Propos recueillis par Bernard BOCQUEL.

Quand Réal Bérard et Gary Tessier ont été séduits par des blocs de neige massifs, que des institutions comme le Carnaval de Québec ou le Bal de neige d’Ottawa commençaient à mettre à la disposition des sculpteurs du blanc. 

À la fin des années 1980, le Festival du Voyageur proposait aussi des blocs de neige, dans le cadre de concours dotés de prix afin de susciter l’intérêt de personnes désireuses de faire face artistiquement à un beau gros cube de neige. 

Mais des neigistes comme Réal Bérard, Gary Tessier ou David MacNair n’avaient pas besoin de la motivation d’un concours pour braver le froid. Leur désir de sculpter par pur plaisir a entraîné la naissance en 1991 d’un Symposium international de sculptures sur neige lié au Festival du Voyageur. 

Cette étape tout à fait remarquable dans l’histoire des neigistes au Manitoba coïncide avec la venue au monde d’Élyse Saurette. Fort de ce point de repère temporel, voici le témoignage d’une jeune artiste et personne-ressource qui n’a connu que le monde où les sculptures sur neige parsemant la capitale manitobaine sont annonciatrices du plus grand festival d’hiver de l’Ouest canadien. 

Article issu de notre cahier spécial de Noël paru le 18 décembre 2024.

Chez nous à la maison, il y avait beaucoup de tissus. Ma mère, Éveline Saurette, faisait beaucoup de couture. Elle était même retournée aux études à l’Université du Manitoba pour suivre un programme de Clothing and Textiles. Elle dessinait les habits qu’elle allait créer et nous encourageait aussi à dessiner. Ma soeur Renée voulait faire comme elle. Et moi je voulais faire comme ma grande soeur. Je peux dire que je dessine depuis toujours. 

À l’école Précieux-Sang, le directeur était Michel McDonald. Il poussait les arts. Des artistes donnaient des ateliers. Je me souviens par exemple des classes de Marcel Gosselin sur l’imprimerie, ou encore de celles offertes par Yvette Cenerini. J’avais participé à la création de la murale à l’entrée de l’école. Il y avait au Précieux-Sang une atmosphère propice à stimuler tous les arts. 

Au Collège Louis-Riel, où j’ai passé quatre ans à partir de 2005, il y avait moins d’occasions de s’exprimer artistiquement. Les cours d’arts visuels étaient donnés par Michel Lambert et Bertrand Nayet. Pour les cours en général, j’essayais de trouver une opportunité pour y insérer de l’art. S’il fallait remettre un rapport, je demandais si je pouvais illustrer le projet. Je reconnais que je n’avais pas grand intérêt pour les études, sauf s’il y avait une dimension artistique. 

Je n’ai pas manqué ma chance de participer au processus de sélection pour les Jeux de la Francophonie à Edmonton en 2008. J’avais 17 ans. Ça m’a permis de rencontrer des artistes d’ici que je ne connaissais pas, surtout du rural. Et après, pendant cinq jours en Alberta, d’en rencontrer d’autres provinces. 

On était une demi-douzaine d’artistes visuels dans nos petits manteaux avec MANITOBA écrit dessus. Notre cheffe de mission était Josée Vaillancourt. J’ai vécu une expérience unique. Moi qui n’ai jamais trop été dans les sports, je me retrouvais au même niveau que les équipes de volleyball. 

J’ai été déçue de ne pas avoir gagné de médaille. Avec le temps, j’ai reconnu qu’une quatrième place était quand même honorable sur la quarantaine de participants dans ma catégorie. Après avoir gradué de Louis-Riel en 2009, j’ai entrepris tout naturellement un Bac en Beaux-arts à l’Université du Manitoba, que j’ai obtenu en 2013. 

Pour moi, à cette étape de mon parcours de vie, l’alternative s’est présentée clairement : soit je me concentrais sur les arts, ou bien je choisissais de faire un peu de tout. J’ai assumé mon tempérament. J’ai trop d’intérêts dans ma vie. Par exemple, j’ai appris à coudre. La couture ça peut être très créatif, produire de belles choses, mais pas forcément pour être exposées dans une galerie. 

Et puis je tenais aussi à rester impliquée dans le réseau jeunesse. J’ai été membre du CA du Conseil jeunesse provincial. J’ai aussi embarqué au niveau national, avec la Fédération de la jeunesse canadienne-française. 

Plus spécifiquement du côté des arts, je n’avais évidemment pas oublié mon expérience aux Jeux de la Francophonie. Dans un esprit d’entraide, j’ai participé à entraîner les artistes visuels comme coach pour les Jeux de 2014 à Gatineau. Pour les Jeux de 2017 à Moncton, j’avais le titre de cheffe adjointe en art.

Avec ma manière de voir les choses, je dois dire qu’à la fin de mes études universitaires, j’ai été très chanceuse. Une amie qui travaillait au Conseil des arts du Manitoba avait décidé de retourner aux études et j’ai pu avoir sa place. J’avais le bon profil. J’ai commencé à la réception et en communication. Maintenant, je coordonne les communications et le volet promotion du Conseil des arts, qui est une agence indépendante du gouvernement au service de la communauté artistique. 

Concrètement, ça veut dire créer des ressources pour les artistes, garder à jour le site web, écrire des blogs. Le Conseil des arts du Manitoba se soucie du théâtre, de la danse, de la musique, des arts visuels, des films, de la vidéo, mais pas encore vraiment de l’art de la neige. Heureusement qu’il existe déjà une organisation solide comme le Festival du Voyageur, qui en plus est ouverte aux partenariats. 

Justement, le CJP avait organisé en 2011 un projet en lien avec le Festival pour mettre la sculpture sur neige en valeur. L’initiative avait été prise conjointement par la directrice générale Roxane Dupuis et Christel Lanthier, qui à ce moment-là était employée du CJP et impliquée avec le volet sculptures sur neige du Festival. Le projet avait honnêtement été appelé Gelez! J’étais la seule inscrite. Ça m’a donné l’opportunité de bénéficier d’un mentorat one on one avec David MacNair. 

Le bloc de neige était un 8 pieds par 8 pieds. C’était la taille pour les compétitions communautaires. La neige était belle, idéale pour faire des petits détails. Je voulais réussir une courtepointe qui vole au vent. À ce temps-là je ne le savais pas. Des années plus tard j’ai compris que c’était un hommage à ma mère, décédée en décembre 2010. 

En 2011, première expérience de neigiste d’Élyse Saurette. De gauche à droite : Marie-Ève Fontaine, Jessie Frankel et Élyse Saurette.
En 2011, première expérience de neigiste d’Élyse Saurette. De gauche à droite : Marie-Ève Fontaine, Jessie Frankel et Élyse Saurette. (photo : gracieuseté Élyse Saurette)

J’avais eu l’aide de deux amies : Marie-Ève Fontaine et Jessie Frankel. On a surtout travaillé la nuit, puisque la journée j’étais à l’Université. Les outils, je les ai trouvés en partie dans le garage de mon père, Roland. Pour les outils plus spécialisés comme des râpes à neige, j’ai pu en emprunter de David MacNair et de Gary Tessier. Notre équipe avait remporté le deuxième prix du concours communautaire. 

L’expérience avait été vraiment enrichissante, mais les choses de la vie ont fait qu’il y a eu une longue pause avant que je revienne à la sculpture sur neige. Ça s’est produit en 2021, quand Roxane Dupuis m’a approchée pour être formatrice d’une nouvelle initiative du Conseil jeunesse, le Ptchi-Sympo, un clin d’oeil sympathique au Symposium international. Elle avait confié la coordination du projet à Josée Roy. 

Pour Roxane, j’étais une personne ressource qu’elle connaissait bien, puisqu’au fil des années, j’avais fait toutes sortes d’ateliers pour le CJP, dans les domaines de l’imprimerie, du collage, de la peinture, toujours au nom de l’idée que les artistes, ils peuvent tout faire. Le but du Ptchi-Sympo, c’était bien sûr de susciter un intérêt pour l’art de la neige. 

Le projet avait du potentiel. Il faut garder en tête que le Festival fournit de bonnes occasions d’emploi pour les étudiants universitaires, qui sont alors dans leur semaine de pause. Tout en étant payés, le Ptchi-Sympo donnait la chance à des étudiants d’être créatifs en s’essayant à la sculpture sur neige. 

En février 2020, le Festival du Voyageur avait échappé de justesse à la pandémie. Mais pas en février 2021. Ça fait que pour lancer le Ptchi-Sympo, il avait fallu que je donne d’abord une journée de formation virtuelle sur Zoom. Ensuite une douzaine d’étudiants en groupe de deux ont participé en plein air pour quatre jours. Ils ont travaillé sur des blocs de 8 pieds par 8 pieds. Pour la petite histoire, on peut se souvenir que le Ptchi-Sympo a été une des rares activités extérieures du Festival à avoir échappé à la pandémie. 

En passant, je dois dire que la pandémie m’a appris à mieux me connaître. Je croyais que j’étais comme mon père, qui est plutôt extroverti, très social de nature. J’ai réalisé que j’ai aussi un côté introverti. J’ai fait beaucoup de couture, j’ai travaillé sur une courtepointe. Je ne me suis jamais ennuyée. 

Le Ptchi-Sympo a aussi eu lieu en 2022 et 2023, cette fois dans des conditions normales. Le projet, toujours coordonné par Josée Roy, a connu un gros succès. La beauté, c’est qu’il était ouvert à tout le monde, pas juste à des artistes de tempérament. L’idée, c’était de prouver à des jeunes adultes qu’ils peuvent réaliser une oeuvre d’art avec un matériau comme la neige. 

Et en plus de cette activité est une autre manière d’apprivoiser la neige. Je souligne d’ailleurs avec grand plaisir qu’en 2022 la moitié de la douzaine de participants était composée de nouveaux arrivants. Et qu’ils représentaient les trois-quarts du groupe en 2023. 

Édouard Lamontagne, le directeur général de la Fédération culturelle de la francophonie manitobaine, m’a aussi sollicitée en 2022 et 2023 pour contribuer à développer l’intérêt pour la sculpture sur neige. J’ai produit un tutoriel. En 2023, des ateliers pour sculpter des blocs de 4 pieds par 4 pieds ont été proposés à Sainte-Anne, Saint-Claude, La Broquerie et Saint- Georges. 

Mon implication comme personne-ressource m’a donné le goût de m’investir toujours plus à expérimenter avec la neige. En 2024, j’étais prête à me lancer. Comme en 2011, j’avais le désir et les outils. Malheureusement, faute de neige, je n’ai pas pu me mettre à l’oeuvre. Mais je sais que ce n’est que partie remise!