Cet exercice est une occasion pour lui d’établir la confiance du public envers les institutions.
La Liberté l’a questionné sur l’accès à la justice dans les deux langues officielles du pays, les perspectives autochtones dans le système judiciaire et la confiance envers les institutions. Questions-réponses avec le juge en chef de la Cour du Banc du Roi, Glenn Joyal.
Vous êtes juge en chef de la Cour du Banc du Roi depuis 2011, quelles sont les grandes évolutions sur l’accès à la justice en français que vous avez pu constater?
Dans le domaine de l’accès à la justice, nous avons remarqué une grande concentration sur le niveau de responsabilités de la Cour. Nous sommes maintenant responsables de démontrer jusqu’à un certain point du progrès dans plusieurs domaines dont celui des langues officielles. Nous avons des critères comme la rapidité, la complexité et les coûts.
C’est un peu plus difficile d’évaluer notre capacité de fournir des services en français. Ce n’est pas nécessairement quelque chose qui est évalué avec les critères mentionnés. Même si c’est pris en compte, l’évaluation est plus large. C’est important de voir ce qu’on fait dans le contexte de l’accès à la justice.
Je pense quand même que les choses sont plus normalisées qu’avant. Mais pas encore assez.
J’imagine qu’il existe plusieurs défis pour la normalisation de ces services…
Nous avons encore besoin de sensibiliser les gens à propos de leurs droits en français. Il est important que les gens sachent qu’ils ont des droits constitutionnels qui leur garantissent un accès à la justice en français. Il faut faire un meilleur travail sur cette sensibilisation.
Outre cette sensibilisation, on doit avoir un processus identifiable, prévisible et plus efficace. Le problème n’est pas la capacité de juges à parler français. On est capable de fournir un juge pour n’importe quelle cause, n’importe quelle requête. Maintenant, il faut se concentrer plutôt sur les ressources qui entourent la Cour comme les greffiers, les sténographes et d’autres encore. Ce manque de per-sonnel pourrait mettre à risque les efforts déployés depuis plusieurs années.
Par rapport à l’accès aux services en français. Aujour-d’hui, il existe plusieurs préoccupations autour du 614 rue Des Meurons et de son aménagement. Pour l’instant, d’après moi, les services ne sont pas fournis dans un endroit tout à fait acceptable. Il y a un groupe de travail qui s’attarde sur ce dossier.
Comment faites-vous pour remédier à ces obstacles de la normalisation du fait français dans les tribunaux?
Nous voyons une relève parmi les avocats et avocates. L’Université du Manitoba a d’ailleurs mis en place une initiative dans ce sens avec le développement de cohortes francophones. L’Association des juristes d’expression française du Manitoba fait beaucoup de travail pour s’assurer du maintien des services en français. Nous avons aussi un programme parmi les juges pour suivre des cours en français débutants ou avancés suivant le niveau.
À la Cour du Banc du Roi, et au niveau des autres cours, nous avons amendé nos règles pour que les mémoires et les cahiers déposés par les parties lors d’une instance comprennent à la fois les versions française et anglaise des textes de loi. Peut-être que cela semble une petite chose. Mais parfois c’est déterminant.
Combien de juges à la Cour du Banc du Roi sont capables d’entendre des causes en français?
Actuellement, il y a cinq juges capables d’entendre des causes. Le juge Gérald Chartier, le juge Shane I. Perlmutter, le juge Alain Huberdeau, la juge L. Kim Berthaudin dans la division de la famille, il est possible que les personnes ne soient pas forcément au courant de sa capacité bilingue et moi-même. Bien sûr, je souhaiterais plus de juges bilingues. Mais il faut désormais se concentrer sur le personnel entourant la Cour.
Tout comme le français est pris en compte dans le système, les perspectives autochtones ont aussi une place…
Dans n’importe quelle institution au travers du pays, nous devons montrer une sensibilité envers les perspectives autochtones. Il est question de réconciliation judiciaire. D’ailleurs, dans les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation, plusieurs sont directement adressés pour le système judiciaire.
Sans commenter le dossier en particulier, mais l’affaire Skibicki est certainement un dossier qui a permis de renforcer la confiance dans le système judiciaire…
Dans l’affaire Skibicki, nous voulions démontrer une reconnaissance du drame vécu par les familles et les communautés autochtones. Dans un certain sens, il y a eu une sorte de validation du processus. Quand on cherche la confiance du public, ce sont des gestes importants. Ce n’est qu’un exemple.
La Cour du Banc du Roi a mis sur pied un Comité de la confiance, de la réconci-liation et de l’accès à la jus-tice. Il y a cinq juges et cinq membres des communautés autochtones.
L’idée est de s’appuyer sur quatre piliers : la sensibilisation c’est-à-dire d’être à l’écoute de ce que nos membres autochtones ont à nous dire même si c’est parfois pénible. L’éducation, nous recevons une pédagogie de la part des personnes autochtones qui viennent nous enseigner sur toutes sortes de sujets. C’est une éducation contextuelle.
Le troisième pilier c’est la réforme systémique, il s’agit de petits changements et de plus grands. Par exemple, l’ex-ception de juridiction dans les communautés comme Peguis. Ils tranchent eux-mêmes les questions de protection de l’enfance. Nous sommes prêts à collaborer avec et parfois à reconnaître qu’il existe déjà des systèmes traditionnels dans les communautés.
Enfin le dernier pilier rejoint les services en français, il s’agit de la normalisation. C’est bien beau de parler de tel ou tel cas. Mais est-ce qu’on peut normaliser et l’intégrer à notre système? C’est ce que nous visons.
Il faut aussi avoir des juges qui connaissent ces perspectives…
Il y a deux juges qui s’identifient comme autochtones à la Cour du Banc du Roi : le juge Brian Bowman et le juge Kenneth Champagne. Ils sont tous les deux métis. Encore une fois, c’est un aspect de représentation à avoir. Il faut aussi de la confiance de la part du public.
Là encore, il y a sûrement des obstacles à la confiance des communautés autochtones envers le système judiciaire…
C’est principalement une question de communication. Mais ce n’est pas qu’avec les communautés autochtones, c’est avec n’importe quel citoyen canadien. Nous vivons dans une période polarisée. Les institutions sont questionnées et menacées.
Alors que pouvons-nous faire pour lutter contre ceci? Nous devons communiquer davantage pour donner accès à la Cour pour qu’ensuite les gens soient en mesure de comprendre ce qui se passe dans les institutions. Et de questionner ce qui se passe en ayant les meilleures informations possibles. C’est aussi l’idée de tenir les juges davantage responsables pour leurs actions.