Leur histoire, j’ai notamment fait plus de 200 entrevues vidéo ou audio avec des ex-militaires ayant servi dans l’armée canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, ainsi qu’avec leurs proches. »

Il précise que même s’il existe quelques enregistrements faits dans le passé, ils sont aujourd’hui difficilement exploitables, faute de matériel. « Par exemple, il y a un vétéran qui était en Espagne dans les années 1940. Plus tard, dans les années 1970, il avait une caméra et il a fait des vidéos. Si je veux les voir aujourd’hui, je dois aller aux Archives et utiliser une machine spéciale. »

Mélanie Morin-Pelletier souligne aussi la variété de perspectives disponibles aujourd’hui. « Avant, on n’avait presque pas de lettres de mères de soldats, par exemple. Les femmes pensaient souvent que leurs points de vue n’avaient pas d’importance, donc elles ne gardaient pas leurs propres lettres. Aujourd’hui, le monde est beaucoup plus sensible à l’importance du vécu des familles qui restent. » Les sources d’archives sont beaucoup plus variées.

Mélanie Morin-Pelletier. (photo : Gracieuseté Musée canadien de la guerre)

Focus sur l’après

Avec Leur histoire, l’objectif de Michael Petrou était avant tout de « parler des impacts de la guerre sur la vie d’après. Du positif, comme d’avoir pu aller à l’université ensuite grâce à une bourse, mais aussi de choses difficiles, de stress post-traumatique, parfois avec des mots différents. Comme ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui, à son retour, était retrouvé par sa mère sous son lit chaque matin. Il ne pouvait s’empêcher de se glisser dessous pour se protéger. 

« Plusieurs m’ont parlé aussi de leur sentiment de tristesse, de peur, de vide au retour de la guerre, quand ils ne savaient plus quoi faire maintenant et que personne sauf leurs camarades d’armes ne pouvaient réellement les comprendre. »

En tout, l’historien estime avoir fait près de 500 heures d’entrevues. « Enregistrer les récits d’anciens combattants, ça s’est déjà fait, précise-t-il. Mais aujourd’hui, grâce à la technologie, c’est beaucoup plus facile à faire et surtout à conserver en toute sécurité. On peut même faire des entrevues à distance et vraiment recueillir des témoignages de partout. C’est ce que j’ai fait au début du projet, car c’était la COVID. »

Si les témoignages d’anciens combattants sont désormais plus faciles à recueillir et réécouter, Michael Petrou anticipe cependant avec regret une perte relative de traces de la vie sur les champs de bataille.

« Au temps des Première et Seconde Guerres mondiales, les soldats écrivaient et envoyaient beaucoup de lettres depuis le front. Ils y racontaient leur vie, ce qui se passait sur place. Les familles ont conservé ces lettres, et celles-ci nous renseignent aujourd’hui sur le quotidien de ces soldats en guerre, comment la vie était organisée.

« Aujourd’hui, les soldats, tout comme tout le monde, écrivent beaucoup moins de lettres. Les communications se font plutôt par courriel, or les gens ne conservent pas forcément leurs courriels. Et s’ils changent d’adresse courriel, c’est souvent perdu. C’est triste de penser qu’on n’aura peut-être plus ces témoignages venus directement des champs de bataille. »

Il est cependant de plus en plus facile pour des reporters de guerre de rapporter des images de pays en guerre. Michael Petrou, lui-même ancien journaliste de terrain, en sait quelque chose : « J’ai notamment été en Afghanistan et en Irak, et j’ai pu faire des vidéos avec mon téléphone intelligent. Aujourd’hui, c’est très facile à faire soi-même. »

De nouvelles façons de partager

Comment exposer tous ces nouveaux types d’archives audio et vidéo d’une façon engageante pour le grand public? Le Musée canadien de la guerre a plusieurs idées, à commencer par multiplier les expositions numériques, en plus des physiques.

Un double avantage selon Michael Petrou : « Les archives sont alors beaucoup plus accessibles. Quelqu’un qui habite dans un autre pays peut en profiter sans même avoir à se déplacer, et y revenir aussi souvent que souhaité. »

À partir des entrevues réalisées, le Musée canadien de la guerre prévoit aussi publier en 2026 un livre bilingue sur l’expérience des vétérans et organiser une conférence qui rassemblera des universitaires, des historiens et des vétérans.

Mélanie Morin-Pelletier travaille quant à elle depuis 2023 à la mise en œuvre d’une exposition physique à partir des témoignages des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale spécifiquement. Son inauguration est prévue en mai 2025 au Musée.

« Les fondements de notre exposition, ce sont ces histoires orales, mais on a quand même aussi une panoplie de matériel qui viennent les compléter. Les familles ont été très généreuses. On a reçu beaucoup de photos en temps de guerre, mais aussi depuis, comme des photos de vétérans en pèlerinage sur leurs anciens champs de bataille des années plus tard. Des œuvres d’art aussi. On va proposer aux visiteurs une expérience multimédia. »

L’autre élément novateur de cette future exposition, c’est qu’elle se concentrera sur l’expérience des vétérans. « Notre trame narrative, ce ne sera pas la guerre, mais la transition de la vie militaire à la vie civile et l’impact à long terme de la guerre, pour le vétéran mais aussi pour sa famille. On ne parle pas assez des difficultés du retour pour les familles », termine Mélanie Morin-Pelletier.

(1) https://www.museedelaguerre.ca/. Les entrevues réalisées sont toutes disponibles en intégralité sur demande.