Le pays est confronté à une « combinaison » d’épisodes météorologiques « extrêmes » liés au changement climatique qui ont récemment affecté sa production et menacent la structure même de ses barrages, selon plusieurs experts.
Ces dernières années, une sécheresse prolongée dans les trois principales provinces productrices – Québec, Colombie-Britannique et Manitoba -, a fait chuter la production.
Le pays, qui tire plus de 60 % de son énergie de l’hydroélectricité, a donc dû restreindre ses exportations vers les Etats-Unis qui ont atteint leur plus bas niveau en 14 ans, selon un rapport récent de l’agence fédérale des statistiques.
Et les rôles se sont même inversés lorsque le Canada a été contraint d’importer de l’énergie depuis les Etats-Unis pendant trois mois consécutifs au début 2024, une première en huit ans.
Cette tendance à la baisse touche aussi les autres principaux producteurs mondiaux (Chine, Turquie, Etats-Unis), l’année 2023 ayant été marquée par un «déclin mondial record » selon l’Agence internationale de l’énergie.
Du haut de ses 214 mètres, le barrage Daniel-Johnson, ce mastodonte du nord du Québec, principale province productrice du Canada, n’a pas vu le niveau de son réservoir augmenter depuis un an.
« Ces dernières années, on a battu des records », reconnaît Pierre-Marc Rondeau qui travaille pour la compagnie publique Hydro-Québec, en référence aux faibles niveaux de certains réservoirs.
L’ingénieur reconnaît que l’entreprise « commence à ressentir » les effets du dérèglement climatique, donc « on adapte nos façons d’exploiter les réservoirs actuellement pour être prêt à tout moment » en cas de crue soudaine ou de sécheresse.
Cela demande une planification beaucoup plus grande de l’entreprise sur la gestion des bassins.
Néanmoins, le manque d’eau a fait baisser les profits de la société d’Etat de 30% pour les neuf premiers mois de 2024, selon des résultats publiés mardi. Hydro-Québec a ainsi dû restreindre ses exportations afin de réguler ses stocks énergétiques et de répondre à la demande locale en 2023 et 2024.
Un manque à gagner pour l’entreprise qui a récemment construit de nouvelles lignes de transmission et signé des contrats à long terme avec des clients du Massachusetts et de New York.
– Le danger des crues subites –
Pour Eloïse Edom, chercheuse à l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, les barrages font aussi face à un problème tout autre: l’augmentation des crues subites dans les prochaines décennies.
« Avant, on voyait une crue tous les 100 ans, aujourd’hui, on a parfois deux fois le phénomène en dix ans », souligne l’experte.
Le Québec et la province voisine de l’Ontario ont ainsi récemment connu des précipitations soudaines dignes « des régions tropicales », renchérit Philippe Gachon, professeur d’hydroclimatologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Le cycle hydrologique « est en train de changer », note l’expert qui s’attend à voir des « volumes d’eau qu’on n’a jamais connus » depuis que les barrages ont été construits.
Face à ce constat, un groupe de chercheurs est en train d’élaborer de « nouvelles lignes directrices » après une analyse des barrages.
Selon leurs premières constatations, il y aurait « des lacunes importantes dans les cadres et pratiques actuels en matière de conception et de planification de la gestion des barrages », explique Reza Najafi de la Western University.
Il souligne que 40 à 50% d’entre eux ont plus de 50 ans et que leurs structures n’ont donc pas été pensées pour faire face à « l’intensification des phénomènes extrêmes ».
Pour les chercheurs, il faut que la réalité du changement climatique soit incorporée dans les prochaines lignes directrices nationales. Une préoccupation déjà intégrée par certaines entreprises comme Hydro-Québec, explique Philippe Gachon.
« Mais est-ce que ce travail de réflexion, de redesign des infrastructures va être aussi rapide que les changements qui sont en train de se produire? Personne ne le sait. »
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