Pour tenter de réduire leur impact, des médecins mettent en place des initiatives qui font doucement changer les mentalités. C’est le cas de la Dre Isabelle Paquin à Saint-Boniface et du Dr Myles Sergeant à Hamilton en Ontario.

Avec ce constat bien en tête, la Dre Isabelle Paquin, médecin de famille au Centre de santé de Saint-Boniface depuis 2014, a commencé à mettre des initiatives qu’elle qualifie de « simples », mais qui peuvent faire une différence dans l’impact environnemental de sa pratique.

« L’environnement commence à prendre de plus en plus de place dans les discussions. Et dans celles de la médecine aussi, surtout depuis la pandémie. »

C’est donc l’un des legs de la pandémie de COVID-19, l’envie de vouloir améliorer son impact environnemental. Dre Isabelle Paquin souligne qu’« au niveau de la médecine, je pense que la COVID-19 nous a fait avancer sur le développement des lignes directrices et dans la recherche.

« Cependant, du côté environnemental, il y a eu un énorme impact négatif. Pensons aux gants que les médecins devaient changer régulièrement, mais aussi les masques ou encore les blouses. Le monde entier en utilisait. Il y avait donc beaucoup de déchets. C’est certain que la COVID-19 a eu un impact qui n’a peut-être même pas été mesuré encore sur l’environnement. »

COVID : avancée médicale, recul écologique

En effet, il semblerait qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas encore d’étude qui se soit penchée sur la question au Canada. Il est cependant juste de constater que les hôpitaux ont connu des augmentations des déchets médicaux, une hausse de la consommation d’énergie, l’augmentation de produits sanitaires avec emballage plastique, etc. « La COVID a empiré les choses », confirme aussi le Dr Myles Sergeant, médecin de famille à Hamilton en Ontario depuis 30 ans.

Dr Myles Sergeant
Dr Myles Sergeant est médecin en Ontario. Il travaille sur la question du respect de l’environnement dans le système de santé depuis plus d’une dizaine d’années. (photo : gracieuseté)

Ce professionnel de la santé s’est complètement engagé depuis une quinzaine d’années à tenter de concilier soins de santé et durabilité. Il a d’abord été à la création au début des années 2010 de l’organisation caritative Trees for Hamilton. Un projet qui a été le déclencheur dans son engagement pour l’écologie. « Nous avons planté 82 arbres dans le centre-ville d’Hamilton. Nous en plantons également dans les hôpitaux, les cliniques et les maisons de retraite. Les gens peuvent regarder par la fenêtre et voir ces beaux arbres, des oiseaux sont dedans, et il est prouvé que cela aide les gens à se rétablir plus rapidement. » 

Le médecin ontarien s’appuie par ailleurs sur les résultats encourageants d’un hôpital à Singapour, The Khoo Teck Puat Hospital. Cet établissement, complètement intégré dans une forêt luxuriante, a notamment des effets positifs sur la réduction de la pression artérielle des patients. 

Dr Myles Sergeant a ensuite poussé un peu plus loin ce projet pour rendre cette initiative locale nationale. « Notre devise, c’est amener la forêt aux patients. Ce qu’on a fait à Hamilton est devenu un projet national : la Canadian Health Care Forests. Avec ça, nous pouvons aider du personnel de santé à travers le pays qui aimerait, par exemple, avoir un toit végétalisé sur son lieu de travail. Alors, nous les guidons, nous ne leur donnons pas d’argent, mais nous les envoyons vers toute une série d’organisations partenaires qui peuvent les aider. »

Des pratiques qui changent

À noter que la Canadian Health Care Forests est issue d’une initiative encore plus large qui est la Coalition canadienne pour un système de santé écologique, dont le directeur général n’est autre que le Dr Myles Sergeant.

Le médecin de famille invite d’ailleurs ses confrères et consoeurs à travers le pays qui aimeraient faire un changement à contacter la Coalition pour découvrir les bonnes pratiques à mettre en place.

Du côté de la Dre Isabelle Paquin, c’est en 2023 qu’elle a commencé à opérer quelques changements dans sa pratique. « Je pense au papier sur la table d’examen, aux gants stériles pour les biopsies, aux inhalateurs et d’autres encore. Avant de changer quoi que ce soit, je fais de la recherche et avec les informations qui existent, j’apporte quelques suggestions à l’équipe du Centre de santé de Saint- Boniface. Ensuite, les équipes sont libres d’en faire ce qu’elles veulent. La médecine est propre à chacun alors je ne force pas mes collègues à changer leur pratique. C’est un choix personnel. De plus, j’essaie d’accentuer sur des changements faciles qui ne nécessitent pas de l’argent ou du temps supplémentaire. » 

Pour se faire une idée, la Dre Isabelle Paquin donne l’exemple des gants stériles. « Personne ne voudrait d’un chirurgien sans gant stérile. Cependant, je suis allée vérifier la nécessité de porter des gants lors de procédures mineures dans le cabinet d’un médecin de soins primaires. Disons que je veuille retirer une lésion sur la peau, il n’y a aucune preuve que les gants stériles réduisent les risques d’infection. Attention, j’utilise encore des gants. Mais pas forcément des gants stériles. 

« Parce qu’un gant stérile vient dans un environnement stérile qui est dans du plastique. Ce sont des petites choses. » 

« Le tas de papier sur les tables d’examen, je n’en utilise plus. Là encore, je suis allée voir la recherche, et je n’ai pas trouvé d’évidence qui disait que ça réduisait les infections entre patients. On a arrêté d’en acheter, c’est quelque chose qu’on a tous accepté de faire au Centre. » 

Un autre exemple sur lequel travaille Dre Isabelle Paquin est celui des inhalateurs, comme la Ventoline ou le Salbutamol. « Les inhalateurs sont particulièrement dangereux pour l’environnement. Un inhalateur peut produire autant de gaz à effet de serre qu’un trajet en voiture de Winnipeg à Brandon. Ce n’est pas que le contenant en plastique et en métal, mais c’est aussi la façon dont le médicament est distribué qui a un impact environnemental. Il faut donc réfléchir à d’autres choses aussi bien pour la planète que pour la santé du patient. » 

En effet, certains de ces aérosols doseurs propulsent des gaz qui ont des conséquences négatives sur la couche d’ozone. Aussi, le nombre d’inhalations dans une cartouche n’est bien sûr pas illimité. Par exemple, selon différentes sources, si l’on prend quatre inhalations par jour dans une cartouche en contenant 200, il faudrait remplacer l’appareil après 50 jours. 

Développer la culture de la durabilité

C’est ce besoin d’application concrète qui a aussi emmené le Dr Myles Sergeant a participé à la création il y a trois ans de PEACH Health Ontario (Partnerships for Environmental Action by Clinicians and Communities for Health Care Facilities) avec la Faculté des sciences de la santé de l’Université McMaster en Ontario. Le médecin et les membres de l’équipe PEACH ont notamment théorisé l’établissement de santé écologique idéal. Le Dr Myles Sergeant en donne un aperçu. 

« Il s›agirait d›un hôpital où la direction croirait à la vision d›un hôpital durable. Par conséquent, la direction éduquerait les employés à ce sujet et à ce qu’ils peuvent faire dans leurs différents services. Ça serait un hôpital dans lequel on développerait une culture de la durabilité que tout le monde comprendrait. La durabilité ferait même partie de l’ordre du jour de chaque réunion. » 

Une vision qui se rapproche de la réalité dans l’Hamilton Health Sciences, l’hôpital dans lequel exerce le Dr Myles Sergeant. « C’est l’un de nos quatre piliers d’excellence. Cela fait maintenant partie de notre plan stratégique de devenir un hôpital durable et à terme à zéro émission de gaz à effet de serre. » 

Un objectif qui pourrait être atteint d’ici 2050 selon les prédictions de l’établissement qui a déjà observé une réduction des émissions de 49 % depuis 2016 grâce à des investissements importants dans l’équipement des installations et en transférant les sources d’énergie primaire vers le réseau électrique propre de l’Ontario. 

Changement bénéfique pour les patients

Alors qu’un mouvement se met en place depuis quelques années et que l’optimisme règne, Dre Isabelle Paquin rappelle encore tout le travail qui reste à faire. 

« Au niveau écologique, les choix que nous pourrions faire pourraient donner une population plus en santé. Si l’on réduit nos émissions de carbone, cela va réduire les gaz à effet de serre, cela va réduire les feux de forêt et donc diminuer les admissions en lien avec des maladies pulmonaires et d’autres. Le secteur de la santé a une marge de progression à faire pour réduire son impact environnemental. 

« Il faut que l’on change nos perspectives. Nous devons nous rendre compte que nos choix ont des effets à court et à long terme. Les tonnes de dioxyde de carbone que la médecine crée ont des effets néfastes sur nos patients. 

« Alors oui, c’est important de traiter son patient. Mais il faut changer la pensée comme quoi la médecine peut se permettre de polluer plus parce qu’elle soigne les gens. C’est une réflexion qui est en cours. Les nouveaux élèves des écoles de médecine sont beaucoup plus conscients aussi de cette réalité. »