C’est du jamais-vu au Canada. Ce changement de ton a forcé lundi le président de la Chambre à intervenir.

La session parlementaire d’automne a été réduite à peau de chagrin et beaucoup pensait qu’aucun projet de loi ne pourrait être examiné avant les vacances de Noël.

Mais lundi soir, le président de la Chambre, Greg Fergus, a décidé d’opter pour une mesure rare pour permettre le vote de certaines mesures clé.

Car le Parlement vit depuis fin septembre, une paralysie exceptionnelle: l’opposition conservatrice emmenée par Pierre Poilievre, que les sondages donnent largement gagnant des prochaines élections, empêche tout débat et donc tout vote tant que le gouvernement n’a pas publié des documents liés à un fonds polémique.

« Je n’ai jamais rien vu de tel: un blocage qui dure pratiquement toute la session d’automne », explique à l’AFP l’ancien haut fonctionnaire Wayne Wouters.

« Et il semble que le gouvernement de Justin Trudeau ait peu de leviers pour empêcher cela », ajoute-t-il. Celui-ci est en effet minoritaire au Parlement depuis les élections de 2021 et a été récemment lâché par son allié de gauche, le Nouveau parti démocratique.

Mais la situation n’est pas sans conséquence pour le pays : plus de 20 milliards $ de dépenses gouvernementales – notamment pour les services sociaux, pour l’aide aux populations autochtones et le soutien à l’Ukraine – sont bloqués.

Et les experts estiment que cela pourrait conduire, si cela se poursuit, au déclenchement d’élections anticipées.

La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, a déclaré que les ministères allaient se retrouver en situation de pénurie de liquidités si les dépenses n’étaient pas approuvées avant que la Chambre des communes ne fasse une pause hivernale de six semaines.

« Nous avons besoin que la Chambre fonctionne », a-t-elle supplié à la mi-novembre.

– Scandale du fonds vert –

Les travaux de la Chambre des communes sont bloqués depuis le 26 septembre dernier: les conservateurs dénonçant le « scandale » du TDDC.

Ils tentent de forcer le gouvernement à divulguer tous les documents relatifs à cet organisme indépendant financé par le gouvernement fédéral chargé de distribuer l’argent public à des entreprises prometteuses dans le domaine des technologies propres.

Celui-ci a enfreint les règles en matière de conflit d’intérêts à 90 reprises, selon la vérificatrice générale qui avait évoqué des « lacunes importantes » dans sa gestion.

Le gouvernement a fermé le fonds mais refuse de remettre à la police les milliers de documents concernant ce fonds comme le demande l’opposition.

– Impopularité –

« Tous les partis semblent assez heureux que le Parlement ne fasse rien », commente Lori Turnbull, professeure de l’Université Dalhousie. « C’est un peu absurde. »

L’ancien allié de gauche de Justin Trudeau, Jagmeet Singh, qui est à la tête du NPD, a renvoyé dos à dos les deux principales formations politiques exigeant « des comptes » aux libéraux et demandant aux conservateurs « de cesser leurs manœuvres ridicules et de se remettre au travail pour les Canadiens ».

Si la paralysie politique persiste jusqu’à la nouvelle année, Lori Turnbull estime que les libéraux n’auront peut-être d’autres choix que de reconnaître l’impasse politique et de déclencher des élections anticipées.

Les prochaines législatives doivent avoir lieu au plus tard le 20 octobre 2025 mais beaucoup d’analystes estiment que le gouvernement de Justin Trudeau a peu de chances de tenir jusque-là.

Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau, impopulaire dans les sondages et affaibli par plusieurs récents revers politiques, a survécu cet automne à deux motions de censure déposées au Parlement canadien par son principal rival.

La Chambre des communes canadienne compte actuellement 153 députés libéraux, 119 conservateurs, 33 députés du Bloc Québécois, 25 députés du Nouveau parti démocratique (NPD/gauche), deux Verts et quatre indépendants.

Au pouvoir depuis neuf ans, le Parti libéral accumule les revers politiques depuis le début de l’été.

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