Le Manitoba fait pâle figure en matière de lutte contre les violences familiales. La province est la deuxième, après la Saskatchewan, qui possède le plus haut taux de violences familiales déclarées auprès de la police. En 2022, d’après Statistique Canada, pour 100 000 habitants, le nombre de victimes était de 633.

Un chiffre qui est probablement en deçà de la réalité puisqu’il s’agit uniquement des cas reportés à la police.

Pour tenter de lutter contre ces violences, le gouvernement fédéral est en voie d’adopter un amendement au Code criminel pour y inclure la notion de contrôle coercitif.

Depuis maintenant quelques années, les refuges pour femmes ont pris en compte ce concept pour refléter le plus justement ce que pouvaient vivre certaines. Tsue Muvingi, coordonnatrice provinciale de la Manitoba Association of Women’s Shelters, affirme que « même si le terme de contrôle coercitif est relativement récent, les refuges sont conscients qu’il fait partie de la violence depuis très longtemps. Pour beaucoup de gens, s’il n’y a pas de coup, il n’y a pas eu de violence.

« Si l’on considère la violence domestique sous l’angle du contrôle coercitif, il s’agit d’un ensemble de comportements ou d’actes qui créent un environnement dans lequel une personne se sent contrôlée, isolée, dépendante. Elle est intimidée. Elle peut

être humiliée, menacée et exploitée. Le contrôle est donc le plus souvent invisible, parce qu’il joue sur les émotions, sur la santé mentale et sur les finances, et qu’il restreint la liberté d’une personne. »

Briser les idées préconçues

Pour Louise Riendeau, coresponsable des dos- siers politiques pour le Regroupement des maisons pour femmes victimes de vio- lences conjugales au Québec, il y a un vrai effort d’éducation et de sensibilisation à mener auprès de la société sur ce que signifient violences conju- gales. « Notre objectif est de mieux faire comprendre le concept de contrôle coercitif parce qu’on s’est rendu compte que lorsqu’on parlait de violences conjugales, les gens pensaient à la violence physique. Ils omettaient tous les gestes de contrôle que les personnes peuvent vivre quotidiennement.

« Il y a aussi de fausses croyances. Par exemple, il y a cette idée qu’il faut une escalade de la violence pour arriver à un féminicide ou un infanticide. Mais la recherche nous dit le contraire. L’homi- cide intrafamiliale est dans un tiers des cas le premier geste de violence physique. Une autre recherche en Angleterre de Jane Monckton Smith souligne que dans 92 % des cas d’homicide intrafamiliale, il y avait du contrôle coercitif. »

Tsue Muvingi, qui repré- sente dix refuges de première étape au Manitoba, assure que « la notion de contrôle coercitif permet aux victimes

de ne pas penser : Oh, cela fait partie de la vie normale. Je dois juste le supporter et continuer à avancer. En changeant de perspective, on cesse de parler d’incidents isolés et on peut, lorsque l’on voit ces schémas, empêcher l’escalade de la violence et mieux protéger les victimes de la violence domestique. »

Besoin de formation

Pour mieux repérer ces schémas, il faut être capable de les identifier. Le tout passe par de la formation. Tsue Muvingi insiste sur le délicat équilibre dont doivent faire preuve les policiers. « La manière dont les forces de l’ordre réagissent a un impact sur la façon dont les survivantes vivent les étapes suivantes et sur le fait qu’elles quittent ou non le domicile familial.

« D’un autre côté, on a établi que le contrôle coercitif est beaucoup plus difficile à repérer sans marque phy- sique. Mais la formation pourrait aider les forces de l’ordre à comprendre et à reconnaître ces schémas. »

Pour Louise Riendeau, le travail de formation doit commencer avant que le Code criminel ne soit modifié. « On souhaite que le gouvernement fédéral commence déjà à former tous les acteurs qui gravitent dans la lutte contre les violences familiales. Il faut former avant que la loi n’entre en vigueur pour être certain d’agir le plus efficacement possible. Sans formation adé-

quate, l’application de la loi a été mitigée dans les pays où le contrôle coercitif est criminalisé. » Louise Riendeau rappelle que « les enfants sont aussi des victimes dans des situations de contrôle. »

Tsue Muvingi partage à cet égard des données en date de septembre 2024 pour le Manitoba.«Ilyaeuunpeu plus de 1 900 cas de violence entre partenaires intimes signalés par la police. Cela correspond donc à un incident signalé par la police toutes les 20 minutes. Et parmi ces incidents, 342 ont été observés par au moins un enfant ou un jeune de moins de 18 ans. Cela signifie que toutes les deux heures, un enfant a été exposé à un incident entre partenaires intimes signalé par la police au Manitoba.

« Encore une fois, dans la plupart des incidents, 85 % des victimes ou des survivantes sont des femmes. »

Les ressources nécessaires

Malgré cette prise en compte de la notion de contrôle coercitif, il reste que les fonds pour réussir ce travail sont encore trop limités comme le suggère Tsue Muvingi. « Un soutien est nécessaire de toute urgence, en particulier dans les communautés rurales et isolées où l’accès aux services est limité.

« Dans les communautés rurales, il n’y a peut-être qu’un seul refuge, qui est toujours plein. Mais pour les transporter dans une ville, qui a plus de ressources, il n’y a peut-être pas d’accès au transport. Les possibilités de logement abordable doivent être plus nombreuses.

« Il faut aussi remédier à l’instabilité économique qui piège souvent ces survivants dans des relations abusives. Si quelqu’un devait partir, le soutien financier qu’il peut obtenir n’est pas suffisant pour lui permettre de survivre par ses propres moyens. »

Sur la question de l’amélio- ration du financement et des ressources, Tsue Muvingi aurait encore beaucoup à dire, elle s’arrêtera en particulier sur la formation du personnel dans les refuges. « Il faut être en mesure d’offrir des salaires compétitifs. Dans certaines communautés, nos refuges sont en concurrence avec McDonald’s parce que McDonald’s paie mieux. Les emplois que nous proposons sont plus complexes et plus difficiles, mais ils paient moins bien alors qu’il s’agit parfois de vie ou de mort.

« Nous devons donc être en mesure d’augmenter le financement des refuges et des programmes de prévention. »

(1) Si vous souhaitez parler de votre situation et que vous n’êtes pas en danger immédiat, une ligne d’appel téléphone existe au Manitoba : 1-877-977-0007. Si vous êtes en danger immédiat, appelez le 911.